À Coaticook, un projet de restauration des milieux humides en zone agricole

Les deux pieds dans un marais, de l’eau jusqu’aux genoux, Audréanne Loiselle semble dans son élément. Cette doctorante à l’Université de Montréal participe à un projet de restauration de milieux humides à Coaticook. Le Devoir l’a rencontrée à cette occasion afin de comprendre comment de telles initiatives, en particulier sur des terres agricoles, pourraient entre autres aider à prévenir les inondations et favoriser la biodiversité.
Tourbières, marais, marécages, étangs : tous ces milieux humides, la chercheuse les connaît sur le bout des doigts. Lorsqu’elle en voit un, elle est capable de nommer toutes les plantes qui s’y trouvent et de distinguer un marécage d’une tourbière (presque) les yeux fermés. Elle les étudie depuis cinq ans, afin qu’ils soient mieux protégés et restaurés.
Le projet sur lequel elle travaille, qui est en cours d’élaboration, rassemble pas moins de sept chercheurs issus de l’Université de Montréal et de l’Université Laval. Il consistera à collaborer avec la municipalité régionale de comté(MRC) et les producteurs agricoles pour laisser en friche des bandes de terre de quelques mètres situées au bord de la rivière Coaticook, en échange d’une compensation financière versée aux agriculteurs pour la perte de productivité associée.
Selon Audréanne Loiselle, le cours d’eau pourra ainsi reprendre ce qu’elle appelle son « espace de liberté ». « L’idée est de lui donner de l’espace pour le laisser vivre sa crise d’adolescence au printemps, donc gonfler et déborder, sans inonder les champs », explique la doctorante.
Si la rivière a plus d’espace à occuper, elle pourra également reprendre une forme plus sinueuse, plutôt qu’être en ligne droite. Cela pourrait permettre de ralentir le courant et de prévenir d’éventuelles inondations, tout en favorisant la biodiversité et la réapparition de milieux humides.
Milieux humides et terres agricoles
D’après la chercheuse, la restauration des milieux humides est particulièrement importante sur les terres agricoles du sud du Québec. Ceux-ci agissent comme des éponges, et retiennent l’eau lors de crues ou de fortes pluies. Or, « on a drainé beaucoup de milieux humides sur ces terres, et c’est entre autres pour ça qu’on se retrouve aujourd’hui avec des inondations », explique-t-elle.
Depuis les années 1930, en effet, nombre d’entre eux ont été asséchés à des fins de culture. « Entre Québec et Montréal, ce qu’on appelle les terres noires, où l’on fait maintenant du maïs ou de l’horticulture, tout cela, c’étaient des tourbières avant », explique Line Rochefort, professeure à l’Université Laval, qui ne travaille pas sur le projet à Coaticook.
Les marais et les marécages, situés généralement au bord des cours d’eau, ont eux aussi subi de lourdes pertes. Une étude publiée dans Nature enfévrier dernier a ainsi montré que, dans le bassin-versant du Saint-Laurent, plus de la moitié des milieux humides ont été détruits. « Avec la rectification des cours d’eau et le creusage de fossés dans le territoire agricole, maintenant toute la dynamique hydrologique est complètement anthropisée dans ces milieux-là. Il y a eu une perte immense de ces territoires, qui n’a jamais été quantifiée dans le sud du Québec »,déplore Sylvain Jutras, également professeur à l’Université Laval, qui ne participe pas non plus à l’initiative des chercheurs en Estrie.
La réalité des agriculteurs
Du côté des agriculteurs, cette volonté de protéger et de restaurer les milieux humides est accueillie « favorablement », selon un mémoire de 2018 de la fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de Lanaudière. Cependant, « [elle] ajoute une préoccupation supplémentaire à une zone agricole de plus en plus sous pression ».
Lise Got, conseillère en aménagement à l’UPA de l’Estrie, a confirmé que bien que le projet soit encore « très embryonnaire », les inquiétudes énoncées dans ce document sont probablement encore d’actualité aujourd’hui chez les producteurs de Coaticook. Elle a indiqué que l’UPA et la MRC allaient les rencontrer ce mois-ci, pour parler avec eux de l’initiative.
Cette démarche s’inscrit de façon plus globale dans un contexte où, depuis 2017, les agriculteurs sont contraints par la loi de verser de lourdes compensations lorsqu’ils détériorent des milieux humides situés sur leurs terres.
Le mémoire de 2018 souligne également qu’une compensation sous la forme de l’octroi de terres agricoles équivalentes à la surface perdue pour la préservation d’un milieu humide serait préférable à une compensation financière, lorsque c’est possible.
Un dialogue essentiel
Le chercheur Sylvain Jutras insiste sur l’importance d’y aller au cas par cas dans le dossier de protection et de restauration des milieux humides, face aux réalités du milieu agricole. « C’est un éternel débat, il n’y a pas de solution magique, soupire-t-il. Dans l’idéal, il faudrait mieux protéger les milieux humides, restaurer ceux qui ont été perturbés dans la mesure du possible, et permettre la destruction, ou du moins la perturbation, de certains milieux qui ont moins d’importance, en les sélectionnant minutieusement. Mais c’est très long à faire, il faut le faire site par site. »
Audréanne Loiselle souligne également que le dialogue avec les producteurs est essentiel dans cette démarche de restauration. « C’est important de prendre le temps de les écouter, de comprendre leurs réalités, explique-t-elle. Les plus grandes victimes des lois en environnement, ce ne sont pas les promoteurs immobiliers, mais ce sont les agriculteurs. Parce que chaque fois qu’on durcit les lois, on resserre la vis sur leur portefeuille. »