Les feux ont déjà émis deux fois plus de carbone que les Québécois en un an

Des curieux observent le centre-ville de Montréal depuis un belvédère du Mont-Royal durant un épisode intense de smog.
Valérian Mazataud Le Devoir Des curieux observent le centre-ville de Montréal depuis un belvédère du Mont-Royal durant un épisode intense de smog.

En quelques semaines, les feux de forêt du Québec ont émis deux fois plus de CO2 que les activités humaines de la province en une année entière. Les territoires dévastés vont réabsorber ce carbone au fil des prochaines décennies, mais d’ici là, celui-ci va réchauffer le climat.

« Je suis terrorisée », laisse tomber Catherine Potvin, professeure de biologie à l’Université McGill. Cette membre du Comité consultatif sur les changements climatiques du Québec (CCCC) craint que la forêt boréale, plutôt que de ralentir le réchauffement, commence à y contribuer. « En respirant l’odeur des feux de forêt, l’autre jour, ça sentait le point de bascule à plein nez. »

En brûlant, les forêts québécoises ont libéré, cette saison, environ 180 millions de tonnes de CO2, selon des données compilées vendredi par le programme Copernicus de l’Union européenne. Ces émissions, causées par des incendies d’une ampleur inédite depuis au moins 100 ans, sont évidemment bien supérieures à la normale des dernières années.

En outre, elles surpassent les émissions annuelles de la société québécoisedans son ensemble. L’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre (GES) — qui compile les émissions du transport, des industries, de l’agriculture, des bâtiments et des déchets, mais pas des feux de forêt — totalise environ 80 millions de tonnes de CO2 par année.

« C’est très inquiétant », estime aussi Annie Levasseur, professeure à l’École de technologie supérieure de Montréal spécialisée dans l’atténuation des changements climatiques grâce au secteur forestier, également membre du CCCC. Il faudra « des décennies » aux forêts pour recapter tout ce carbone, souligne-t-elle.

« Les feux deviennent de plus en plus intenses, de plus en plus grands. Et il n’y a plus assez d’années tranquilles pour que la forêt puisse récupérer », dit quant à elle Évelyne Thiffault, une professeure à l’Université Laval spécialisée dans le carbone forestier, qui juge aussi « inquiétantes » les émissions forestières de cette année.

À l’échelle canadienne, les feux de forêt de cette saison ont entraîné la libération d’environ 700 millions de tonnes de CO2, c’est-à-dire une quantité équivalente aux émissions d’origine humaine dans tout le pays, qui proviennent essentiellement des combustibles fossiles.

Les terres canadiennes, un émetteur net

 

En temps normal, les émissions causées par les feux de forêt ne représentent pas nécessairement un ajout net de CO2 à l’atmosphère, puisque les arbres qui repoussent captent ensuite une quantité équivalente de carbone. En multipliant les feux, les changements climatiques vont toutefois bouleverser cet équilibre.

Dans le monde, les feux de végétation émettent en moyenne 8000 millions de tonnes de CO2 par année, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La plupart de ces émissions proviennent des savanes (65 %). Les forêts boréales jouent un rôle de second plan (7 %). Quand les feux affectent des tourbières, du carbone accumulé pendant des siècles part en fumée.

Les émissions ne s’arrêtent pas au moment où les flammes s’éteignent. Pendant des décennies, la décomposition du bois tué par le feu génère des émanations supplémentaires de carbone, explique Mme Thiffault en entrevue. Les nouveaux arbres qui poussent, pour leur part, ne captent que peu de carbone lors de leurs premières années de vie.

Depuis 2002, les terres du Canada — forêts, prairies, champs, etc. — sont un émetteur net de carbone dans l’atmosphère, c’est-à-dire que les émissions causées par les « perturbations naturelles », à commencer par les feux de forêt, surpassent la séquestration de carbone réalisée grâce aux forêts en croissance et aux terres cultivées.

On parle souvent de compenser nos émissions de GES en plantant des arbres ou en protégeant des forêts, fait remarquer Mme Levasseur. « Mais si les forêts brûlent, on n’est pas plus avancés », souligne-t-elle. « Les gens pensent que la forêt va nous sauver. C’est plutôt nous qui devons sauver la forêt », abonde Mme Potvin.

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