Pour l’amour des parulines

Photo: Alexandre Shields Le Devoir La paruline à gorge orangée niche en forêt boréale au terme de sa migration printanière.

Chaque printemps, plusieurs espèces de parulines volent sur des milliers de kilomètres, depuis les tropiques, pour venir nicher dans les forêts québécoises. Elles passionnent au passage les observateurs, attirés par leurs plumages très colorés, leurs chants diversifiés et leur présence éphémère.

« Les parulines rappellent un peu les fleurs printanières. C’est quelque chose qui est éphémère, très coloré et qui nécessite d’être présent au bon moment. Mais quand on est là la bonne journée, on a le sentiment d’être privilégié d’observer une diversité d’oiseaux qui arrivent directement des tropiques », résume le biologiste Samuel Denault, un spécialiste de la faune aviaire.

Lui-même a pu observer 22 espèces au parc national d’Oka en une seule journée la semaine dernière. « Il y a une ou deux journées dans l’année où on peut en voir autant. C’est une occasion à saisir », souligne-t-il.

Année après année, pas moins de 29 espèces de ces oiseaux d’à peine quelques grammes viennent nicher dans les forêts du Québec, certaines dans des peuplements de feuillus, mais plusieurs se rendent jusqu’en forêt boréale, véritable pouponnière d’oiseaux en Amérique du Nord. C’est le cas notamment de la paruline à gorge orangée, mais aussi de la paruline flamboyante et de la paruline à gorge grise, des espèces qui sont toutes particulièrement colorées. Même chose pour la paruline du Canada, avec ses teintes de bleu et de jaune.

La grande diversité de plumages et de chants, mais aussi le fait que le pic d’observation se limite généralement aux deux dernières semaines de mai dans le sud de la province, suscite un énorme engouement chez les observateurs. « Les ornithologues attendent le retour des parulines. En ce moment, tous ceux qui peuvent être dehors pour en observer sont sur le terrain. C’est le groupe d’espèces qui génère le plus d’enthousiasme et leur retour est un événement », résume Jean-Sébastien Guénette, directeur général de Québec oiseaux.

Photo: Alexandre Shields Le Devoir La paruline jaune peut être observée dans les espaces verts en milieux urbains, comme ici, au parc Jean-Drapeau, à Montréal.

« On dit qu’il existe des veuves de la chasse, à l’automne. Mais je dis aussi qu’il existe des veuves et des veufs des parulines au printemps, parce que les ornithologues vont se lever à 5 heures du matin pour aller les observer », ajoute Samuel Denault. C’est aussi le moment de l’année « où la police doit gérer la circulation au parc national de la Pointe-Pelée, dans le sud de l’Ontario, parce qu’il y a beaucoup d’ornithologues qui viennent voir des parulines ».

Les citadins peuvent aussi profiter de cette période pour tenter d’observer plusieurs espèces tout près de chez eux, à condition d’être attentifs aux chants et aux mouvements de ces oiseaux rapides et peu enclins à demeurer en place.

Les parulines peuvent en effet être aperçues en plein coeur des milieux urbains. Et dans une ville comme Montréal, des espaces verts comme le Jardin botanique, le parc Jean-Drapeau ou celui du mont Royal sont particulièrement propices. « Parfois, dans un seul petit peuplement d’arbres, on peut observer cinq ou six espèces de parulines. C’est très motivant, parce qu’on peut noter plusieurs espèces en seulement quelques heures d’observation », fait valoir Pascal Côté, qui est biologiste et ornithologue à Conservation de la nature Canada.

Photo: Alexandre Shields Le Devoir La paruline couronnée peut parfois être observée directement au sol, à la recherche de nourriture.

Migrations et menaces

Les experts de ces petits oiseaux ne manquent pas de rappeler que la plupart effectuent des migrations impressionnantes pour revenir au Québec, après avoir passé plusieurs mois en Amérique centrale, voire en Amérique du Sud. C’est le cas de la paruline rayée. D’un poids d’à peine 12 grammes, elle peut hiverner jusque dans le sud du Pérou. « Pour plusieurs parulines, on parle d’une migration printanière de plus de 5000 kilomètres pour se rendre au Québec. C’est énorme », souligne Pascal Côté.

Les migrations printanières peuvent aussi donner lieu à des observations massives d’oiseaux. La semaine dernière, à Tadoussac, les ornithologues présents ont calculé que plus de 200 000 parulines sont passées par le secteur des dunes en une seule journée. Il s’agissait d’une « correction migratoire », explique Pascal Côté, c’est-à-dire « un mouvement diurne de grande ampleur pour compenser une trop grande distance parcourue pendant la nuit. Les oiseaux se trouvent alors trop au nord ou à l’est de la destination visée ».

Photo: Alexandre Shields Le Devoir La paruline à gorge noire se distingue par le contraste entre le noir et le jaune sur sa tête.

Tout au long de leurs migrations, mais aussi dans leurs habitats d’hivernage et de nidification, les parulines font par ailleurs face à plusieurs menaces. La pollution lumineuse de plus en plus omniprésente désoriente en effet ces oiseaux, qui voyagent de nuit et s’orientent avec le ciel étoilé et la lune, explique Pascal Côté.

Plusieurs meurent aussi à la suite de collisions dans les fenêtres des immeubles, et notamment des résidences, ajoute Jean-Sébastien Guénette. « On nous a rapporté plusieurs cas au cours des derniers jours », dit-il. Sans oublier la prédation par les chats domestiques, qui représente un risque très sérieux pour plusieurs espèces de la faune aviaire.

La menace la plus sérieuse est toutefois la perte d’habitats, explique Michel Leboeuf, vulgarisateur scientifique et responsable de la récente mise à jour du livre Oiseaux du Québec et des Maritimes. « Les parulines vivent dans des milieux forestiers. Chaque espèce utilise des habitats particuliers, ce qui témoigne de la richesse des écosystèmes au Québec. Mais plusieurs dépendent de vieilles forêts matures, qui sont devenues rarissimes au Québec. » C’est le cas de la paruline azurée, qui est considérée comme étant « en voie de disparition » en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada.

Raison de plus, selon M. Leboeuf, pour mieux protéger nos forêts. Même son de cloche du côté de M. Guénette, qui constate depuis plusieurs années l’attrait qu’exercent les parulines chez ceux qui les découvrent. « Beaucoup de gens ne savent pas qu’on retrouve ici des oiseaux aussi colorés. Quand ils les voient pour la première fois, ils sont impressionnés. C’est une belle porte d’entrée pour découvrir la diversité d’espèces qu’on peut observer. »

Photo: Alexandre Shields Le Devoir La paruline à croupion jaune est facilement reconnaissable grâce à la marque jaune sur le devant de l’aile.

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