Les batteries lithium-ion multiplient les incendies dans les centres de recyclage

Les centres de tri du Québec sont aux prises avec un problème explosif : de plus en plus de batteries lithium-ion sont mélangées au contenu des bacs bleus qu’ils reçoivent. Ces deux dernières années, les incendies provoqués par ces objets indésirables se sont multipliés. Et les dommages, parfois majeurs, mettent à mal toute la chaîne du recyclage.

Un exemple ? Début mai, un incendie a fait rage dans un centre de tri de la Société VIA, à Rivière-du-Loup. « Il y avait des flammes de presque six pieds, c’était un bon brasier », affirme Emmanuelle Tremblay, porte-parole de cet organisme à but non lucratif. Les pompiers ont été appelés et le personnel a été évacué. Après le feu, il a fallu quelques heures pour chasser la fumée et relancer l’usine.

Ce texte est publié via notre section Pôle environnement.

Dans la dernière année, une dizaine d’incendies se sont déclarés dans chacun des cinq centres de tri de la Société VIA. Heureusement, il n’y a eu aucun blessé. Ces incendies ont varié en taille, mais ont tous nécessité de suspendre le triage, ce qui implique de coûteux retards. Dans les plus grands centres de tri de l’OBNL, ceux de Lachine et de Québec, les pertes s’élèvent à environ 6000 $ par heure d’arrêt.

L’organisme Tricentris rapporte pour sa part deux incendies graves dans la dernière année. Tous deux sont survenus à son centre de tri de Gatineau. Le 13 avril, une batterie lithium-ion a déclenché un feu dans l’aire de réception, où un tracteur pousse la matière recyclable vers un convoyeur. Des équipements ont été endommagés. Les dégâts se sont élevés à 70 000 $.

L’autre incident, survenu le 1er juillet dernier, a été encore plus dévastateur. Celui-ci a été déclenché par une batterie dans un ballot fraîchement compacté par une presse. Les flammes se sont propagées dans un tracteur juste à côté : une « perte totale », selon Grégory Pratte, le responsable des affaires publiques chez Tricentris. D’autres équipements ont été touchés. Les pertes ont été chiffrées à 500 000 $.

La principale cause des feux

 

On retrouve des batteries lithium-ion dans les téléphones mobiles, les ordinateurs portables, les perceuses sans fil, les vapoteuses, etc. Évidemment, ces objets sont de plus en plus nombreux — et, en fin de vie, ils n’aboutissent pas toujours à l’endroit approprié. Quand les batteries sont frottées, écrasées ou chauffées par l’équipement des centres de tri, ou même dans les camions de récupération, elles prennent feu.

« C’est comme si je mettais un briquet de butane dans un bac bleu. C’est sûr que ça va allumer », explique Robin Dignard, formateur en prévention des incendies et lieutenant au Service de sécurité incendie de l’agglomération Longueuil. M. Dignard a été mandaté en 2021 par l’entreprise de recyclage Ricova pour analyser et juguler le problème des incendies dans ses centres de tri.

En novembre 2021, un incendie majeur s’est déclaré dans le centre de tri de Lachine, alors exploité par Ricova. Soixante-dix pompiers ont été mobilisés pendant près d’une demi-journée. Le centre de tri a été en arrêt forcé pendant plus d’une semaine. Des batteries lithium-ion étaient en cause.

« Les statistiques sont partout les mêmes : 90 % des feux [dans les centres de tri] sont causés par les batteries au lithium », affirme M. Dignard, qui s’est enquis de la situation chez plusieurs acteurs du recyclage au Québec dans le cadre de son mandat avec Ricova.

Chez son client, il a compté 17 incendies en 2021. En 2022, l’entreprise en a recensé neuf. Ricova n’était pas en mesure d’indiquer au Devoir la valeur des dommages.

Rappelons que Ricova, responsable jusqu’à récemment de la gestion de deux centres de tri à Montréal, est sur la « liste noire » de la Ville depuis l’an dernier en raison de manquements identifiés par l’inspecteur général. Son contrat à Lachine a été résilié en septembre 2022 car des matières recyclables s'accumulaient dans ce centre de tri; celui à Saint-Michel s’achèvera en 2024. Elle exploite aussi un centre de tri à Châteauguay.

Déposer là où il se doit

Les batteries lithium-ion qui prennent feu virevoltent comme des feux d’artifice. Les asperger d’eau ne sert à rien : il faut attendre qu’elles épuisent leur combustible. Il est cependant essentiel de combattre le foyer pour éviter que les flammes se propagent au papier, au carton et au plastique. Dans les centres de tri, la plupart des incendies sont étouffés par les employés, et non les pompiers.

Les incendies causés par les batteries lithium-ion sont « une préoccupation constante » et, depuis environ deux ans, ils sont beaucoup plus fréquents qu’auparavant, dit Mme Tremblay, de la Société VIA. « Il n’y a pas vraiment de solution, il faut faire avec la matière qui entre, dit-elle. Ça n’existe pas, des détecteurs à batterie. C’est un problème majeur. »

Pour l’instant, la Société VIA se dit « chanceuse » : ses équipements n’ont pas subi de dommages significatifs. L’entreprise d’économie sociale déplore cependant « l’impact humain » des incendies sur ses employés — des gens qui vivent avec des limitations fonctionnelles, comme des handicaps mentaux ou un trouble d’autisme —, qui doivent régulièrement évacuer les lieux en vitesse.

Tous les gens du milieu s’entendent : pour freiner le problème des incendies, les entreprises de récupération ne peuvent pas faire grand-chose. Elles doivent s’en remettre aux citoyens qui, en aucun cas, ne devraient déposer une batterie ou une pile dans le bac bleu.

Les programmes Recycler mes électroniques (pour les appareils) et Appel à recycler (pour les batteries) proposent des centaines de points de dépôt au Québec. 
 



Une version précédente de ce texte a été modifiée pour y ajouter une précision.

 



À voir en vidéo