Un règlement pour protéger toutes les espèces, sauf le caribou de la Gaspésie

La loi du Québec préserve de l’activité minière l’habitat de toute espèce vulnérable, sauf une : le caribou de la Gaspésie. Une coalition écologiste demande maintenant au gouvernement Legault d’abolir cette exception, qui compromet la survie même de cette population.
La première mouture du Règlement sur les habitats fauniques, qui date de 1993, interdisait toute activité perturbatrice dans le milieu naturel d’une espèce vulnérable ou menacée au Québec. Mais un décret adopté en 2001, alors qu’André Boisclair dirigeait le ministère de l’Environnement, est venu fissurer cette protection. Depuis, l’interdiction s’applique à l’habitat faunique de toute espèce menacée ou vulnérable « autre que celui du caribou des bois, écotype montagnard, population de la Gaspésie ».
« Nous parlons d’un règlement qui cible toutes les espèces vulnérables ou menacées du Québec, sauf le caribou de la Gaspésie, déplore Pascal Bergeron, porte-parole d’Environnement vert plus (EVP). Ça n’a aucun sens ! »
D’autant que le déclin de la harde gaspésienne s’accélère depuis le milieu du XXe siècle. Au début des années 1950, sa population variait entre 700 et 1500 individus. Trente ans plus tard, il en restait environ 250. Le dernier recensement, réalisé il y a cinq ans, dénombrait seulement 70 caribous de la Gaspésie ; selon les experts, il en resterait à peine la moitié aujourd’hui.
Un habitat miné par les claims
L’habitat des caribous montagnards de la Gaspésie se trouve presque entièrement à l’intérieur des limites du parc national de la Gaspésie, où l’activité minière demeure interdite. Une partie sort toutefois de ce territoire, dans les secteurs des mines Madeleine et de Blanche-Lamontagne.
Des claims miniers couvrent près de 60 % du territoire jugé essentiel aux caribous situé à l’extérieur du parc national, selon EVP. « Nous ne connaissons pas l’ampleur de tous les travaux réalisés dans ces zones-là depuis les 20 dernières années », souligne M. Bergeron. Il estime toutefois qu’« il y a eu minimalement entre 15 et 20 forages » dans le secteur de Blanche-Lamontagne depuis l’adoption du décret.
Chaque forage signifie des arbres matures abattus et des chemins forestiers tracés comme autant d’autoroutes empruntées par les prédateurs naturels du caribou. « L’activité minière est potentiellement le type d’activité industrielle le plus préjudiciable » à l’espèce, précise-t-il.
C’est pour enrayer la dégringolade de l’espèce, considérée comme en voie de disparition depuis 2003 par Ottawa et désignée menacée par Québec en 2009, que des groupes environnementalistes ont uni leur voix mercredi pour demander la fin de ce régime d’exception.
Aux yeux de cette coalition, l’exception décrétée en 2001 répondait d’abord et avant tout aux demandes de l’industrie. L’entreprise Ressources Appalaches, alors dirigée par le fondateur et ancien président de Pétrolia, André Proulx, a mené des travaux de forage dans les secteurs exemptés de la loi dès 2002.
« Il y a donc fort à parier qu’il y a eu une pression de l’entreprise minière responsable des travaux en 2001 et en 2002 afin de modifier le règlement en sa faveur », note le regroupement dans un communiqué.
Le caribou, une « espèce parapluie »
EVP, le Comité de protection des monts Chic-Chocs, la Société de conservation ZICO de la Baie-de-Gaspé, Action boréale, Nature Québec et la Coalition Québec meilleure mine exigent donc la levée immédiate du décret adopté en 2001, mais réclament aussi l’élargissement de l’habitat légal du caribou de la Gaspésie afin que le territoire corresponde à la superficie nécessaire à la survie de l’espèce.
Une meilleure protection de l’habitat du caribou de la Gaspésie, une espèce parapluie dont le déclin symbolise la détérioration généralisée d’un milieu, permettrait d’assurer la survie de plusieurs autres animaux vulnérables qui dépendent des forêts matures prisées par ces cervidés, soulignent ces organismes.
« Il y aurait d’autres espèces à protéger en même temps », souligne Louis Fradette, du Comité de protection des monts Chic-Chocs. Il mentionne notamment la grive de Bicknell, jugée vulnérable depuis 2009, et cinq couples d’aigles royaux qui ont élu domicile dans le parc de la Gaspésie et qui demeurent allergiques aux coupes forestières et à toute perturbation provoquée par l’humain. « Il y a aussi le garrot d’Islande, un oiseau en péril qui niche dans certains lacs des Chic-Chocs et qui a besoin des vieilles forêts », poursuit M. Fradette. La musaraigne de Gaspésie, unique au monde et propre au Québec, partage également l’habitat du caribou forestier.
« Si le caribou disparaît, ça veut dire la victoire totale de l’économie, déplore Henri Jacob, président d’Action boréale. Si nous nous battons, c’est pour qu’il y ait une victoire minimale de la nature sur le développement économique. »
Le ministère de l’Environnement, dirigé par Benoît Charette, doit déposer en juin son plan de protection des caribous de la Gaspésie.
Une version précédente de ce texte qui mentionnait le secteur du mont Albert au lieu de Blanche-Lamontagne a été corrigée. De plus, le dépôt d’un plan de protection des caribous est attendu du ministère de l’Environnement, et non de celui des Ressources naturelles.