La fragilité de l’eau souterraine commence à faire surface au Québec

En 15 ans, le Québec a fait des pas de géant pour mieux connaître ses eaux souterraines. Malgré l’avancée de la science, le savoir peine toutefois à se rendre jusqu’aux décideurs et aux décideuses qui gèrent, dans bien des cas, le développement des villes à l’aveugle, sans tenir compte des limites des nappes phréatiques cachées dans leur sous-sol.
Cartographier les sources souterraines
Au tournant du millénaire, le Québec ne connaissait à peu près rien de ses eaux souterraines, une ressource qui abreuve pourtant le quart de la population québécoise. Ce n’est qu’en 2008 que le ministère de l’Environnement, sous l’impulsion du gouvernement libéral, a lancé les projets d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines (PACES), un vaste chantier qui a mobilisé le milieu universitaire aux quatre coins du Québec.
Les PACES ont permis de connaître, sur la presque totalité du territoire québécois, les caractéristiques des eaux souterraines. « Nous avons des données sur la formation géologique des aquifères, sur leur capacité de recharge, c’est-à-dire leur faculté à se renouveler, sur la qualité de l’eau, sur les pressions, soit l’endroit où s’exercent les pompages, sur l’écoulement des eaux de ruissellement jusqu’aux nappes phréatiques aussi », explique Marie Larocque, professeure au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère et titulaire de la Chaire de recherche sur l’eau et la conservation du territoire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Début mai, un premier inventaire des connaissances scientifiques sur les eaux souterraines a vu le jour sur le site du ministère québécois de l’Environnement, première étape en vue de la création d’un observatoire québécois de l’eau souterraine. Fruit de deux ans de travail, cet inventaire concentre dans un même portail « à peu près tout ce qui existe, au Québec, sur les eaux souterraines », explique Marie Larocque. « Nous étions très en retard, souligne la chercheuse. Ce retard, nous l’avons un peu rattrapé aujourd’hui : nous avons des cartes utilisables par tout le monde et un réseau de suivi des eaux souterraines qui compte 263 stations au Québec. »
Partager la connaissance jusqu’aux municipalités
Depuis 2011, le Réseau québécois sur les eaux souterraines (RQES) se consacre à l’acquisition et, surtout, au partage des connaissances avec les gestionnaires de l’eau du Québec.
« La recherche, c’est bon, mais il faut aussi que ça se serve à quelque chose », affirme Marie Larocque. Au cours des dernières années, l’experte observe que le monde municipal a aiguisé son appétit pour planifier son développement en fonction de ses sourcesd’eau souterraine. Plusieurs municipalités, comme Saint-Lin–Laurentides et Sutton, ont appris à leurs dépens ce qu’il en coûte d’atteindre la limite d’une nappe phréatique.
« Nous sentons une prise de conscience, surtout depuis 2021, parce qu’il y a de plus en plus de problèmes liés aux eaux souterraines, observe Marie Larocque. Les décideurs sont avides de savoir quoi faire avec ça. »
Dans un mémoire soumis le 9 mai, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) recommande que le projet de loi 20 sur l’institution du Fonds bleu, à l’étude en ce moment, oblige une meilleure transmission des connaissances et donne, surtout, des outils de planification aux villes et aux MRC.
« Les projets en cours dans certaines régions du Québec visant la protection et la mise en valeur des eaux souterraines pour donner suite au PACES ne bénéficient actuellement d’aucun soutien de l’État », déplore la FQM. Les conséquences du laisser-faire peuvent être coûteuses, comme le démontrent des exemples récents.
Une ressource à protéger
Les eaux souterraines abreuvent le quart de la population du Québec, soit plus de deux millions de personnes. La petite localité de Saint-Hubert-de-Rivière-du-Loup a appris, la semaine dernière, la fragilité de cette ressource – et le coût extrêmement important de son remplacement en cas de contamination, une possibilité tangible depuis la contamination de son puits principal aux hydrocarbures.
L’île d’Orléans connaît depuis des décennies des problèmes récurrents de qualité de son eau. L’eau souterraine répond à la presque totalité des besoins des Orléanais : une solution économique, mais qui comporte des risques sur un territoire consacré à 95 % aux activités agricoles.
« Nous savons que nous devons être très, très, très vigilants pour protéger ce que nous avons, maintient la préfète de la MRC de l’Île-d’Orléans, Lina Labbé. Ça coûterait une fortune de construire un aqueduc. »
La topographie de l’île en forme de dôme fait ruisseler les eaux utilisées par l’agriculture au centre, vers les puits qui abreuvent la population éparpillée en périphérie. Cette réalité géographique rend les sources souterraines plus vulnérables à la contamination : en 1995, la piètre qualité de l’eau menait même à une éclosion d’hépatite A parmi les Orléanais. Au cours des 30 dernières années, des analyses ont notamment fait état de concentrations importantes de nitrates, des pesticides et de bactéries coliformes dans les puits de l’île.
La préfète assure que le monde agricole multiplie les efforts pour préserver la ressource. « Ils en sont conscients et ils veulent protéger l’eau », affirme Lina Labbé. L’inquiétude, néanmoins, est présente parmi les Orléanais. Selon un sondage réalisé par des étudiantes à la maîtrise de l’Université Laval en 2022, les deux tiers des 180 personnes interrogées se disaient « très préoccupés » par la quantité et la qualité de l’eau sur l’île.
Parmi elles, 35 % refusaient de boire l’eau qui sortait de leur robinet.