Feu vert au forage pétrolier de BP dans un «refuge marin» au large de Terre-Neuve

La compagnie pétrolière BP a nolisé le navire Stena IceMAX afin de forer un premier puits exploratoire à une profondeur de 1339 mètres au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador.
Rab Lawrence Creative Commons La compagnie pétrolière BP a nolisé le navire Stena IceMAX afin de forer un premier puits exploratoire à une profondeur de 1339 mètres au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le gouvernement Trudeau et celui de Terre-Neuve-et-Labrador ont donné le feu vert au premier forage pétrolier dans un « refuge marin » de la côte est censé protéger la biodiversité et des espèces menacées. La compagnie pétrolière BP, responsable de la marée noire du golfe du Mexique, pilote ce projet d’exploration dans une région qui pourrait renfermer plus de quatre milliards de barils de pétrole.

BP Canada a nolisé l’imposant navire Stena IceMAX pour forer ce premier puits d’exploration dans les limites d’un de ses permis situé à plus de 400 kilomètres des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. Le forage, qui doit débuter en mai et durer de 60 à 120 jours, sera réalisé dans un secteur où la profondeur des eaux atteint 1339 mètres.

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Ce texte est publié via notre section Pôle environnement.

Dans une très brève réponse aux questions du Devoir, la multinationale des énergies fossiles a simplement réitéré sa volonté de compléter un puits. « Après cela, nous évaluerons les prochaines étapes », a ajouté BP. L’entreprise n’a pas voulu s’avancer sur le potentiel de la région, désignée comme le « bassin Orphan », et qui pourrait receler plus de quatre milliards de barils de pétrole. À titre de comparaison, le projet d’exploitation Bay du Nord, approuvé l’an dernier par Ottawa, contiendrait un milliard de barils.

L’Office Canada–Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers (C-TNLOHE) confirme pour sa part que le permis d’exploration accordé à BP Canada est situé dans les limites du plus important « refuge marin » créé par le gouvernement Trudeau au large de la côte est du Canada. Cette zone de plus de 55 000 km2 fait partie des milieux marins qui ont été protégés en vue de l’atteinte des objectifs de préservation de la biodiversité pour 2020.

Afin de garantir la protection des écosystèmes « fragiles » qu’on y trouve, le gouvernement y interdit « toute activité de pêche entrant en contact avec le fond ». Qui plus est, « aucune activité anthropique incompatible avec la conservation des composantes écologiques qui revêtent un intérêt particulier ne peut être exercée ou prévue dans la zone », qui chevauche en partie « une zone d’importance écologique et biologique qui soutient une grande diversité, y compris plusieurs espèces en déclin ».

Déversement

Le rapport publié en 2020 par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC), et qui portait sur un projet de 20 forages de BP dans la région, dont celui qui débute, précisait toutefois que « les activités d’exploration pétrolière et gazière ne sont pas interdites ».

Il insistait par ailleurs sur la richesse de la biodiversité marine. « La zone du projet et les milieux marins environnants sont utilisés par des espèces de poissons et d’invertébrés ayant une valeur commerciale, culturelle ou écologique, et soutiennent des zones régionales importantes pour la biodiversité et la productivité marines », peut-on lire dans ce rapport. On y trouve « de nombreuses espèces de poissons en péril », des coraux, des oiseaux et plusieurs espèces de cétacés, dont certaines sont menacées.

Dans son analyse, l’AEIC rappelait aussi les risques liés à un déversement pétrolier pour la faune marine et les pêches commerciales. La gigantesque marée noire du golfe du Mexique, en 2010, a été provoquée par un forage exploratoire de BP. L’entreprise n’aura toutefois pas à détenir, au Canada, le système de « coiffage » qui est nécessaire pour stopper une « éruption », c’est-à-dire un déversement majeur. Un tel équipement doit être importé en cas de besoin. On prévoit donc un délai de 30 jours pour l’installer à la tête d’un puits qui connaîtrait une fuite importante.

Critiques

Le gouvernement Trudeau avait autorisé en 2020 le projet d’une vingtaine de forages, mais BP en prévoit un seul pour le moment. L’Office a donné l’autorisation nécessaire au démarrage de ce forage le 5 mai dernier.

Un forage pétrolier dans un refuge marin est-il cohérent avec les objectifs de protection de la biodiversité et de lutte contre la crise climatique ? Le cabinet du ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, n’a pas répondu directement à la question.

On fait toutefois valoir que le projet a été approuvé « à la suite d’une évaluation environnementale solide et fondée sur des données scientifiques », mais aussi qu’il est soumis à « 102 conditions juridiquement contraignantes ». Ces conditions comprennent « des mesures visant à protéger le poisson et son habitat, les mammifères marins et tortues de mer, les oiseaux migrateurs, les espèces en péril et l’utilisation des ressources par les peuples autochtones », précise-t-on.

Biologiste spécialiste des mammifères marins et du fonctionnement des écosystèmes, Lyne Morissette dénonce cette porte ouverte à l’industrie pétrolière. « Les forages sont très risqués pour les écosystèmes, tant par les risques de déversements que par la perturbation des fonds marins et la pollution chimique et sonore qu’ils représentent. Et en plus, on le fait dans un refuge marin, qui est une zone créée pour protéger les espèces et les habitats marins les plus uniques et les plus sensibles du pays. Il n’y a rien dans cette décision qui est cohérent. »

« C’est un recul », poursuit la porte-parole du Sierra Club Canada, Gretchen Fitzgerald. Elle rappelle que le Canada a pris l’engagement de protéger 25 % de ses milieux marins d’ici 2025, puis 30 % d’ici 2030. Dans ce contexte, « forer dans un refuge marin destiné à protéger notamment des coraux et des éponges dont la croissance est très lente constitue une menace inacceptable pour la biodiversité ».

Energy NL, qui représente des entreprises du secteur pétrolier, estime au contraire que ce projet tombe à point. Si le potentiel s’avère intéressant pour une exploitation commerciale, le projet pourrait générer des milliards de dollars de retombées pour la province et le pays, selon sa présidente-directrice générale, Charlene Johnson.

Bien au fait du développement pétrolier en milieu marin dans l’est du Canada, Sylvain Archambault rappelle toutefois que le puits en cours de forage n’est qu’une première étape. « Pour l’exploitation, il faudrait forer plusieurs puits pour bien définir le gisement. Ce serait assez long avant d’en arriver avec une production commerciale », souligne celui qui est aussi biologiste à la Société pour la nature et les parcs.

M. Archambault estime en outre que Terre-Neuve-et-Labrador tente surtout de favoriser l’émergence de nouveaux projets, dans un contexte où la province espère doubler la production de pétrole après 2030. Un appel d’offres pour plusieurs nouveaux permis d’exploration en milieu marin qui couvriraient plus de 120 000 km2 vient d’ailleurs d’être lancé, avec l’approbation du gouvernement Trudeau. Pas moins de 14 des permis, totalisant 22 757 km2, empiètent en partie ou en totalité sur le refuge marin où BP vient de lancer son forage.



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