Le Bureau de la concurrence enquête sur le marketing du lobby des sables bitumineux

Le Bureau de la concurrence mène une enquête afin de déterminer si le lobby de l’industrie des sables bitumineux, très actif auprès du gouvernement Trudeau, use de pratiques commerciales trompeuses en affirmant que l’exploitation pétrolière est sur la voie de la « carboneutralité ».
La procédure découle d’une plainte déposée par Greenpeace Canada, une démarche appuyée par l’ancienne ministre fédérale de l’Environnement Catherine McKenna.
Le déclenchement de cette enquête a été signifié à l’organisme écologiste dans une lettre rédigée par la Direction générale des cartels et des pratiques commerciales trompeuses du Bureau de la concurrence du Canada. Le document précise qu’une « enquête formelle » a été lancée en s’appuyant sur des dispositions de la Loi sur la concurrence qui touchent aux « indications trompeuses ». Ces informations ont été confirmées jeudi au Devoir par le Bureau de la concurrence.
La plainte déposée en mars par Greenpeace cible l’Alliance nouvelles voies, qui regroupe Canadian Natural, Cenovus, ConocoPhillips, Imperial, Meg Energy et Suncor. À elles seules, ces entreprises représentent 95 % de la production pétrolière des sables bitumineux, soit près de trois millions de barils par jour.
Les membres de l’Alliance nouvelles voies mènent depuis plusieurs mois une campagne de relations publiques afin de mettre en avant les efforts de l’industrie pour s’aligner sur l’objectif de « carboneutralité » du gouvernement fédéral à l’horizon 2050. « C’est clair, on avance à grands pas vers la carboneutralité », affirme ainsi le titre de la publicité publiée dans différents médias, sur les médias sociaux et lors d’événements sportifs.
Les entreprises misent surtout sur le développement d’un « réseau » de captage, d’utilisation et de stockage du carbone par l’industrie. La mise au point de cette technologie, qui en est encore à un stade expérimental, est une priorité pour le secteur des énergies fossiles, qui y voit une façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la production pétrolière.
Selon la publicité de l’industrie des sables bitumineux, la réduction attendue serait de « 10 millions de tonnes annuellement d’ici 2030 ». Le plus récent bilan des GES du Canada, soit celui de 2021, chiffre les émissions du secteur à plus de 85 millions de tonnes. Et celles-ci augmentent année après année.
Écoblanchiment
Dans sa plainte, Greenpeace dénonce le discours de l’industrie et affirme qu’il constitue « une tactique d’écoblanchiment ». « Nous pensons que le public mérite de connaître la vérité sur les dommages environnementaux causés par la production de combustibles fossiles, et non d’être abreuvé de déclarations trompeuses par l’industrie », a aussi fait valoir jeudi Nola Poirier, chercheuse et rédactrice chez Greenpeace Canada.
Les écologistes soulignent notamment que le plan de carboneutralité de l’industrie ne tient pas compte des émissions de gaz à effet de serre imputables à l’utilisation du pétrole, qui est principalement exporté et brûlé ailleurs dans le monde. Une estimation du ministère fédéral de l’Environnement a déjà indiqué qu’entre 2016 et 2020, les seules émissions liées au pétrole exporté ont atteint 3,22 milliards de tonnes de GES, soit une moyenne annuelle de près de 644 millions de tonnes.
Dans une déclaration écrite transmise au Devoir, l’Alliance nouvelles voies s’est défendue jeudi de recourir à des pratiques commerciales trompeuses. Son vice-président aux relations externes, Mark Cameron, y rappelle l’importance de l’industrie fossile dans l’économie canadienne tout en réaffirmant que les entreprises souhaitent s’attaquer au « défi climatique ».
« Notre campagne reconnaît que les sables bitumineux représentent une part importante des émissions du pays et que nous devons travailler en collaboration, y compris avec les gouvernements, pour atteindre notre objectif net zéro des opérations afin de fournir le meilleur baril de pétrole produit de façon responsable », a-t-il également expliqué.
Un lobby actif
Ce lobby des sables bitumineux est très actif, selon ce qui se dégage du registre des lobbyistes du Canada. À titre d’exemple, son président, Kendall Dilling, a déjà eu 28 « communications » avec des représentants du gouvernement depuis le début de l’année, dont plusieurs échanges avec des personnes haut placées au ministère de l’Environnement et du Changement climatique.
L’actuel gouvernement Trudeau avait invité l’Alliance nouvelles voies à tenir un événement au pavillon du Canada lors de la plus récente conférence climatique de l’ONU, la COP27. L’objectif était de permettre à l’industrie de présenter le projet de capture et de stockage de carbone censé lui permettre d’atteindre la carboneutralité. Le gouvernement Trudeau a d’ailleurs accordé des centaines de millions de dollars de fonds publics pour que soit évalué le potentiel de « viabilité commerciale » de cette technologie au Canada.
L’Association canadienne des producteurs pétroliers prévoit que les investissements dans la production de pétrole et de gaz naturel atteindront 40 milliards de dollars cette année. Il s’agit d’une troisième année d’affilée de croissance des investissements. Ceux dans les sables bitumineux devraient atteindre 11,5 milliards.