Trop compactées, les terres agricoles de Montérégie manquent sévèrement d’oxygène

La compaction des sols est un problème particulièrement aigu en Amérique du Nord, où la machinerie est très lourde.
Photo: iStock La compaction des sols est un problème particulièrement aigu en Amérique du Nord, où la machinerie est très lourde.

Les terres agricoles de la Montérégie consacrées à la culture du maïs sont en train d’étouffer. Compactés par des tracteurs depuis des décennies, ces sols deviennent de plus en plus inhospitaliers pour les plantes. À un point tel que, d’ici 20 ans, la rentabilité des fermes pourrait s’évaporer.

Voilà les résultats — « une tendance lourde » — que présentera ce jeudi Jean Caron, professeur à l’Université Laval, titulaire de la Chaire de recherche en conservation et restauration des sols organiques, à l’occasion du 90e congrès de l’Acfas.

Cette analyse, exposée ces derniers mois aux producteurs agricoles eux-mêmes, est une « découverte de rupture », selon M. Caron, qui devrait inciter la société québécoise à chérir la santé de ses sols pour éviter de gâcher l’une de ses plus grandes richesses.

Les sols trop compacts nuisent à la croissance des plantes. Les racines ne peuvent accéder à l’oxygène dont elles ont besoin. Elles ont aussi du mal à percer la terre. Le manque d’air force par ailleurs les microbes du sol à « respirer » avec de l’azote plutôt que de l’oxygène, ce qui diminue la disponibilité des engrais azotés pour les plantes.

À la demande d’agriculteurs préoccupés, M. Caron a mené ces dernières années une étude sur la santé des sols de 20 sites en Montérégie. Ces terres agricoles sont vouées aux grandes cultures : maïs, soya et blé. L’équipe du professeur d’agronomie y a prélevé des centaines d’échantillons lors des étés 2019, 2021 et 2022.

Conventionnellement, les agronomes mesurent la densité du sol pour évaluer si, oui ou non, celui-ci est trop compact. Cette approche ne prend toutefois pas en compte la connectivité des aspérités dans la terre, une condition essentielle pour que l’air puisse se rendre aux racines.

En laboratoire, M. Caron et ses collaborateurs ont donc mesuré la densité des échantillons de terre, mais aussi la diffusivité relative des gaz. Cet indicateur donne une meilleure idée de l’interconnexion des pores dans le sol. Les résultats sont sans équivoque, selon le chercheur : les sols étouffent.

Dans 90 % des échantillons, l’air se diffuse si difficilement que les racines de la plante vont manquer d’oxygène. Et 40 % des sols sont si compacts qu’ils sont affectés par des problèmes de drainage de l’eau. (Ces résultats n’ont pas encore été révisés par les pairs.)

En outre, M. Caron détecte une corrélation entre la compaction du sol — mesurée grâce à la diffusivité des gaz — et les rendements de maïs. Cette relation tient pour plusieurs années, différents types de sols, différents calendriers de production. « C’est vraiment un mécanisme de fond qui agit, dit-il. J’ai rarement vu des données comme ça dans ma carrière de chercheur. »

Et le phénomène n’est pas près de s’inverser. « Si votre sol se densifie, il faudra un tracteur plus gros, qui va consommer plus d’énergie, pour labourer le sol. Et la facture d’engrais va augmenter aussi, parce que l’azote sera de moins en moins efficace. Les revenus bruts vont diminuer, et les dépenses nettes vont augmenter. »

Le professeur prévoit ainsi que si la tendance à la compaction se maintient, il ne sera plus rentable de faire pousser du maïs sur ces terres montérégiennes d’ici une vingtaine d’années. Plus de 60 % des grandes cultures du Québec se trouvent dans cette région.

Du cheval au tracteur

La compaction des sols — un problème mondial, mais particulièrement aigu en Amérique du Nord, où la machinerie est très lourde — aura aussi tendance à rehausser les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur de l’agriculture, car elle favorisera la dénitrification.

La dénitrification correspond à la respiration de l’azote par les microbes du sol. Ce processus relâche du protoxyde d’azote (N2O), un GES très puissant qui compte pour environ 5 % des émissions du Québec. Le gouvernement veut d’ailleurs réduire de 15 % le recours aux engrais azotés d’ici 2030.

Or, les résultats de M. Caron laissent croire qu’en raison du manque d’oxygène dans le sol, l’appétit des microbes pour les engrais azotés sera croissant. Étant donné cette compétition, pour la même quantité de fertilisant épandu, le coup de pouce aux plantes sera moindre, et les émissions de N2O, supérieures.

Depuis que les chevaux de trait ont laissé leur place aux tracteurs, vers la moitié du XXe siècle, la compaction du sol se répand de plus en plus profondément dans les terres cultivées. Labourer jusqu’à 80 centimètres de profondeur pourrait régler le problème, mais impliquerait un coût prohibitif.

D’autres solutions existent, explique le professeur Caron. Faire des rotations avec des plantes aux systèmes racinaires plus profonds. Choisir des tracteurs beaucoup moins lourds. Élaborer plus systématiquement des plans de drainage. Planter des arbres à certains endroits stratégiques.

Bref, il faut s’attaquer au problème, une bouchée à la fois. Au lieu d’acheter davantage d’engrais chimiques, « on pourrait favoriser la santé des sols », suggère M. Caron.

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