La Société des traversiers du Québec pourrait déménager un traversier à Gros-Cacouna

La Société des traversiers du Québec évalue ses options pour la construction d’un nouveau quai pour le traversier qui assure la liaison entre le Bas-Saint-Laurent et Charlevoix. Le port de Gros-Cacouna, situé dans un habitat névralgique pour le béluga, fait partie des sites à l’étude. Le Devoir n’a toutefois pas pu obtenir de détails sur le développement du projet, malgré trois demandes d’accès à l’information.
La Société québécoise des infrastructures (SQI) a été mandatée pour élaborer un projet qui doit permettre d’assurer la pérennité du lien fluvial entre le Bas-Saint-Laurent et Charlevoix. L’objectif est de construire un quai « pour une durée de vie de 50 ans », afin d’y mettre en service le navire NM Saaremaa.
« Le projet devra diminuer substantiellement, voire éliminer, le dragage et étendre le service à la période hivernale, bonifiant ainsi le service actuel », précise le « Tableau de bord des projets d’infrastructure » du Secrétariat du Conseil du trésor. Il faut savoir que l’utilisation du quai deRivière-du-Loup, d’où part le navireTrans-St-Laurent pour se rendre à Saint-Siméon, dans Charlevoix, nécessite des travaux de dragage de sédiments sur une base annuelle.
La Société des traversiers du Québec (STQ) doit donc « évaluer différentes options afin de déterminer la solution optimale », précise la société d’État dans une réponse écrite à nos questions. « Le site actuel de Rivière-du-Loup et le site du port de Gros-Cacouna sont étudiés dans le cadre du dossier d’opportunité », ajoute-t-on.
La possibilité du déménagement du lien fluvial entre les rives nord et sud de l’estuaire du Saint-Laurent est d’ailleurs un enjeu majeur dans la région, en raison des implications économiques du dossier. Les Louperivois « souhaitent conserver ce service essentiel » au site actuel et redoutent « des conséquences économiques majeures, voire catastrophiques, pour l’industrie touristique », selon la municipalité de Rivière-du-Loup. À Cacouna, on veut au contraire accueillir le traversier, jugeant que le port en eaux profondes serait à même d’offrir le service, même s’il a un mandat industriel et commercial.
La STQ se montre toutefois avare de commentaires sur le développement du projet. « Le dossier d’opportunité suit les étapes déterminées par la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, et une décision devrait être rendue ce printemps », a-t-on simplement indiqué par courriel.
Informations refusées
Le Devoir a tenté d’obtenir des informations supplémentaires concernant le projet de nouveau quai en utilisant les dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Le ministère des Transports et de la Mobilité durable nous a refusé l’accès aux documents demandés en invoquant le fait qu’ils contiennent « des analyses, avis et recommandations », mais aussi qu’un document était « destiné à un membre du Conseil des ministres ».
Le ministère nous a renvoyés vers la STQ, qui nous a aussi refusé l’accès aux documents demandés en invoquant quatre articles de la loi. « Après analyse, il n’est pas possible de donner suite à votre demande », nous a également répondu la SQI, en évoquant cinq articles de loi.
« Lesdits documents ont été confectionnés dans le cadre d’un processus décisionnel en cours, et leur contenu est formé d’analyses, d’avis et de recommandations. Puisque ces documents sont formés en substance de renseignements qui ne sont pas accessibles en vertu des articles susmentionnés, les documents ne sont pas accessibles », écrit la SQI.
Le cabinet de la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, a simplement indiqué que le projet est « à l’étude ».
Bélugas
S’il n’est pas possible d’obtenir de détails concernant les analyses en cours, la décision qui sera prise pourrait s’avérer importante pour le béluga du Saint-Laurent. En effet, si le choix final s’arrête sur le port de Gros-Cacouna, le nouveau quai serait aménagé dans un secteur connu comme étant une « pouponnière » de l’espèce. L’utilisation intensive du secteur, notamment par des femelles accompagnées de jeunes, a d’ailleurs été réaffirmée par les experts de l’espèce dans le cadre du Symposium béluga 2023, qui se tenait à Montréal au cours des derniers jours.
« C’est un peu l’éléphant dans la pièce.Si jamais le traversier partait de Gros-Cacouna, ça augmenterait beaucoup les passages de navires. Actuellement, le port est relativement peu utilisé », souligne le président du comité de coordination du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, Émilien Pelletier.
« Il y a des enjeux pour le béluga dans ce secteur, et les enjeux vont se présenter très rapidement avec l’agrandissement du parc marin, parce que le secteur de Cacouna sera très certainement inclus dans le parc », ajoute-t-il. Le gouvernement du Québec et celui du Canada ont en effet annoncé plus tôt cette année leur intention d’agrandir la superficie du parc afin d’inclure la totalité de l’habitat essentiel estival du béluga, qui comprend le secteur de Cacouna.
Selon M. Pelletier, l’évaluation de ce volet environnemental du projet serait donc essentielle, notamment afin de vérifier l’impact du traversier NM Saaremaa, qui est actuellement utilisé pour le lien fluvial Matane–Baie-Comeau–Godbout. Ce navire, construit en 2010, est plus imposant, mais plus récent que le Trans-St-Laurent, construit en 1963. Un projet sur la « signature acoustique » des traversiers de la STQ est en cours.
Professeur en modélisation des systèmes socio-écologiques à l’Université du Québec en Outaouais, Clément Chion estime qu’« on manque d’informations » actuellement pour bien évaluer les impacts potentiels du lien fluvial sur les bélugas, qu’il parte de Rivière-du-Loup ou de Gros-Cacouna. « Il faudrait mener de nouvelles études pour analyser l’impact réel sur le comportement des animaux, les effets du dérangement, par exemple au moment de la mise bas, etc. », souligne-t-il.
En plus de la décision concernant l’avenir du traversier dans la région, le gouvernement du Québec doit décider cette année s’il autorise deux projets récurrents de dragage et de rejet de sédiments, pour les ports de Rivière-du-Loup et de Gros-Cacouna. Il n’existe toutefois aucune étude scientifique permettant d’évaluer les impacts de ces opérations sur le béluga.
Avec Dave Noël