Des embouteilleurs se disent injustement ciblés par Québec

Le ministre Benoit Charette a publié le mois dernier deux projets de règlements : un pour rendre publiques les quantités d’eau pompée par chaque entreprise dans une année et un autre pour concrétiser les hausses de redevances.
Photo: iStock Le ministre Benoit Charette a publié le mois dernier deux projets de règlements : un pour rendre publiques les quantités d’eau pompée par chaque entreprise dans une année et un autre pour concrétiser les hausses de redevances.

Une ressource économique essentielle à la vie : Le Devoir publie ce premier article dans le cadre de la série « Le Québec et son eau ».

Des embouteilleurs d’eau se disent injustement ciblés par les nouvelles dispositions réglementaires mises de l’avant par le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, pour protéger la ressource. D’autres industries mettent davantage à mal l’or bleu du Québec, estiment-ils.

Chaque année, les entreprises assujetties à la « redevance exigible pour l’utilisation de l’eau » prélèvent non moins de 800 milliards de litres d’eau douce dans les lacs, les rivières, les aqueducs et le souterrain québécois. En 2022, les fabricants de boissons et les embouteilleurs — Coca-Cola, Pepsi, Naya et autres Amaro — en ont pompé environ 5,5 milliards, soit 0,7 % du total, indiquent des données obtenues par Le Devoir auprès du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

Au début du mois d’avril, le ministre Charette a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 20 « instituant le Fonds bleu et modifiant d’autres dispositions ». Long d’à peine six pages, le texte législatif, qui sera étudié cette semaine au parlement, prévoit la révision à la hausse des redevances imposées aux industries qui utilisent l’eau du Québec. Celles-ci n’ont pas été mises à jour depuis douze ans.

Dans la foulée du dépôt de ce projet de loi, M. Charette a publié le mois dernier deux projets de règlements : un pour rendre publiques les quantités d’eau pompée par chaque entreprise dans une année et un autre pour concrétiser les hausses de redevances.

Ce dernier impose à la plupart des compagnies qui utilisent l’eau du Québec des coûts de 2 à 14 fois plus élevés qu’auparavant. Mais il assujettit tout particulièrement les entreprises qui embouteillent l’eau à une redevance de 500 $ par million de litres prélevés. Plus encore, il indexe ces sommes de 3 % annuellement.

« Petits utilisateurs »

Les données obtenues par Le Devoir auprès du ministère montrent que certaines industries installées au Québec s’abreuvent de quantités d’eau jusqu’à 64 fois plus élevées que celles qui l’embouteillent afin de la vendre. C’est le cas de celle des pâtes et papiers (352 milliards de litres en 2022), des mines (150 milliards) et des fonderies (54 milliards), notamment.

« On est vraiment un petit utilisateur quand on regarde l’ensemble des utilisateurs d’eau au Québec, mais c’est nous qui sommes les plus visés par les nouvelles redevances », déplore Martin-Pierre Pelletier, conseiller et porte-parole de l’Association canadienne des boissons, un organisme qui représente plusieurs multinationales, comme Pepsi et Coca-Cola.

En réglementant ainsi, le ministre Charette forcera « fort probablement » les embouteilleurs à refiler des frais au consommateur, ajoute-t-il en entrevue.

Ces industries-là [les embouteilleurs] font une activité commerciale spécifique sur cette ressource-là. Donc, elles font de l’argent grâce à l’eau.

Dans son projet de règlement, le ministre de l’Environnement a prévu allonger la facture de l’ensemble des entreprises qui paient des redevances. Or, celles qui n’incluent pas d’eau dans leur produit final, comme les papetières ou les manufactures, auront à payer 35 $ le million de litres, contre 500 $ pour les embouteilleurs, dénonce M. Pelletier. « On est prêts à payer une redevance, mais on voudrait que tous les utilisateurs d’eau, peu importe les fins, aient la même », soutient-il.

Un raisonnement illogique selon la directrice générale de l’organisme Eau secours, Rébecca Pétrin. « Ces industries-là [les embouteilleurs] font une activité commerciale spécifique sur cette ressource-là. Donc, elles font de l’argent grâce à l’eau. Une papetière, une minière ne font pas d’argent grâce à l’eau. Elles utilisent de l’eau qui, en grande partie, retourne dans l’environnement », constate-t-elle.

Cette titulaire d’une maîtrise en gestion de l’environnement soulève que les « tarifs très ambitieux » imposés lors de l’instauration de la redevance en 2011 n’ont pas évolué depuis. Les revenus issus de l’eau, une ressource ayant un statut légal au Québec, n’ont donc pas suivi l’inflation.

Au même titre que Naya ou Eska, « une minière va devoir payer une redevance sur la ressource qu’elle va extraire », constate Mme Pétrin. « Donc, c’est un peu la même chose pour les embouteilleurs. On leur donne l’autorisation d’utiliser une ressource commune pour faire de l’argent. En échange, ils paient une redevance qui est plus élevée. »

Lever le secret sur l’eau

En plus d’imposer davantage de redevances aux préleveurs d’eau, le ministre de l’Environnement prévoit rendre publiques dès l’an prochain les quantités exactes de la ressource qu’ils prélèvent partout au Québec. Cela vient répondre à un jugement de la Cour du Québec rendu il y a un an, et selon lequel le secret commercial empêchait à l’État de publiciser ces statistiques.

Cette décision de Benoit Charette, une victoire selon le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), vient prendre à partie les petites entreprises, rétorque le président et propriétaire de l’entreprise d’eau de source Amaro, Daniel Colpron.

« Si on déclare notre volume d’eau, c’est un peu comme si on déclarait notre chiffre d’affaires. C’est tout simplement pour protéger notre marché qu’on juge que c’est une information confidentielle », lance-t-il, inquiet.

Le responsable des réformes législatives et réglementaires du CQDE, l’avocat Merlin Voghel soutient qu’il s’agit là de « données essentielles ». « Dans la loi sur l’eau, on prévoit le principe de transparence. On prévoit aussi le droit de participation des citoyens aux décisions sur l’eau », observe-t-il. « Dans ce contexte, comment participe-t-on aux décisions si on n’a pas les données ? »

« Est-ce qu’on peut se permettre qu’une minière s’installe par exemple dans un bassin-versant où on vit déjà des pénuries d’eau plusieurs semaines par année ? Ce sont des données qui vont nous permettre de prendre des décisions éclairées », ajoute Mme Pétrin.

Les deux règlements du gouvernement de François Legault doivent entrer en vigueur le 1er janvier prochain. En attendant, les embouteilleurs veulent adopter une position de dialogue, indique Martin-Pierre Pelletier. Aucune contestation n’est prévue, du moins pour le moment.

Les consultations particulières sur le projet de loi 20 s’amorcent mardi, à Québec.

Une version précédente de ce texte, qui indiquait que les entreprises qui n’incluent pas d’eau dans leur produit final auraient à payer une redevance de 35 $ le mètre cube d'eau, a été modifiée.

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