Tirer des leçons des inondations

À Baie-Saint-Paul, les dégâts importants ont pris de court plusieurs citoyens. Sur la photo, un homme filmait les dégâts sur la rue Saint-Joseph, le 2 mai.
Photo: Francis Vachon Le Devoir À Baie-Saint-Paul, les dégâts importants ont pris de court plusieurs citoyens. Sur la photo, un homme filmait les dégâts sur la rue Saint-Joseph, le 2 mai.

Les inondations successives de 2017 et de 2019 ont eu l’effet d’un électrochoc qui a permis une prise de conscience des lacunes en matière de prévention des catastrophes naturelles au Québec. Depuis, la cartographie des zones inondables s’est beaucoup raffinée et des plans d’intervention ont été mis en place dans de nombreuses municipalités, mais beaucoup de chemin reste à faire avant de sortir le Québec d’un mode de gestion de crise plutôt au profit d’une saine gestion du risque, signalent des experts.

Ce n’est pas d’hier qu’au Québec, les rivières se déchaînent et sortent de leur lit, causant d’importants dégâts. Mais les changements climatiques, qui tendent à rendre ces phénomènes plus fréquents, obligent une révision approfondie des moyens à mettre en place pour faire face aux soubresauts de la nature.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Le Québec a-t-il tiré des leçons des inondations de 2017 et de 2019 ? « Oui et non », répond Philippe Gachon, professeur au Département de géographie de l’UQAM et directeur général du Réseau inondations intersectoriel du Québec.

Dans la foulée des inondations de 2017, qui avaient touché plusieurs régions, dont l’Outaouais, le gouvernement libéral avait mis en place le programme Info-Crue et entrepris une révision de la cartographie. Les inondations de 2019 avaient par la suite amené le gouvernement de la Coalition avenir Québec à instaurer le Plan de protection du territoire face aux inondations.

Ces initiatives ont donné lieu à d’importants progrès et à une mobilisation des ressources scientifiques pour ouvrir les vases clos dans lesquels elles étaient confinées, avance Philippe Gachon. Mais selon lui, il y a loin de la coupe aux lèvres.

« Le problème est complexe, mais on n’a pas de vision d’ensemble », déplore-t-il. Il cite à titre d’exemple les enjeux non résolus de fiscalité des municipalités, qui tirent l’essentiel de leurs revenus de l’impôt foncier. Or, une municipalité n’aura pas avantage à reloger ses citoyens vivant dans des zones à risque si elle perd des revenus de taxes. Sans refonte de la fiscalité et des programmes d’indemnisation pour les revenus perdus, le problème reste entier, estime l’expert.

M. Gachon cite aussi le Rapport d’évaluation mondial 2022 sur la réduction des risques de catastrophe de l’ONU, qui avait fait état d’une croissance du nombre de catastrophes et révélé l’incapacité des autorités à y faire face. « La leçon que tous les désastres nous apprennent — et la COVID l’a rappelé —, c’est que les gouvernements et les États passent leur temps à faire de la gestion de crise. On ne fait pas d’anticipation. On n’est pas proactifs. »

Selon lui, pour mieux faire face aux inondations, le Québec devrait créer un véritable observatoire sur les risques d’inondation avec le réseau universitaire.

Délocaliser

 

Mais, sur le terrain, comment mieux protéger les territoires des inondations ? En 2019, Québec avait autorisé la reconstruction et le rehaussement de la digue de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, qui avait cédé lors de la crue des eaux. « Les digues, c’est problématique, parce qu’un jour, il va y avoir une crue vraiment exceptionnelle qui pourrait soit dépasser le niveau de la digue, soit créer des brèches », rappelle Pascale Biron, professeure au Département de géographie de l’Université Concordia. « Là, ça devient vraiment catastrophique parce que ça se passe très rapidement, et les gens ne sont pas du tout préparés parce qu’ils se pensent en sécurité. »

À Sainte-Marie de Beauce, les inondations à répétition ont incité la municipalité à prendre les grands moyens et à déménager son centre-ville. « La délocalisation, c’est la mesure qui règle le mieux les problèmes à long terme, admet Pascale Biron. Ça peut paraître cher, de déménager les gens, mais à long terme, c’est plus économique. »

Reste qu’il n’est pas réaliste de penser qu’il serait possible de reloger systématiquement les résidents vivant dans les zones à risque élevé. Parfois, seules des inondations à répétition convaincront ces citoyens d’envisager un déménagement. Mais encore là, la marge de manoeuvre est limitée. « Il y a un espace de temps assez court — environ deux ans — après un gros événement pour agir. Après ça, les gens ont tendance à oublier ou ils ont vendu leur propriété », souligne Mme Biron.

Différentes stratégies

 

Les municipalités ont amélioré leurs plans d’intervention au fil des ans afin de mieux se préparer aux crues printanières. Depuis les inondations de 2017 et de 2019, le terme « résilience » revient souvent dans la bouche des élus municipaux.

Les municipalités réclament d’ailleurs un financement de 2 milliards de dollars sur cinq ans pour l’adaptation aux changements climatiques. Jeudi, devant les membres de l’Union des municipalités du Québec réunis à Gatineau, le premier ministre François Legault a toutefois soutenu que le gouvernement n’avait pas la marge de manoeuvre requise pour accéder à cette demande.

Mais comment, à long terme, les villes peuvent-elles mieux protéger leur territoire ? À cet égard, il faut distinguer les épisodes de pluie très intense des débordements des rivières, souligne Pascale Biron.

À titre d’exemple, les réseaux d’égouts tels qu’ils sont conçus actuellement débordent rapidement lorsque les précipitations sont intenses. Dans ce contexte, les villes doivent tenter de détourner les eaux des égouts avec des aménagements permettant une plus grande perméabilité des sols, comme des saillies de trottoir ou la création de milieux humides.

Mais ces mesures ont leurs limites quand il est question de rivières qui débordent. « Même si on met un parc ou un milieu humide autour de Rigaud, ça ne va pas arrêter la rivière des Outaouais », note Mme Biron.

Aux prises avec des inondations à répétition, la municipalité de Coaticook a pour sa part opté pour la construction d’un bassin de rétention afin de mieux limiter les ardeurs dévastatrices du ruisseau Pratt au centre-ville.

Professeure à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, Isabelle Thomas évoque d’autres stratégies visant à adapter les habitations à l’environnement. Elle cite La Nouvelle-Orléans, où, dans la foulée de l’ouragan Katrina, les autorités ont mis en place des subventions pour permettre aux sinistrés de surélever leur habitation, plutôt que de leur offrir des indemnisations qui, à la longue, devenaient très coûteuses. « Ça s’appelle vivre avec l’eau, dit-elle. Au Québec, il y a déjà des outils flexibles qui sont proposés aux citoyens, mais je pense qu’il faut aller encore plus loin et revoir comment on peut s’adapter et accompagner les citoyens et les acteurs locaux. »

La restauration écologique des berges semble aller de soi, mais la relocalisation des habitations peut devenir complexe. « Je pense qu’il y a des progrès à faire, comme développer un droit de préemption pour permettre aux municipalités qui auraient des projets d’aménagement ou au gouvernement de racheter des terrains. »

Mme Thomas signale que les bâtiments qui ont été inondés à plus de 50 % en 2017 et en 2019 ont déjà été déconstruits et rachetés par le ministère de la Sécurité publique. « Donc, cette métamorphose est déjà en cours. L’idée, c’est de réfléchir ensemble, collectivement, pour organiser l’aménagement du territoire. »



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