Des titres miniers bloquent des projets de protection de la biodiversité

Pas moins de 7617 km2 d’habitats du caribou forestier identifiés comme des secteurs prioritaires à préserver sont ciblés par des permis d’exploration minière.
Jean-Simon Bégin Pas moins de 7617 km2 d’habitats du caribou forestier identifiés comme des secteurs prioritaires à préserver sont ciblés par des permis d’exploration minière.

L’explosion récente du nombre de claims miniers au Québec représente une menace directe pour la protection de la biodiversité, affirme la Société pour la nature et les parcs. Ces permis accordés à l’industrie bloqueraient plusieurs projets d’aires protégées, en plus de couvrir des milliers de kilomètres carrés d’habitats du caribou.

Selon des données compilées par la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP Québec) et obtenues par Le Devoir, l’augmentation de 65 % du nombre de claims miniers dans les deux dernières années n’est pas sans conséquences pour les projets de protection d’écosystèmes importants dans différentes régions de la province.

L’organisation évalue, en se basant notamment sur les cartes des projets de protection de milieux naturels et celles des titres d’exploration, que 32 projets seraient tout simplement bloqués en raison de la préséance des droits de l’industrie minière sur ces territoires, qui représentent une superficie totale de 28 441 km2.

Ces projets sont situés dans plusieurs régions, constate-t-on, alors que le gouvernement Legault mène des consultations publiques provinciales dans le but de favoriser un « développement harmonieux de l’activité minière ».

Territoires ciblés

 

Des titres d’exploration empiètent notamment sur un projet d’aire protégée de la rivière Cascapédia, qui parcourt notamment une partie du territoire de la Gaspésie. Le gouvernement Legault avait pourtant promis en juin 2022 de « mettre en réserve » ce territoire de 347 km2.

D’autres titres miniers recoupent des territoires visés pour accroître la protection de milieux naturels bien connus au Québec, dont la région de la rivière Magpie, sur la Côte-Nord, et la tête de la rivière Saint-Jean, une rivière à saumon de la Gaspésie.

Dans la région de Lanaudière, trois secteurs faisant partie des projets d’aires protégées identifiés par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs sont aujourd’hui en partie soumis à des permis d’exploration. En Gaspésie, 25 % du territoire de la ZEC des Anses est couvert de titres miniers.

On dénombre aussi des centaines de claims dans le bassin-versant de la rivière Moisie, une rivière à saumon protégée située à quelques kilomètres de Sept-Îles. Les permis y recoupent des territoires d’intérêt pour la protection du patrimoine innu, dont des sites naturels sacrés et des chemins de portage traditionnels.


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Caribous ou mines ?

En Gaspésie, le secteur de Vallières-de-Saint-Réal est couvert en partie de titres miniers, alors que les experts l’ont déjà identifié comme une zone à protéger pour réduire les risques d’extinction de la trentaine de derniers caribous de la région. Mais ce n’est pas tout, puisqu’on retrouve des titres miniers au sud, au nord et à l’est du parc national de la Gaspésie, et ce, directement dans l’habitat du cervidé.

Les données qui seront publiées jeudi par la SNAP Québec démontrent par ailleurs que 7617 km2 d’habitats du caribou forestier identifiés comme des secteurs prioritaires à préserver sont aujourd’hui ciblés pour d’éventuels projets d’exploration minière. Selon l’organisme, cela soulève des questions sur les mesures de protection qui sont censées être annoncées dans le cadre de la « stratégie » promise le mois prochain par le gouvernement Legault.

À cela s’ajoutent au moins 1250 km2 d’habitats de mise bas du caribou migrateur, une espèce que le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada a recommandé de classer comme étant « en voie de disparition », et ce, dès 2017. Six ans plus tard, ces habitats ne sont toujours pas protégés par Québec. Fait à noter, les superficies compilées par la SNAP Québec ne tiennent pas compte de potentiels projets miniers qu’on trouve sur les routes migratoires de ce cervidé.

Réforme

 

« Les claims et les activités d’exploration minière ont des impacts bien réels sur les milieux naturels. Si le gouvernement souhaite progresser vers la cible de 30 % de protection du territoire d’ici la fin de son mandat, il doit sortir de l’impasse et réformer le régime minier », affirme Alice de Swarte, directrice principale à la SNAP Québec.

L’organisme suggère dans un premier temps à la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, de recourir à l’article 82 de la Loi sur les mines. Celui-ci lui permet de suspendre les travaux miniers « à des fins d’utilité publique ». On ajoute que l’article 304 de cette même loi pourrait aussi permettre de soustraire des territoires à la désignation de nouveaux permis.

« Une révision de la Loi sur les mines devrait subséquemment prévoir d’abolir l’obligation d’indemniser les détenteurs de claims, en plus de mettre fin à la préséance minière », ajoute la SNAP Québec.

Mardi, la ministre des Ressources naturelles et des Forêts a indiqué que le nombre de titres d’exploration avait augmenté de 65 % en seulement deux ans au Québec. Ceux-ci couvrent actuellement 160 000 km2 de territoire. Or, à peine 20 % des permis font l’objet de travaux d’exploration, a admis Mme Blanchette Vézina.

Mercredi, le ministre de l’Économie et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a d’ailleurs fait valoir qu’il serait « peut-être » souhaitable d’instaurer des mécanismes afin de resserrer les conditions qui permettent de maintenir les droits d’exploration minière.

Actuellement, la période de validité d’un permis d’exploration est de deux ans. Le titulaire peut renouveler son titre indéfiniment, dans la mesure où il satisfait aux conditions prévues par la Loi sur les mines, notamment la réalisation de travaux d’exploration dont la nature et les montants sont déterminés par règlement.

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