Une ruelle bleue-verte pour faire la pluie, mais surtout le beau temps

Les ruelles vertes ajoutent une teinte de bleu à leur palette. À Montréal, un nouveau type d’aménagement vise à transformer ces passages en lieu d’harmonie avec la pluie. Objectif : faire émerger l’éponge de la nature enfouie sous le béton des villes pour éviter que les eaux pluviales se retrouvent systématiquement dans le réseau municipal.
Chaque année, en moyenne, le ciel déverse 764 mm de pluie sur Montréal, selon les données de la Ville. Avec les toitures, les chaussées et les stationnements qui tapissent l’île, chaque goutte a 75 % de risques de heurter une surface minéralisée et imperméable, véritable voie rapide vers les canalisations municipales.
Et bien que les conduites d’eau et d’égout de la métropole puissent, mises bout à bout, atteindre Bagdad, ces 9000 km de canalisations se remplissent vite en cas d’averses importantes. Le déluge tombé le 13 septembre dernier à Montréal a témoigné, pour le plus grand malheur des inondés, des conséquences qu’une pluie diluvienne peut faire subir à une ville et à ses résidents.
Montréal présente une fragilité particulière devant la pluie, puisque les deux tiers de ses canalisations, surtout situées au centre et dans l’est de la ville, sont unitaires, c’est-à-dire que les eaux usées et les eaux de ruissellement aboutissent dans les mêmes conduits.
« Comme ils transportent l’eau de pluie en plus de l’eau sanitaire, leur débit peut augmenter de beaucoup en période d’orage ou de pluie intense, et même présenter des risques de débordement », écrit la Ville sur la page de son réseau d’égouts.
Or un nouveau modèle d’aménagement s’apprête à voir le jour dans Pointe-Saint-Charles, à Montréal, avec l’ambition d’apporter une solution à ce problème qui frappe des milieux urbains de plus en plus soumis aux aléas du climat.
Les ruelles bleues-vertes proposent de mettre en valeur l’eau là où elle tombe plutôt que de la laisser disparaître dans un drain directement relié aux canalisations municipales.
« Nous sommes partis de la prémisse que, d’abord et avant tout, nous devons trouver une manière différente de gérer l’eau de pluie en milieu urbain, explique Véronique Fournier, directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal. Nous avons travaillé à partir de deux caractéristiques de Montréal : ses toits plats et ses ruelles. »
Une pierre, plusieurs coups
L’idée paraît simple : détourner la fuite de la pluie vers l’extérieur des bâtiments pour que son eau irrigue des aménagements situés en bordure des façades. La solution évite de saturer les canalisations, tout en contribuant à verdir et à embellir le voisinage.
Depuis le printemps 2022, les pelleteuses s’activent donc autour du Bâtiment 7, un édifice industriel autrefois désaffecté converti en haut lieu de mobilisation populaire. Des noues et des bassins de rétention apparaissent désormais là où s’étalait, il y a un an à peine, une banale langue de terre bétonnée. Il y a deux semaines, le trottoir qui sillonnera ces « jardins de pluie » sortait de terre.
En juin, une brigade de volontaires mettra la main finale au chantier en plantant 3000 arbustes, végétaux et autres herbes, tous choisis pour leur capacité à retenir l’eau. L’arrondissement, de son côté, mettra en terre des arbres pour bonifier la canopée.

En tout, la ruelle bleue-verte du Bâtiment 7 ajoutera 625 mètres carrés d’espaces végétalisés dans le secteur, et plus de 7500 végétaux, et permettra le détournement de 9000 mètres cubes d’eaux pluviales chaque année, soit l’équivalent de deux piscines olympiques et demie qui, autrement, aboutissaient dans le réseau municipal.
« La philosophie à l’origine de la ruelle bleue-verte, c’est de faire d’une pierre, plusieurs coups, souligne Pascale Rouillé, présidente des Ateliers Ublo, la firme d’aménagement qui a conçu le projet autour du Bâtiment 7. Nous travaillons sur les eaux pluviales tout en verdissant, en créant des milieux de vie, en ramenant de la biodiversité, en travaillant sur la mobilité dans le cadre de ces chantiers-là. Je ne parle plus de gestion des eaux pluviales, mais d’intégration des eaux pluviales. »
Nouveau partage des eaux
Au total, le chantier de la ruelle bleue-verte de Pointe-Saint-Charles aura coûté environ 1,4 million de dollars, de sa conception jusqu’à son aboutissement. Une facture à relativiser, précise toutefois Véronique Fournier, puisqu’elle a été gonflée par la pandémie, et par des retards imprévus en raison d’un sol contaminé et du caractère novateur de la démarche.
En effet, « pour une première fois au Canada », selon la directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, la gestion des eaux pluviales se trouve partagée entre les secteurs public et privé.
Nous sommes partis de la prémisse que, d’abord et avant tout, nous devons trouver une manière différente de gérer l’eau de pluie en milieu urbain
Dans ce cas-ci, le Bâtiment 7 et la Ville travaillent de concert avec la communauté. Le premier accepte notamment de dévier sa plomberie et de contribuer à l’entretien des installations en partenariat avec l’autorité publique. Cette dernière, de son côté, participe à l’aménagement et au financement d’une ruelle nouveau genre, qui offre un milieu de vie à la population riveraine.
« L’eau circule partout, elle ne s’arrête pas au découpage foncier, explique Véronique Fournier. Il faut donc revoir sa gouvernance parce que nous n’avons pas le choix d’avoir une solution partagée : personne ne peut avoir la réponse seul dans son coin. »
C’est dans le but de réunir les différents acteurs privés, publics et communautaires que l’Alliance des ruelles bleues-vertes a vu le jour. Elle mise sur la concertation pour conjuguer les volontés et les énergies autour d’un même chantier commun.
Cette mutualisation des responsabilités est inédite, et il a fallu que la Ville modifie son cadre réglementaire pour lui donner vie. La ruelle bleue-verte de Pointe-Saint-Charles a balisé le chemin, en quelque sorte, pour faciliter l’émergence d’autres initiatives du genre.
« La fréquence et l’intensité des pluies qui tombent sur la métropole vont aller en augmentant, indique Véronique Fournier. Dans nos villes, la nature ne peut plus jouer son rôle d’éponge puisqu’elle est loin d’être dominante par rapport aux surfaces minéralisées. Nous n’avons pas le choix, conclut-elle, d’insérer des infrastructures vertes dans un cadre presque bâti à 100 % si nous voulons continuer de densifier nos villes, sans avoir à sans cesse dépenser des millions pour agrandir nos canalisations. »