Aider les villes à financer leur virage vert

Alexandra Duchaine
Collaboration spéciale
Les municipalités ont un rôle « essentiel » à jouer dans le développement de modes de locomotion actifs et collectifs, estime Alain Webster, professeur en économie de l’écologie de l’Université de Sherbrooke.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Les municipalités ont un rôle « essentiel » à jouer dans le développement de modes de locomotion actifs et collectifs, estime Alain Webster, professeur en économie de l’écologie de l’Université de Sherbrooke.

Ce texte fait partie du cahier spécial Municipalités

Au programme des Assises de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), deux événements visent à donner un coup de pouce aux municipalités en quête de revenus pour favoriser leur transition écologique. Entretien avec le vice-président de l’UMQ et avec des experts qui prendront part aux discussions.

Le maire de Varennes, Martin Damphousse, participe depuis 16 ans aux Assises de l’UMQ. En visitant les stands du salon d’exposition, en assistant aux panels et en discutant avec ses homologues, il a découvert durant ce congrès annuel « plein, plein » d’innovations plus respectueuses de la planète qu’il a par la suite mises en place pour ses citoyens. Il cite en exemple un camion de pompier 100 % électrique et des lumières à DEL pour les éclairages de rue.

« Il y a une effervescente extraordinaire là-bas. J’adore ça ! » affirme celui qui tient les rênes de la ville de Montérégie depuis 14 ans. À titre de vice-président de l’UMQ pour une deuxième année consécutive, il avance que deux sujets seront sur toutes les lèvres durant l’événement : la crise du logement, ressentie dans l’ensemble des régions du Québec, et la fiscalité.

« Tout le monde parle de revoir le modèle financier du monde municipal. On dépend à 70 % du revenu de la taxation foncière. Si on veut augmenter nos revenus, il faut augmenter nos bâtis, et donc construire davantage ». Un non-sens dans le contexte de la crise climatique, croit le Varennois.

Les villes, dont celles de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), affirme-t-il, aspirent à protéger les aires boisées, les zones humides, la biodiversité, les terres agricoles, et à transformer les terrains de golf en parcs. Elles souhaitent participer à la mouvance écologique, tout en rénovant leurs infrastructures et en imaginant des stratégies pour devenir plus résilientes quant aux dérèglements climatiques. Mais tout cela, dans le contexte fiscal actuel rendant les administrations dépendantes des nouvelles constructions, coûterait « beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent, sans rapporter un sou ».

Conférence — diversifier les revenus municipaux, mission impossible ?

Le 4 mai, un séminaire animé par le journaliste et chroniqueur Jean-Philippe Cipriani portera sur les mesures que les villes peuvent mettre en place pour varier leurs sources de revenus. Le maire de Laval, Stéphane Boyer, participera à la discussion, comme la professeure à l’École nationale d’administration publique (ENAP) Fanny Tremblay-Racicot.

Selon la chercheuse, seule « une poignée » d’élus de la province ont recours à tous les leviers de financement à leur disposition. Grâce à une loi votée en 2018, l’ensemble des villes du Québec jouissent d’un pouvoir général de taxation : elles peuvent imposer une taxe directe, comme Montréal le fait sur le stationnement.

Ce pouvoir permet de prélever des revenus qui viennent renflouer le fonds global de la municipalité. « Tu peux faire ce que tu veux avec [les sommes]. C’est sûr que c’est plus acceptable du point de vue politique et de l’accessibilité sociale si tu dis, comme le maire de Montréal Denis Coderre au moment de l’adoption de la taxe sur les espaces de stationnement, que c’est pour financer le besoin croissant en transport collectif. Reste que c’est versé dans son fonds général. Ça donne plus de latitude », explique Fanny Tremblay-Racicot.

À la faveur de cette même loi, le premier ordre de gouvernement est également autorisé à exiger des redevances réglementaires. En la matière, la Ville de Prévost, située dans les Laurentides, se présente en précurseure : depuis 2022, elle demande une redevance de quelques cents aux consommateurs qui achètent certains articles à usage unique, comme des assiettes jetables ou des bouteilles d’eau. Les revenus vont dans un fonds particulier visant à financer la transition écologique.

Contrairement au pouvoir de taxation général imposé à tous, les redevances réglementaires sont restreintes à un groupe de citoyens, souvent en vue de corriger ou d’encourager un comportement, et doivent être déposées dans un fond spécial.

Les élus ne peuvent fixer des redevances réglementaires dans toutes les situations. À la demande de l’UMQ, Fanny Tremblay-Racicot a mené une recherche au cours de laquelle elle a relevé ces exclusions prévues dans la loi. Elle a aussi scruté les outils fiscaux utilisés par les municipalités canadiennes et à l’étranger, et ceux répertoriés par l’Organisation européenne de coopération économique (OCDE), afin de dresser l’inventaire des options dont disposent les villes pour financer la transition écologique, ou tout simplement pour augmenter leurs revenus.

« On identifie des types de taxes qui pourraient être adoptés en vertu des paramètres législatifs et juridiques », vulgarise la chercheuse. Une analyse qu’elle pourra communiquer aux élus présents aux Assises.

Alain Webster, président du Comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, est d’accord que les administrations ne sont pas toujours au courant de tous les moyens à leur portée pour accroître leur budget. « Il y a une expertise à développer, un partage d’information à faire », note-t-il.

Grand forum — financer la transition : le défi de la décennie

Alain Webster participera au grand forum des Assises, animé par l’humoriste et comédien Emmanuel Bilodeau. Durant cette réunion de une heure trente, il livrera, aux côtés de plusieurs autres panélistes (dont six maires et mairesses), ses réflexions et pistes de solutions pour financer le virage vert.

« Qu’importe l’outil qu’on développe, il faut à la fois aller chercher une source de revenu, mais en même temps que ce revenu-là soit associé à un changement du comportement », affirme-t-il. Les décideurs publics doivent penser à des manières de piger dans le portefeuille des citoyens pollueurs — qui se déplacent en gros véhicules, gaspillent l’eau, jettent énormément de déchets dans les sites d’enfouissement — et dans les coffres des entreprises qui exploitent les ressources naturelles. Les municipalités peuvent le faire en utilisant leur pouvoir d’imposer des redevances.

Le professeur en économie de l’écologie de l’Université de Sherbrooke croit que Québec devrait soutenir davantage les gouvernements de proximité. « La structure en matière de financement des villes qui cherche à boucler son budget que par un accroissement de son assiette fiscale contribue directement à ces enjeux d’étalement [urbain]. »

Alain Webster espère surtout à démontrer l’« importance pour les municipalités d’être des acteurs de la lutte contre les changements climatiques en faisant simultanément deux choses essentielles ». La première, c’est de diminuer rapidement leurs émissions de gaz à effets de serre (GES) pour restreindre le réchauffement de la planète, et la deuxième, c’est de mettre en place des stratégies d’adaptation.

« Les municipalités ont une obligation de limiter la hausse de la température à 1,5 °C. On ne pourra pas s’adapter avec une augmentation à l’échelle mondiale de plus de 4 °C. Ça ne marchera plus. Il y a une limite à nos capacités d’adaptation. Plus la température augmente, plus ça devient difficile pour ne pas dire impossible de s’adapter à ce nouveau contexte », argue-t-il.

Financer la transition est véritablement le défi de la décennie pour les municipalités, observe Alain Webster. Elles ont un rôle « essentiel » à jouer dans la préservation des îlots de verdure qui absorbent les GES, dans la construction d’un parc immobilier écoénergétique et dans le développement de modes de locomotion actifs et collectifs. « Dans le volet transport, un ensemble d’éléments spécifiques associés au déplacement des personnes sont directement liés aux façons d’aménager nos villes. » Au Québec, le secteur des transports génère 43,3 % des émissions de GES, selon les dernières données de 2019 fournies par Québec.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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