Des faucons vedettes du Web à l’Université de Montréal

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Sur le Web, plusieurs personnes regardent ces jours-ci en direct le nichoir des faucons de l’Université de Montréal, qui ont élu domicile depuis déjà quelques années au sommet de la tour du pavillon Roger-Gaudry. Le couple de rapaces couve actuellement quatre œufs, une bonne nouvelle pour une espèce qui avait pour ainsi dire été rayée de la carte au Québec il y a de cela quelques décennies.
La femelle faucon pèlerin, nommée « Ève », a pondu ses œufs entre le 16 avril et le 23 avril, et les fauconneaux devraient naître quelque part entre le 20 et le 24 mai. On peut donc l’observer 24 heures sur 24 en pleine couvaison, tandis que le mâle s’affaire principalement à lui apporter de la nourriture, dont des pigeons.
Ce dernier, nommé « Miro », couve néanmoins quelques heures par jour, précise Ève Bélisle, associée de recherche à l’École polytechnique de Montréal. C’est elle qui a découvert par hasard, en 2007, la présence de faucons pèlerins au sommet de la tour du pavillon Roger-Gaudry. Elle a donc convaincu l’Université de Montréal d’installer un nichoir (une simple boîte de bois avec du gravier) qui est maintenant utilisé depuis 2009.
On partait de loin. L’espèce avait complètement disparu du sud du Québec au début des années 1970.
S’il est difficile pour le moment de prédire le succès reproducteur du couple pour ce printemps, au fil des ans, une trentaine de fauconneaux sont nés au sommet de la tour, qui a jusqu’ici accueilli deux femelles reproductrices. Sur le Web, on peut donc retrouver des extraits vidéos où l’on peut voir les adultes nourrir leurs jeunes, une incursion pour le moins rarissime dans le quotidien de cette espèce habituée de nicher en hauteur, par exemple sur des falaises.
Quant aux jeunes nés sur le terrain de l’Université de Montréal, on ne peut pas toujours savoir ce qu’ils sont devenus par la suite, même s’ils sont tous munis d’une bague pour les identifier. Certains ont niché dans le secteur de l’échangeur Turcot et un des jeunes faucons a été retrouvé blessé dans l’État de New York, puis relâché par la suite, explique Mme Bélisle.
Chose certaine, chaque printemps, comme on peut le constater ces jours-ci, la période de reproduction de ces faucons suscite de l’intérêt. La page Facebook qui leur est consacrée compte plus de 10 000 abonnés. Et sur YouTube, on compte des milliers de visionnements pour la ponte de chaque œuf, ou encore pour certains « repas » des faucons.
Retour des rapaces
Le fait de pouvoir observer des faucons pèlerins à l’Université de Montréal, ou encore dans d’autres sites urbains, notamment à Québec, aurait été impensable il y a à peine quelques années. « On partait de loin. L’espèce avait complètement disparu du sud du Québec au début des années 1970 », explique Pascal Côté, chargé de projets à Conservation de la nature Canada.
Dans le passé, le faucon pèlerin a en effet été décimé, principalement en raison de l’utilisation massive de DDT, un pesticide très toxique qui a provoqué des problèmes chroniques de reproduction chez ces oiseaux. Et même si le DDT a été interdit au Canada dès 1972, la situation du faucon pèlerin est demeurée critique pendant plusieurs années, notamment en raison de la persistance du pesticide dans l’environnement.
Les premiers inventaires réalisés au Québec, dans la vallée du Saint-Laurent, indiquaient par exemple que l’espèce était pour ainsi dire rayée de la carte, avant qu’elle ne commence à gagner quelques rares couples nicheurs dans les années 1990.
Les effectifs de ces rapaces ont fini par augmenter, notamment en raison de leur capacité d’adaptation en milieu urbain. « Les oiseaux ont fait preuve de résilience et d’adaptabilité, notamment par une expansion rapide dans les villes où ils profitent des sites de nidification urbains et des proies », notait ainsi le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) dans une évaluation publiée en 2017 et qui classait l’espèce comme étant « non en péril ».
« La situation du faucon pèlerin illustre bien le fait que, si on fait attention à une espèce, on peut être en mesure de rétablir sa population. Dans ce cas-ci, l’arrêt de l’utilisation du DDT a tout changé, et ensuite, les mesures de réintroduction et de conservation ont fait le travail », souligne Pascal Côté.
Dans un rapport produit à la demande du gouvernement du Québec et publié en 2022, on souligne qu’« après avoir connu une bonne augmentation de ses effectifs et un ralentissement plus récemment, le faucon pèlerin serait en bonne voie de rétablissement ».
On ajoute que cette espèce suscite un grand intérêt scientifique, ornithologique et photographique, notamment en raison de ses aptitudes de chasseur : en piqué, le faucon peut atteindre une vitesse de plus de 300 km/h. « De plus, étant donné sa position au sommet du réseau trophique, il est un bon indicateur de la qualité de l’habitat. »
Même si sa situation s’est grandement améliorée au Canada, l’espèce est toujours aux prises avec certaines menaces, dont les collisions avec les lignes à haute tension, les voitures ou les vitres d’édifices, le dérangement par l’escalade (le faucon niche souvent à flanc de falaise) ou les randonneurs, ainsi que les éoliennes.