Créer des autoroutes pour la biodiversité
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Environnement
On le sait désormais : la préservation de l’environnement ne s’arrête pas à la simple réduction des émissions de carbone dans l’atmosphère. Grâce, notamment, à la tenue de la Conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) à Montréal en décembre 2022, l’importance de la protection de la biodiversité est aujourd’hui bien présente dans l’actualité. Pour des chercheurs comme Andrew Gonzalez, professeur de biologie à l’Université McGill, il était plus que temps.
Passionné de biodiversité, le chercheur consacre son temps à la recherche de solutions pour en freiner le déclin. Il se préoccupe entre autres des manières de recoller les morceaux de ce qu’on appelle les « habitats fragmentés », là où des écosystèmes ont été séparés par le développement du réseau routier, l’agriculture ou l’exploitation forestière, entre autres. Déjà, en 2015, Andrew Gonzalez démontrait, dans une étude parue dans la revue Science Advances, que « la fragmentation des habitats réduit la biodiversité de 13 % à 75 %, et ses effets sur les écosystèmes se multiplient au fil du temps ».
Depuis, celui qui est aussi codirecteur du Centre de la science de la biodiversité du Québec n’a pas chômé. Dans une récente étude parue dans la revue PNAS, il dévoile un outil permettant de prédire la manière dont les espèces se déplacent entre ces habitats fragmentés, une donnée cruciale pour orienter les efforts de conservation.
Corridor de sécurité
Malgré les obstacles, les animaux, les insectes et même les plantes parviennent tout de même à se promener entre ces îlots de nature fragmentés. Pour les aider, le chercheur préconise le développement de « corridors écologiques » qui rétablissent des liens entre des écosystèmes séparés et aident le brassage génétique au sein d’une même espèce. Ces corridors permettent aussi la migration vers le nord des espèces affectées par le réchauffement climatique.
« Quand on planifie un réseau routier, on pense à l’ensemble : les autoroutes, les boulevards, les rues, explique le chercheur. Ce que je propose, c’est de faire la même chose, mais pour favoriser le déplacement des espèces menacées d’extinction. » Son étude, réalisée en collaboration avec des collègues de l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l’eau, propose un modèle mathématique qui permet de prédire la manière dont se déplacent différentes espèces afin de choisir l’emplacement idéal pour ces corridors. « Le modèle nous permet d’explorer des scénarios qu’on ne peut pas expérimenter en nature, explique-t-il. On peut créer des corridors, des habitats, et quantifier la facilité avec laquelle l’animal se disperse. »
Pour tester la fiabilité de son modèle, Andrew Gonzalez a conçu un test basé sur un arthropode commun dans nos sols, le collembole. Le chercheur a créé trois types de paysages artificiels à l’aide de fioles de plastique remplies de terre synthétique. Pour chaque type de paysage, il a relié certaines de ces fioles entre elles par des tuyaux selon les instructions de son modèle, puis a placé des collemboles dans une seule fiole par paysage. Le but était de mesurer à quelle vitesse l’invertébré coloniserait les autres fioles. « Les résultats obtenus par l’expérience étaient expliqués par le modèle informatique, ce qui nous donnait confiance en celui-ci », résume le professeur. Bref, la vie se comportait comme les mathématiques l’avaient prédit.
Test tout terrain
La prochaine étape sera de confronter le modèle aux données de terrain. « Beaucoup d’agences et d’ONG collectent des données sur les mouvements d’animaux, par exemple grâce à des caméras, des pièges ou des colliers, se réjouit le chercheur. On aimerait s’en servir pour voir si notre modèle est capable de prédire les patrons de déplacement des espèces dans la nature. » Un succès à cette étape confirmerait une fois de plus la fiabilité du modèle développé en laboratoire.
Celui-ci peut néanmoins déjà être mis en oeuvre. Il pourrait par exemple servir à créer des corridors écologiques qui permettent à la fois de favoriser l’essor de certaines espèces et d’en freiner d’autres. « On me demande souvent quoi faire avec les espèces exotiques invasives, souligne Andrew Gonzalez. On peut concevoir des corridors qui aident plutôt les espèces indigènes. »
Son modèle a le potentiel d’avoir rapidement des effets concrets sur le territoire québécois. Le chercheur prend pour exemple la région de la Montérégie : « Une coalition se bat pour créer un corridor écologique entre le mont Saint-Hilaire et le mont Saint-Bruno. Grâce à ce modèle, on peut quantifier concrètement où intervenir. On donne des outils aux acteurs de la préservation. » L’avenir, si l’on se fie aux travaux d’Andrew Gonzalez, sera connecté.
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