Décès inquiétants de bélugas nouveaux-nés

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Au moment où les gouvernements du Québec et du Canada s’engagent à mieux protéger l’habitat du béluga du Saint-Laurent, les mauvaises nouvelles continuent de s’accumuler pour cette espèce en voie de disparition. Le plus récent bilan du programme de récupération de carcasses montre en effet que les mortalités demeurent élevées pour les femelles et les nouveau-nés, des segments de la population essentiels pour assurer la survie de l’espèce.
Selon les données publiées par le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM), 12 bélugas ont été retrouvés morts à la dérive ou sur les berges au cours de l’année 2022. Sur une période de cinq ans, soit de 2018 à 2022, le bilan s’élève à 74 carcasses. Ces individus ne représentent toutefois pas un bilan exhaustif des décès pour cette population, qui compte aujourd’hui moins de 900 bêtes.
«Ce qui inquiète dans ce bilan, c’est le nombre élevé de femelles et de nouveau-nés dénombrés, un phénomène qui s’observe depuis une dizaine d’années», souligne le RQUMM dans son analyse des données. Parmi les 12 animaux recensés, il a été possible de déterminer le sexe pour 11 des cétacés: sept étaient des femelles et quatre étaient des mâles. Et parmi tous ces animaux, quatre étaient des nouveau-nés.
Mise bas
Un rapport de nécropsie produit par l’équipe de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal a permis de constater une déchirure au niveau de l’utérus d’une femelle gestante retrouvée à Tadoussac. Son foetus était presque à terme. Une dystocie, soit une complication lors de la mise bas, aurait causé la mort de cette femelle et de son foetus. Chez le béluga du Saint-Laurent, «ces dystocies sont courantes depuis quelques années», précise le RQUMM.
«Les problèmes de dystocies semblent toujours être d’actualité», souligne d’ailleurs Stéphane Lair, professeur titulaire à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. La carcasse d’une autre femelle en fin de gestation a par ailleurs été acheminée à la Faculté de médecine vétérinaire, mais les résultats sont toujours attendus.
En 2021, deux femelles retrouvées mortes étaient des cas de dystocie. D’ailleurs, un rapport produit par l’équipe de Stéphane Lair a déjà conclu que la mise bas difficile était devenue «la cause la plus importante de mortalité des femelles adultes bélugas dans le Saint-Laurent».
Directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins et coordonnateur du RQUMM, Robert Michaud s’inquiète d’une «tendance lourde et durable» de décès chez les femelles et les très jeunes bélugas, aussi appelés «veaux». «Les veaux femelles qui ne sont pas nés depuis 2010 auraient commencé à produire des veaux à leur tour depuis 2020. L’impact populationnel de cette mortalité sélective est à venir», explique-t-il au Devoir.
Multiples risques
«Présence de navires, contaminants dans l’eau, variation de l’abondance de proies et changements climatiques, les facteurs qui affectent le béluga sont nombreux», indique le RQUMM. Il est toutefois difficile de nommer avec certitude les causes de cette hausse de la mortalité de femelles et de nouveau-nés, «car bien que plusieurs stresseurs affectent le béluga, on ne connaît pas encore la contribution de chacun», ajoute Robert Michaud.
En ce qui a trait aux problèmes chez les femelles, et notamment les femelles gestantes, certaines pistes sont analysées par les scientifiques, dont la réduction de la quantité et de la qualité des proies, mais aussi la possible hausse de la demande énergétique imputable à la disparition du couvert de glace hivernale.
Il faut dire que si les bélugas passent une bonne partie de l’année dans l’estuaire, leur habitat hivernal serait vraisemblablement concentré dans le golfe du Saint-Laurent, notamment le long de la Côte-Nord et autour de l’île d’Anticosti. Or, les glaces qu’ils utilisent notamment pour se protéger des tempêtes ont sérieusement reculé au cours des dernières années.
Par ailleurs, le gouvernement Legault doit décider cette année s’il autorise deux projets récurrents de dragage et de rejet de sédiments dans un secteur de l’habitat essentiel du béluga situé dans la région de Cacouna, qui est considérée comme une «pouponnière» pour l’espèce. Il n’existe toutefois aucune étude scientifique permettant d’évaluer les impacts de ces opérations, révélait récemment Le Devoir.
La situation de cette espèce emblématique de la santé de l’écosystème du Saint-Laurent fera l’objet d’un «symposium» à l’UQAM du 3 au 5 mai. Cet événement marque le 35e anniversaire du «Forum International pour l’avenir des bélugas», qui avait été une étape importante pour la recherche scientifique et des initiatives de conservation, dont la création du parc marin.