Attaque en règle de GNL Québec contre le gouvernement Legault

Les promoteurs du défunt projet GNL Québec disent avoir investi 160 millions de dollars dans le développement de leur complexe industriel.
Kevin Clancy Newsy Associated Press Les promoteurs du défunt projet GNL Québec disent avoir investi 160 millions de dollars dans le développement de leur complexe industriel.

Les promoteurs de GNL Québec ne digèrent pas le rejet de leur projet. Dans le cadre de leurs démarches pour réclamer des milliards de dollars de compensation, ils s’en prennent d’ailleurs directement au gouvernement Legault, accusé d’avoir agi de façon « arbitraire, injuste et discriminatoire ». Les actionnaires américains critiquent aussi sévèrement le processus d’évaluation environnementale du Québec, qu’ils estiment « biaisé ».

L’entreprise à l’origine du projet d’exportation maritime de gaz naturel albertain a déposé en février une demande d’arbitrage au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale. Ruby River Capital, l’actionnaire américain qui contrôle Symbio Infrastructure, l’entité dont sont issus GNL Québec et Gazoduq, y affirme que le rejet du projet contrevient aux règles des accords de libre-échange nord-américains.

Dans un document d’une cinquantaine de pages détaillant son argumentaire et publié récemment, Ruby River Capital évalue les pertes imputables au rejet de son projet à au moins 20 milliards de dollars américains, soit plus de 27 milliards de dollars canadiens. L’entreprise basée en Californie indique aussi que ce montant sera précisé ultérieurement.

Les promoteurs de GNL Québec affirment avoir été victimes d’un « traitement arbitraire, injuste et discriminatoire » dans le cadre du développement de l’usine de liquéfaction, du terminal maritime et du gazoduc devant alimenter le complexe industriel qui aurait été construit au Saguenay. Les gouvernements du Québec et du Canada auraient ainsi procédé à une forme d’expropriation déguisée en refusant d’autoriser ces projets, au terme des évaluations environnementales menées selon les procédures prévues par les lois en vigueur au pays.

« Agenda politique »

Les critiques dirigées contre le Québec sont nombreuses et particulièrement virulentes. Le document souligne ainsi que le gouvernement Legault aurait « illégalement instrumentalisé » le processus environnemental afin de répondre à « son agenda politique », dans la foulée du rapport produit par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et publié en mars 2021.

On déplore que le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, ait alors « imposé » des critères « conçus uniquement pour cibler négativement le projet ». Ces trois conditions stipulaient que les promoteurs devaient démontrer « l’acceptabilité sociale » de GNL Québec, mais aussi son rôle dans le contexte de la « transition énergétique », et sa capacité à générer une « diminution » des émissions de gaz à effet de serre « à l’échelle mondiale ». Le ministre a ensuite évoqué ces éléments pour fermer la porte au projet, ce que les promoteurs associent aujourd’hui à une manoeuvre politique en vue des élections.

Ces derniers assurent que, dès 2016, le gouvernement du Québec avait pourtant manifesté « un grand enthousiasme » par rapport à l’idée de construire une usine de liquéfaction afin de faciliter l’exportation de la production gazière croissante de l’Alberta.

Le document mis en ligne récemment fait ainsi état de promesses financières qui auraient d’abord été formulées par les libéraux de Philippe Couillard, dont des congés de taxes et une participation d’Investissement Québec dans le projet. On y rappelle aussi les prises de position en faveur de GNL Québec formulées par trois ministres caquistes, dont Benoit Charette, mais aussi par le premier ministre François Legault. En février 2020, ce dernier avait affirmé que le complexe industriel pourrait « aider la planète » à lutter contre la crise climatique.

Critiques du BAPE

Le plaidoyer de Symbio Infrastructure critique aussi sans détour le BAPE, qu’on accuse d’avoir mené des audiences « biaisées » ayant conduit à la rédaction d’un rapport tout aussi « biaisé ». Ce rapport contiendrait, de l’avis de l’entreprise, des « allégations spéculatives » concernant les émissions de gaz à effet de serre imputables au projet de production annuelle de 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié à partir de gaz exploité principalement par fracturation. Les promoteurs répètent que le complexe industriel aurait été « carboneutre », une affirmation qui n’a jamais été démontrée, selon les conclusions du BAPE.

Après ce rapport, les inquiétudes concernant les répercussions du trafic maritime industriel généré par le projet sont par ailleurs devenues « drastiques et intransigeantes », selon les promoteurs de GNL Québec. Le document déposé à la Banque mondiale affirme que la hausse de la pollution sonore dans l’habitat du béluga aurait été « négligeable », et ce, même si l’ajout des méthaniers aurait eu pour effet de pratiquement doubler le trafic maritime sur le Saguenay, dans un secteur critique de l’habitat essentiel de l’espèce. Des scientifiques des gouvernements du Canada et du Québec ont mis en garde contre les risques du trafic maritime pour ce cétacé en voie de disparition.

La demande d’arbitrage est aussi très critique de la démarche du gouvernement fédéral, qui aurait pris position progressivement contre le projet en 2021, afin de ne pas « courir le risque de contredire le Québec » en pleine « année électorale ».

C’est justement Ottawa qui doit répondre des accusations de l’entreprise, puisque c’est le Canada qui est signataire des traités de libre-échange évoqués pour réclamer des « dommages-intérêts ». On précise d’ailleurs mener la démarche notamment en vertu du « chapitre 11 » de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui protège les droits des investisseurs étrangers et qui était en vigueur au moment du dépôt du projet en vue du processus d’évaluation environnementale.

Ottawa aurait ainsi imposé un traitement « discriminatoire » à l’entreprise américaine, alors qu’il a approuvé d’autres projets de production et de gaz naturel liquéfié, dont LNG Canada, qui est plus gros qu’Énergie Saguenay. Les documents mentionnent aussi l’approbation du mégaprojet Bay du Nord, qui va générer des émissions de gaz à effet de serre et sera mené dans une région reconnue comme habitat d’espèces menacées. On rappelle en outre que Québec et Ottawa ont aussi autorisé des projets qui auront pour effet d’augmenter le trafic maritime commercial sur le Saguenay.

Un cas « classique »

Professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, Laurence Marquis souligne que la démarche des actionnaires de GNL Québec est un cas « classique » dans le contexte des dispositions de l’ALENA. Mais l’entreprise devra faire la démonstration du traitement « discriminatoire » et de « l’expropriation » dont elle dit avoir été victime.

« Il faudra aussi qu’elle démontre qu’elle avait toutes les raisons de croire que son projet serait approuvé. Il faudra voir ce qui sera présenté comme preuve pour démontrer qu’elle a été encouragée à investir 120 millions de dollars américains dans le développement du projet. » Selon Mme Marquis, il est toutefois difficile de prédire l’issue de la démarche, qui devrait durer « quelques années ».

Avocat au Centre québécois du droit de l’environnement, Marc Bishai souligne que cette situation démontre le risque que prennent les décideurs quand ils se positionnent sur un tel projet avant que le processus d’évaluation environnementale soit terminé. En ce qui a trait à la demande d’arbitrage, elle illustre selon lui une tentative de l’industrie des énergies fossiles de démontrer qu’« elle est là pour rester », et ce, même si la transition énergétique en cours et l’évolution de l’opinion publique démontrent que le déclin est bien amorcé.

Invité à réagir aux attaques des promoteurs de GNL Québec, le cabinet du ministre de l’Environnement Benoit Charette n’a pas souhaité formuler de commentaires. « Comme des procédures légales sont en cours, nous n’allons pas commenter le dossier. »

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