Des cerfs de Virginie coincés à Boucherville
La lenteur des autorités gouvernementales à s’attaquer à la surpopulation de cerfs de Virginie du parc national des Îles-de-Boucherville provoque maintenant un débordement du problème sur la rive sud. À tel point que plusieurs cervidés se trouvent aujourd’hui coincés dans un quartier résidentiel de Boucherville, alors que d’autres se sont noyés ou ont été frappés par des voitures. Mais pour le moment, rien n’est prévu pour régler la situation.
Dans le parc De La Broquerie, situé le long du boulevard Marie-Victorin, à Boucherville, on pouvait facilement compter une quinzaine de cerfs lors du passage du Devoir, vendredi dernier. Il y avait là des adultes, des jeunes et au moins une femelle visiblement gestante. Tous ces animaux peu farouches attirent d’ailleurs les curieux, dont certains qui ont pris l’habitude, illégale, de les nourrir.
Une situation qui n’étonne pas Sylvain Laganière, un citoyen du quartier résidentiel au coeur duquel se trouve le petit parc entouré de maisons unifamiliales. « Ils ont traversé au mois de février, quand il y avait de la glace sur le fleuve Saint-Laurent, entre ici et le parc national des Îles-de-Boucherville. Mais la glace a fondu, et ils sont maintenant coincés ici », explique-t-il.
La surabondance de cerfs est une problématique régionale. Elle dépasse largement les frontières des parcs nationaux.
Ce n’est pas la première fois qu’il voit des cerfs traverser le petit tronçon fluvial en période hivernale, mais cette année, il juge que la situation est pire que par le passé. « C’est le désert hivernal pour eux, donc ils mettent leur peur de côté et traversent pour éviter de mourir de faim dans le parc », selon M. Laganière. Ce dernier a d’ailleurs vu des cerfs se noyer et il précise qu’une quinzaine de collisions avec des voitures auraient été répertoriées dans le secteur.
Pour les résidents du quartier, les cerfs sont aussi devenus une nuisance. « Pendant la nuit, ils viennent sur nos terrains et mangent les haies de cèdres ou les arbustes qui ne sont pas protégés. Parfois, on les voit aussi en plein jour, parce qu’ils s’habituent à notre présence », explique Sylvain Laganière, lors d’une visite des rues situées autour du parc De La Broquerie. Plusieurs ont en effet installé des dispositifs élaborés de clôtures de trois ou quatre mètres de hauteur, afin de protéger leurs arbres ou leurs terrains.
Au service des communications de la Ville de Boucherville, on dit être au fait de la situation. On ajoute que les cerfs devraient retourner par eux-mêmes dans le parc national ce printemps, à la nage, en retraversant un tronçon du fleuve Saint-Laurent. Pour ceux qui décideraient de rester à Boucherville, on souligne qu’il y aurait suffisamment d’espaces verts pour les accueillir. Tout le secteur est néanmoins densément développé et situé non loin de la route 132.
La Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) répond pour sa part qu’elle est responsable seulement de ce qui se passe sur les territoires des parcs nationaux sous sa responsabilité, mais aussi qu’« elle n’est pas propriétaire des cerfs présents sur son territoire et leur déplacement n’est pas contrôlé ».
Surpopulation
S’il est difficile de prédire ce qu’il adviendra des cervidés visiblement coincés dans un secteur résidentiel de Boucherville, on sait que le parc national des Îles-de-Boucherville est aux prises depuis déjà quelques années avec un sérieux problème de surpopulation de cerfs de Virginie.
Selon les données fournies par la SEPAQ et basées sur un inventaire mené en 2021, on y compterait plus de 300 cerfs. Cela signifie que la densité est de 30 bêtes par kilomètre carré, soit six fois le nombre que pourrait soutenir cet écosystème. Résultat : chaque hiver, des cerfs meurent de faim, particulièrement des jeunes, a déjà rapporté Le Devoir grâce à des informations obtenues en vertu de la Loi d’accès à l’information.
Pour réduire ce cheptel en croissance à un seuil viable, et ainsi protéger la végétation et d’autres espèces de ce parc national, il faudrait éliminer 250 cerfs. Un « projet pilote » de chasse sélective avait été évoqué dès le printemps 2020, soit quelques mois avant le début de la saga des cerfs du parc Michel-Chartrand, à Longueuil. Ce dossier est d’ailleurs loin d’être réglé, puisqu’il sera débattu en Cour supérieure en avril, dans la foulée de démarches judiciaires lancées par les opposants à l’abattage des cerfs.
Personne ne semble vouloir s'occuper du problème. Tout le monde s'en lave les mains.
Dans le cas du parc national des Îles-de-Boucherville, la SEPAQ nous avait indiqué à deux reprises en 2022 qu’un « plan d’intervention » était prévu pour l’automne 2022. Or, aucune opération de chasse n’a été réalisée sur ce territoire sous autorité provinciale. Pourquoi ? « Une modification réglementaire doit être réalisée par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs afin de permettre la réalisation de cette opération, qui est maintenant prévue pour l’automne 2023 », répond la SEPAQ.
« Il s’agit d’une opération inédite et complexe dans des parcs nationaux en milieu urbain qui nécessite une planification rigoureuse », ajoute-t-on, sans mentionner si des cerfs seront abattus. On évoque simplement « une intervention de réduction du cheptel ». Une telle opération serait aussi prévue dans le parc national du Mont-Saint-Bruno, en raison de la surpopulation de cervidés dans les limites de cet autre parc de la région. « La surabondance de cerfs est une problématique régionale. Elle dépasse largement les frontières des parcs nationaux », insiste d’ailleurs la SEPAQ.
Au ministère de l’Environnement du Québec, on admet aussi que la réglementation sur les parcs nationaux doit être modifiée avant de pouvoir préparer un plan d’intervention. « La réglementation ne permet actuellement pas le port d’armes ou d’engins de chasse dans un parc national », indique-t-on par courriel. On ne précise pas quand le gouvernement pourrait modifier les règles en vigueur, mais on assure que « l’intervention » est prévue pour l’automne 2023 dans les deux parcs nationaux.
Sylvain Laganière espère que les autorités agiront rapidement, même s’il dit ne pas sentir d’écoute de leur part dans ce dossier. « Personne ne semble vouloir s’occuper du problème. Tout le monde s’en lave les mains. Mais qu’est-ce qui va se passer cet été ? Dans le parc De La Broquerie, il y a beaucoup d’activités. Il y a des gens avec leurs chiens, etc. Les cerfs ne peuvent pas rester là. »
Plus de 55 000 cerfs de Virginie chassés au Québec en 2022
Selon des données publiées en février par le ministère de l’Environnement du Québec, un total de 55 318 bêtes ont été abattues dans la province en 2022, une hausse de 17 % par rapport à la saison de chasse 2021. Ces statistiques ne tiennent toutefois pas compte des cerfs chassés sur l’île d’Anticosti. « Le gibier était particulièrement abondant, signe que les populations de cerfs se portent très bien », a indiqué le ministère par voie de communiqué. Dans l’ensemble des zones définies par le gouvernement, « le taux de succès de récolte est demeuré stable ou a augmenté » par rapport à 2021. Dans la zone 08 Nord, qui couvre une vaste région autour de Montréal, dont Longueuil et Boucherville, le ministère a comptabilisé 3094 cerfs abattus par des chasseurs. « L’excellente récolte observée dans l’ensemble des zones en 2022 peut être attribuée en grande partie au fait que le Québec n’a pas connu d’hiver très rigoureux pour le cerf depuis 2019 dans la majorité des zones de chasse, ce qui a favorisé sa survie », a expliqué le ministère de l’Environnement.