Grandeur et richesse des plantes d’ici

La petite herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia) est la plus fréquente des trois espèces nord-américaines et la plus nocive (pollen allergisant). Indigène dans l’ouest et le centre de l’Amérique, elle est introduite dans l’est du continent.
Photo: MSSS La petite herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia) est la plus fréquente des trois espèces nord-américaines et la plus nocive (pollen allergisant). Indigène dans l’ouest et le centre de l’Amérique, elle est introduite dans l’est du continent.

Mesure-t-on, au moins, l’énorme travail accompli avec la parution de ces ouvrages étonnants que sont les cinq tomes qui composent Curieuses histoires de plantes du Canada ? Le cinquième vient de paraître. Jacques Cayouette et Alain Asselin convoquent les lecteurs au vaste pays des plantes. Voici les histoires très souvent étonnantes de scientifiques conjuguées finement à celles de plantes qui, souvent, bordent nos vies sans que nous nous en apercevions. Même si vous le commencez par la fin, un tel livre vous tient.

Quiconque s’intéresse de près ou de loin au monde végétal au Canada, à l’histoire de la flore, à sa protection comme à son exploitation, ne peut que se plonger avec délice dans cet ouvrage unique. Il s’agit d’un effort de vulgarisation considérable, cuisiné et présenté de belle manière par Alain Asselin, ancien professeur au Département de phytologie de l’Université Laval, et par Jacques Cayouette, botaniste et chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Par où commencer pour en parler ? Curieuses histoires de plantes du Canada se structure autour d’une trentaine d’histoires de végétaux, sans se priver de nombreux à-côtés, sous forme d’encadrés.

À travers l’histoire des plantes et de scientifiques qui s’y sont intéressés, c’est en quelque sorte à la genèse d’un éveil scientifique que nous sommes conviés. On croise, dans ces pages, quantité de savants dont les noms nous sont, le plus souvent, inconnus. Pourtant, leurs vies ont souvent des allures de romans.

Qui connaît par exemple Adrien Gosselin, né à Saint-Valérien en 1885, un homme habitué très tôt à récolter des plantes rares pour les identifier, tout en poursuivant des études à l’Institut agricole d’Oka ? Cet homme va travailler de près à l’amélioration génétique du blé. Ses études en France tournent mal. La France tombe. Il connaît le régime de Vichy. Il se retrouve interné dans un camp de concentration. Il s’en évade… L’homme dit avoir été traqué par la Gestapo. On aimerait tant en apprendre davantage. En tout cas, ce scientifique québécois va rejoindre tardivement, en août 1944, la résistance française. Il soutiendra, après la guerre, deux thèses à la suite de l’étude de plusieurs centaines de végétaux.

Quel lien peut avoir avec la botanique le baron belge Louis Empain, lui dont le domaine extraordinaire, détruit illégalement au printemps 2022, constituait le haut lieu de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ? En 1940, Empain publie une note sur la flore printanière de Duparquet, un village du nord-ouest de l’Abitibi. En compagnie du botaniste et ethnologue Jacques Rousseau, ce multimillionnaire s’intéresse de près aux plantes. Selon ce curieux duo, la plante printanière du Québec la plus remarquable est sans l’ombre d’un doute la claytonie de Caroline, une petite fleur qui pointe au monde son élégance dès les premières journées chaudes d’avril, même dans le froid du nord.

Parfois, la seule évocation des espèces que nomment Asselin et Cayouette a quelque chose de touchant. Nous voici à Oka, ce centre d’agriculture. Là sont évalués de nouveaux types de pommiers. Peut-on lire leur nom sans être touché par une forme d’enchantement diffus ? Les pommiers d’été : Astrakhan rouge, Duchesse d’Ogdensburg, Blanc pigeon, Téfofsky… Les pommiers d’automne : Alexandre, Autonowska, Cardinal, Fameuse d’Ani, Fameuse de Montréal, Hare Papka… Et les pommiers d’hiver : Arabska, Fenouillet Gris, Longfield, Pewakee, Rainette du Canada, Saint-Antoine, Saint-Laurent… Je n’en nomme que quelques-uns, tout en me demandant comment nous en sommes venus à ne nous voir présenter, dans nos supermarchés, qu’une poignée de variétés : la pomme Empire, la Gala, la McIntosh…

Le tourisme, le pollen, l’herbe à poux

Après la Seconde Guerre mondiale, un fort intérêt pour les plantes qui causent la fièvre des foins ou des dermatites, c’est-à-dire des éruptions cutanées, se manifeste au Québec. Une guerre ouverte contre l’herbe à poux et certaines autres espèces, comme le panais sauvage et le sabot jaune, est lancée.

En 1945, pour favoriser le tourisme, il est question de voir à débarrasser la Gaspésie de cette « mauvaise herbe ». Des colonies sont identifiées. Des enfants sont embauchés. Sous la supervision de leurs professeurs, ils vont arracher, à la main, la plante détestée.

« À chaque classe, je fixais au mur un spécimen de grande herbe à poux et un spécimen de petite herbe à poux montrés en herbier, et je laissais en même temps un certain nombre de formulaires sur l’objet de ma visite », explique Elzéar Campagna, un des scientifiques qui conduisent les opérations livrées contre cette plante.

D’où vient l’« herbe à poux » ? Son appellation demeure un mystère. Nous savons au moins que la première récolte de l’herbe à poux vivace dans la province sera celle faite à Nominingue, au mois d’août 1932, par deux religieux, les frères Robert et Roy des Clercs de Saint-Viateur. L’espèce ne tarde pas, évidemment, à être identifiée et répertoriée partout, dans ses diverses variétés… Enfin, presque partout.

Herbert Groh, formé à l’Université de Toronto, spécialiste de l’horticulture, va déterminer que la région de La Malbaie est peu propice au développement de cette plante. Un dépliant publicitaire est publié pour vanter, aux abords du manoir Richelieu, le fait qu’on puisse échapper, là, à des allergies saisonnières…

Nature politique et politique de la nature

 

Pierre Dansereau, considéré comme le père de l’écologie au Québec, se voit consacrer plusieurs pages. Lorsqu’il se marie en 1935, il s’engage auprès de son épouse, Françoise Masson, à la « faire vivre » dans une ferme. Une ferme offerte par son père, lié de près à l’industrie des médias et engagé dans des milieux politiques conservateurs.

Le même père avait offert à son fils, alors qu’il était à peine en âge de conduire, une grosse automobile américaine décapotable toute neuve. Ce n’est certes pas la vie, en pleine crise économique, que mènent les autres jeunes de son âge !

L’écologie a parfois des racines politiques étonnantes. Peut-être que ce livre, comme d’autres, ne le signale pas assez. Le jeune Dansereau fut membre d’un groupe de pression, les Jeune-Canada. Ces jeunes contestataires, appuyés par Lionel Groulx, sont bien plus qu’« un organisme », comme l’écrivent Cayouette et Asselin. Pierre Dansereau s’excusera plus tard des propos antisémites avancés par ses amis et lui lors des sorties publiques des Jeune-Canada. La trajectoire globale de Dansereau, un jeune protégé du frère Marie-Victorin, n’en paraît que plus étonnante.

La constitution d’un savoir

En 1954, l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas) présente un mémoire à la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, mieux connue sous le nom de commission Tremblay. Que disent les scientifiques du Québec ? Tout simplement qu’ils ne sont pas à même d’assurer efficacement les droits constitutionnels de la province en matière de ressources naturelles. Pourquoi ? Parce que le personnel scientifique compétent fait défaut !

Pourtant, les ressources naturelles se trouvent en plein coeur de la vie québécoise. Le premier ministre Maurice Duplessis le dit lui-même, à l’heure de parler de la forêt, de son exploitation. D’elle dépendent, dit-il, « dans une très large mesure, la subsistance et l’épanouissement de la province dans la voie du progrès ». Le progrès, il faut le dire, est alors associé essentiellement à l’idée de la croissance de l’exploitation.

Quantité de travaux scientifiques, dont ceux de Joseph Risi, sont consacrés à la volonté de tirer le maximum de la flore québécoise en général et de la forêt en particulier. Spécialiste de la foresterie, né en Suisse, Risi dirigera l’Institut canadien des produits forestiers. Pour mieux comprendre le sort fait à la forêt de nos jours, il importe sans doute de connaître la vie de gens tels que lui.

En 1966, un chercheur né en Slovaquie, Miroslav Grandtner, se retrouve au Québec. Professeur à l’Université Laval, il partage ses connaissances en matière de botanique et d’écologie. Il va vite apparaître comme un des grands spécialistes de la forêt québécoise. La flore forestière de son pays d’adoption comporte 432 espèces, note-t-il.

Miroslav Grandtner va en appeler, dès 1970, à la création de réserves écologiques. Deux des principaux parcs nationaux, celui du Mont-Tremblant et celui des Laurentides, avaient été créés… en 1895 ! Comment penser protéger la forêt sans espaces de conservation appropriée ?

La dépendance de l’humain envers le milieu naturel est telle, observait Miroslav Grandtner, « qu’advenant la destruction de ce dernier, l’homme risque de se détruire lui-même ». Autrement dit, il faut voir à planifier la mise en place de nouveaux espaces protégés, tout en favorisant la recherche et l’éducation, au bénéfice des générations futures. L’a-t-on écouté ?


Curieuses histoires de plantes du Canada, 1935-1975 (tome 5)

Ouvrage illustré d’Alain Asselin et Jacques Cayouette paru en février 2023 aux éditions du Septentrion, 334 pages

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