Québec promet 130 millions de dollars pour le projet de port de Contrecœur
Le gouvernement Legault a profité du budget pour augmenter substantiellement son soutien financier au projet de port industriel de Contrecœur, où transiteraient chaque année 1,15 million de conteneurs et jusqu’à 1200 camions chaque jour. Québec y voit un moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le promoteur attend cependant toujours l’autorisation fédérale de détruire un habitat essentiel du chevalier cuivré, une espèce en voie de disparition.
Le budget 2023-2024 dévoilé mardi prévoit ainsi 75 millions de dollars de fonds publics pour le projet d’expansion développé par l’administration portuaire de Montréal (APM), une somme qui s’ajoute aux 55 millions déjà annoncés en janvier 2021 par le gouvernement caquiste. Le total de la participation de l’État québécois atteint donc maintenant 130 millions de dollars.
Le gouvernement Trudeau a de son côté annoncé dès 2019, soit avant la fin de l’évaluation environnementale, une participation de 300 millions de dollars, ce qui porte la contribution des deux ordres de gouvernements à 430 millions de dollars. L’investissement total pour la réalisation du projet a été évalué à 750 millions de dollars.
À quoi doivent servir les sommes annoncées dans le budget 2023-2024 ? « Les fonds prévus par le gouvernement du Québec serviront au projet dans son ensemble », indique l’APM, par courriel.
Le développement du nouveau port doit encore franchir différentes étapes, ajoute-t-on. « Le processus d’approvisionnement visant à sélectionner le partenaire privé qui s’occupera notamment de la construction, du financement et de l’exploitation du futur terminal suit son cours. » L’annonce du soumissionnaire gagnant de l’appel d’offres est prévue pour le troisième trimestre de 2023. « La construction débutera ensuite selon le calendrier préconisé par le partenaire privé, en vue d’une mise en service graduelle à la fin de 2026 », précise le promoteur.
Gaz à effet de serre
« Le terminal de Contrecœur du port de Montréal revêt un caractère stratégique, qui permet au Québec de se positionner favorablement dans le marché du transport et les chaînes d’approvisionnement nord-américaines et mondiales », peut-on lire dans le « plan budgétaire » présenté mardi par le ministre des Finances, Eric Girard.
Le gouvernement y voit même un moyen de « réduire de manière importante les émissions de gaz à effet de serre en Amérique du Nord, notamment en limitant les distances parcourues par les transporteurs routiers et en électrifiant le terminal ».
Le projet de l’APM doit servir à poursuivre la croissance de ses installations industrielles le long du fleuve. L’objectif est de construire, sur la rive sud du Saint-Laurent, un nouveau port où transiteraient chaque année 1,15 million de conteneurs et jusqu’à 1200 camions chaque jour. Il s’agirait du plus gros projet portuaire des dernières décennies au Québec, doté d’un quai de béton de 675 mètres de longueur.

La capacité des installations du port de Montréal sur l’île étant de 2,1 millions de conteneurs annuellement, le projet de Contrecœur permettrait de faire passer le total dans la région à 3,25 millions de conteneurs chaque année, soit une hausse de 55 %. Le projet comprend également l’aménagement d’une gare ferroviaire de triage de sept voies.
La construction de ce port implique par ailleurs le dragage d’au moins 750 000 mètres cubes de sédiments du fleuve, sur une superficie estimée à 150 000 mètres carrés (environ 20 terrains de soccer). Ces travaux sont nécessaires pour accueillir jusqu’à 156 navires porte-conteneurs (des bâtiments qui peuvent mesurer près de 300 mètres de longueur) chaque année.
Espèce menacée
Le projet entraînera aussi la destruction de portions de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, qui est dûment protégé depuis 2021 en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du Canada. Le fédéral a décidé d’agir après avoir été ciblé par une action en justice de groupes écologistes. Le gouvernement Legault s’était opposé à cette protection, sans nommer le projet de Contrecœur, mais en affirmant que celle-ci « pourrait avoir des conséquences socioéconomiques importantes au Québec ».
La LEP désigne le chevalier cuivré comme étant « en voie de disparition », soit le statut le plus sévère avant celui d’espèce « disparue ». Selon la plus récente évaluation de la population totale, qui se limite à un tronçon du Saint-Laurent et qui se reproduit seulement dans deux frayères de la rivière Richelieu, on comptait en 2014 moins de 2000 individus. Ce poisson est également endémique du Saint-Laurent, c’est-à-dire qu’on le retrouve à un seul endroit dans le monde, soit le tronçon fluvial situé en amont du lac Saint-Pierre.
Dans ce contexte, le promoteur doit obtenir un « permis » lui permettant de détruire des éléments de l’habitat essentiel. La législation prévoit que l’autorisation peut être accordée si le permis est demandé pour des « recherches scientifiques », une « activité qui profite à l’espèce » ou si le projet « ne touche l’espèce que de façon incidente ». Qui plus est, l’autorisation ne peut être accordée que si « toutes les mesures possibles sont prises afin de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’espèce, son habitat essentiel ou la résidence de ses individus ».
Au moment de publier ce texte, le gouvernement fédéral n’avait pas encore répondu aux questions du Devoir. Mais nous avons pu confirmer que l’APM n’a pas encore obtenu le permis qu’elle réclame en vertu de la LEP.
Promoteur confiant
Le promoteur du projet industriel de Contrecœur est toutefois persuadé d’obtenir le feu vert du fédéral, malgré les dispositions de la Loi sur les espèces en péril. « Comme depuis les tout débuts du projet, l’Administration portuaire de Montréal travaille en continu avec les autorités pour obtenir l’ensemble des permis et autorisations requis aux différentes étapes. Les derniers permis sont attendus au cours des prochains mois, d’ici le début de la construction », fait-on valoir par courriel.
Pour compenser la destruction d’une partie de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, l’APM a prévu de restaurer des herbiers qui servent d’habitat à l’espèce. Le promoteur dit aussi avoir mandaté l’Union des producteurs agricoles pour mettre en place un programme d’amélioration de la qualité de l’eau dans le bassin-versant de la rivière Richelieu, où on trouve les deux seules frayères connues du chevalier cuivré.
Directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP Québec), Alain Branchaud critique pour sa part l’appui financier « prématuré » du gouvernement Legault. « Le promoteur du projet n’a pas encore obtenu toutes les autorisations nécessaires », rappelle-t-il, notamment celle en vertu de la LEP. « De plus, l’évaluation d’impact régionale du Saint-Laurent annoncée par le fédéral n’est pas encore amorcée et aucune analyse d’optimisation des infrastructures portuaires du fleuve n’a à ce jour été réalisée. »
La SNAP Québec prévient qu’une action en justice sera entreprise si le fédéral va de l’avant avec les autorisations réclamées par le promoteur en vertu de la LEP.