Québec et Ottawa veulent quadrupler la superficie du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent

Les gouvernements Legault et Trudeau souhaitent « quadrupler » la superficie du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent afin de mieux protéger l’habitat du béluga, mais aussi d’autres espèces de cétacés menacées qui fréquentent l’estuaire du Saint-Laurent. En entrevue au Devoir, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a d’ailleurs salué la « collaboration » avec Québec pour la protection des milieux marins.

Le ministre Guilbeault et son homologue provincial, Benoit Charette, ont confirmé vendredi matin, à Tadoussac, leur intention de lancer les consultations qui mèneront à l’agrandissement du parc marin, qui est déjà la plus importante aire marine protégée de la province. Sa superficie totale, qui est actuellement de 1245 km², pourrait atteindre près de 5000 km².

« Ce projet vise à mieux protéger la biodiversité et les écosystèmes de l’estuaire du Saint-Laurent, composant l’habitat de près de 2200 espèces, dont certaines, comme le béluga, sont en situation précaire », ont affirmé les deux ministres dans une rare annonce commune dans le domaine environnemental. Le Devoir avait déjà pu confirmer ces informations plus tôt cette semaine et plusieurs intervenants liés au parc marin ou à la protection du Saint-Laurent avaient salué le projet.

« Le projet d’agrandissement a pour principal objectif de protéger l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent, dont plus de 60 % se situent présentement en dehors des limites du parc marin », ont-ils précisé par voie de communiqué. Mais ce n’est pas tout, puisque le projet d’expansion « vise également à préserver un lieu d’alimentation privilégié pour plusieurs espèces de rorquals, dont certaines sont en situation précaire ».

On parle ici du rorqual commun, désigné comme espèce « préoccupante » en vertu de la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral, mais aussi du rorqual bleu, qui est inscrit comme étant « en voie de disparition ». La population de cette dernière espèce, qui utilise l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent comme aire d’alimentation, compterait à peine 250 individus matures.

Un parc de 5000 km²

En entrevue au Devoir, le ministre Steven Guilbeault a par ailleurs confirmé que l’objectif des deux ordres de gouvernement serait de « quadrupler » la superficie du parc marin, qui est actuellement de 1245 km². Cela signifie que le parc pourrait avoir une superficie de près de 5000 km d’ici trois ans. « C’est ce qu’on souhaite, mais il n’est pas question d’imposer cela. Nous voulons travailler avec les partenaires pour arriver à cet objectif. »

Cette augmentation très importante de la taille du seul parc marin de la province impliquerait d’inclure la totalité de l’habitat essentiel estival du béluga. Les limites de l’aire protégée s’étendraient ainsi jusqu’aux environs de L’Isle-aux-Coudres, en amont, et de Trois-Pistoles, en aval, en incluant le secteur de Cacouna, considéré comme une pouponnière pour le béluga. Cela signifie que le territoire protégé devrait rejoindre la rive sud du Saint-Laurent, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Il ne serait pas question d’agrandir la portion du parc qui se trouve dans la rivière Saguenay, où il s’étend déjà jusqu’à Sainte-Rose-du-Nord, mais le territoire protégé s’étendrait vraisemblablement vers l’aval, le long de la Côte-Nord. Dans ce secteur, on observe fréquemment des rorquals communs et des rorquals bleus. Le gouvernement Legault a déjà accordé, en 2020, le statut de « réserves de territoires aux fins d’aire protégée » à différentes zones de l’estuaire qui pourraient venir bonifier la superficie du parc marin.

Avant d’étendre les limites du parc, les deux paliers de gouvernements comptent mener diverses consultations, notamment des consultations publiques.

Steven Guilbeault a par ailleurs salué vendredi la « collaboration » avec son homologue Benoit Charette dans le dossier. « Le parc marin est un exemple de collaboration entre nos deux gouvernements depuis 25 ans. L’annonce de ce matin vient renforcer ce partenariat et notre volonté commune de continuer d’avancer sur la question de la conservation au Québec. C’est de bon augure pour la suite des choses », a-t-il fait valoir, en entrevue au Devoir.

« Le gouvernement du Québec est fier de ce partenariat unique avec le gouvernement fédéral, qui permettra notamment d’améliorer la protection des mammifères marins vivant dans l’estuaire du Saint-Laurent comme le béluga, qui est une espèce emblématique de la fragilité de cet habitat. Les connaissances acquises ces dernières années envoient un signal clair de ce que nous devons faire pour le protéger », a ajouté le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette.

Déclin

Le ministre Guilbeault ne ferme par ailleurs pas la porte à d’autres mesures de protection de l’habitat du béluga, le seul cétacé résident du Saint-Laurent. « Notre volonté d’augmenter la protection de l’habitat du béluga est très claire. S’il faut en faire plus, nous pourrons regarder cela », a-t-il assuré. Il faut dire que si les bélugas passent une bonne partie de l’année dans l’estuaire, leur habitat hivernal serait vraisemblablement concentré dans le golfe du Saint-Laurent, notamment le long de la Côte-Nord et autour de l’île d’Anticosti. Pêches et Océans Canada pilote actuellement une étude pour tenter de préciser cet habitat essentiel.

L’« habitat essentiel » du béluga, soit le territoire nécessaire à la survie et au rétablissement de l’espèce, est protégé légalement seulement depuis 2016. Malgré cette protection, plusieurs menaces persistent, dont la pollution sonore, le dérangement par la navigation et le réchauffement climatique. Résultat : la population décline et compte aujourd’hui moins de 900 individus. « Depuis les années 2000, on observe d’ailleurs une hausse critique et inexpliquée de mortalité chez les nouveau-nés ainsi que chez les femelles en âge de se reproduire, ce qui laisse présager une accélération du déclin du béluga dans les années à venir », ont reconnu vendredi Québec et Ottawa.

Un pont sur le Saguenay ?

Le ministre fédéral de l’Environnement Steven Guilbeault ne ferme pas la porte à la réalisation du projet de pont sur le Saguenay, qui est réclamé depuis des années par plusieurs citoyens sur la Côte-Nord. En entrevue au Devoir, il a toutefois indiqué vendredi que la réalisation d’un tel projet ne relèverait pas du gouvernement fédéral. « Le gouvernement fédéral n’a pas d’opinion sur le projet actuellement », a-t-il dit. « On regarderait ça avec beaucoup d’attention », a toutefois ajouté le ministre. Le gouvernement Legault a commandé une étude pour évaluer la possibilité d’aller de l’avant avec un tel projet, qui serait construit au-dessus de la rivière Saguenay, en amont de Tadoussac. Celui-ci remplacerait les deux traversiers qui font actuellement la navette entre Baie-Sainte-Catherine et Tadoussac. Ces navires contribuent à la pollution sonore dans l’habitat essentiel du béluga.



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