Des opposants au projet Bay du Nord plaident leur cause en Cour fédérale

Pour le Sierra Club Canada, les risques d'un déversement pétrolier sont bien réels. Or, en cas d'incident majeur, Equinor devrait faire venir du Brésil ou de la Norvège l'équipement nécessaire pour stopper la fuite.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Pour le Sierra Club Canada, les risques d'un déversement pétrolier sont bien réels. Or, en cas d'incident majeur, Equinor devrait faire venir du Brésil ou de la Norvège l'équipement nécessaire pour stopper la fuite.

Équiterre, le Sierra Club et des communautés autochtones ont contesté mercredi devant la Cour fédérale l’approbation du projet pétrolier Bay du Nord. Les organisations font valoir que l’autorisation donnée l’an dernier par le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, ne tient pas compte des risques pour la protection de la vie marine et ignore la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre qui découleront de l’exploitation.

Après la tenue des conférences de l’ONU sur le climat et sur la biodiversité, respectivement les COP27 et COP15, la directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe, estime que l’exploitation pétrolière prévue au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador va à l’encontre des engagements pris par le Canada.

« Toutes les promesses et tous les engagements pris dans les COP, que ce soit celle sur le climat ou celle sur la biodiversité, doivent se matérialiser dans des actions concrètes que sont la diminution de la production d’hydrocarbures et la protection du vivant. Bay du Nord va à l’encontre de ces deux objectifs : le projet met à mal nos cibles de réduction d’émissions de GES et risque de causer un tort irréparable à la vie marine et aux oiseaux migrateurs. »

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, qui a donné le feu vert au projet de la pétrolière norvégienne Equinor en avril 2022, est directement ciblé par cette action en justice. Jeudi, les avocats du fédéral doivent d’ailleurs répondre dans le cadre des audiences qui se tiennent à Ottawa.

« Crise climatique »

« Bay du Nord enfermera la province et le Canada dans une dépendance accrue aux combustibles fossiles à un moment où la science exige que nous prenions des mesures urgentes contre la crise climatique croissante », fait valoir Ian Miron, avocat pour Ecojustice, qui représente les groupes écologistes. Ce dernier a souligné mercredi matin que la « crise climatique » imposait de réduire la production d’énergies fossiles, et non pas d’approuver de nouveaux projets pour les décennies à venir.

Pour le Sierra Club Canada, les risques d’un déversement pétrolier sont par ailleurs bien réels. Or, en cas d’incident majeur, Equinor devrait faire venir du Brésil ou de la Norvège l’équipement nécessaire pour stopper la fuite. Le transport par bateau et l’installation nécessiteraient un délai de « 18 à 36 jours après l’incident », selon les données fournies par l’entreprise.

Le chef George Ginnish de Natoaganeg, qui représente un regroupement de nations autochtones du Nouveau-Brunswick, estime pour sa part que le fédéral n’a pas été à l’écoute de leurs préoccupations. « Il a limité un processus de consultation pour répondre à ses besoins et à ceux du promoteur, mais il n’a pas abordé la façon dont ce projet pourrait avoir un impact négatif sur nos droits. Le gouvernement fédéral parle d’avoir un processus de consultation complet, mais ses actions dans ce dossier racontent une autre histoire. »

Près d’un milliard de barils

Selon des informations publiées dans Le Devoir lundi, le potentiel pétrolier du projet pourrait atteindre 979 millions de barils. Ce potentiel était estimé à 300 millions de barils au moment de l’approbation par le ministre Guilbeault, au terme d’un examen de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.

Son rapport final concluait pour sa part que, « compte tenu de la mise en oeuvre des mesures d’atténuation », le projet Bay du Nord « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ». L’évaluation a néanmoins mis en lumière plusieurs questions environnementales. Le projet d’Equinor se situe dans une « zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique », mais aussi dans des « écosystèmes marins vulnérables ».

Equinor souhaite forer jusqu’à 60 puits d’exploitation sur une période de 30 ans, tout en poursuivant les forages exploratoires, dans une zone située à 470 kilomètres des côtes de Terre-Neuve et à plus de 1000 mètres de profondeur. Ce projet pourrait être suivi d’autres sites d’exploitation au cours des prochaines années. Moins d’un mois après la fin de la COP15, le gouvernement fédéral et celui de Terre-Neuve-et-Labrador ont en effet accordé pour 12 227 km2 de nouveaux permis d’exploration dans les eaux situées au large de la côte est canadienne.

Stopper les nouveaux projets d’énergies fossiles ?

Les groupes environnementaux réclament haut et fort la fin des nouveaux projets d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles au Canada, au nom de la lutte contre la crise climatique. Dans un rapport publié en 2021, l’Agence internationale de l’énergie soulignait d’ailleurs que, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et limiter le réchauffement mondial à +1,5 °C, les pays doivent dès maintenant renoncer au développement futur de projets pétroliers et gaziers. Dans un rapport publié au printemps 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat abondait en ce sens. La transformation du paysage énergétique nécessitera toutefois des investissements sans précédent, alors que les énergies fossiles représentent toujours plus de 80 % du bouquet énergétique mondial. Les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation du pétrole, du gaz naturel et du charbon exportés du Canada ont totalisé plus de quatre milliards de tonnes entre 2016 et 2020, selon une estimation du ministère fédéral de l’Environnement.



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