Plus de 60 pesticides interdits en ville, mais pas le glyphosate

Les jardiniers en ville devront trouver d’autres solutions à leurs problèmes de mauvaises herbes et d’insectes, mais pourront toujours compter sur le glyphosate. Un projet de règlement tout juste publié par Québec fait tripler le nombre de pesticides interdits en milieu urbain, mais n’inclut pas cet herbicide le plus vendu dans la province et dans le monde.
Souvent connu sous la marque Roundup de Monsanto, ce produit est en effet controversé depuis de nombreuses années.
Le nombre de substances interdites passerait ainsi de 22 à plus d’une soixantaine. Les modifications visent à « resserrer l’utilisation de pesticides en milieu urbain », écrit le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, dans ce projet de règlement publié dans la Gazette officielle la semaine dernière. Les utilisations ciblées sont l’application sur les gazons, sur les « matériaux inertes » comme les entrées en pierre ou encore sur les plantes ornementales.
Le glyphosate ne fait toutefois pas partie de cette liste qui n’avait pas été mise à jour depuis 2003. Un « oubli » qui ne passe pas chez les écologistes. « On a envie de donner une belle tape dans le dos au gouvernement, mais on doit leur demander plutôt comment ils ont pu oublier le glyphosate dans la liste », s’indigne Laure Mabileau, responsable des communications pour l’organisme Vigilance OGM.
Maintenant soumis aux commentaires jusqu’à début avril, le projet de règlement était fort attendu, puisque le ministère de l’Environnement s’était fixé cet objectif depuis 2015. Environ 150 municipalités du Québec réglementent déjà l’usage des pesticides sur leur territoire. Le cadre réglementaire est variable, mais Montréal, Granby et Laval ont inclus le glyphosate dans la liste des substances prohibées sur leur territoire. La Ville de Québec a aussi confirmé au
« L’absence du glyphosate [dans la liste de Québec], c’est vraiment l’éléphant dans la pièce », déplore Mme Mabileau. Ce pesticide est devenu « le symbole de notre dépendance aux pesticides », énonce son organisme, Vigilance OGM, qui mène la campagne Sortir du glyphosate.
« C’est souvent un usage esthétique dans le cas des particuliers. On reste très exposés à ces pesticides parce qu’il y a une proximité avec notre milieu de vie », explique-t-elle.
Le glyphosate demeure le pesticide le plus vendu à l’échelle de la province, comptant pour 44 % de toutes les ventes en milieu agricole, selon les plus récentes données disponibles.
Les ventes de pesticides en milieu urbain représentent quant à elles 18 % de toutes les ventes. La majorité des acheteurs en ville sont des particuliers pour leur usage domestique, indique le Bilan des ventes de pesticides 2020.
« C’est un enjeu sociétal, pas juste un problème pour les agriculteurs. Notre dépendance aux pesticides, c’est tout le monde qui doit régler le problème », souligne Mme Mabileau.
Le ministre Benoit Charette n’a pas répondu aux questions du Devoir, ni son ministère.
Une controverse qui dure
Un schéma de décisions mis en avant par le ministère de l’Environnement semble indiquer que le glyphosate aurait pu être considéré dans la liste.
La cancérogénicité est l’un des critères utilisés pour déterminer si un ingrédient actif est à interdire en milieu urbain, selon un document publié récemment par ce ministère.
Si le pesticide présente une « toxicité chronique élevée ou extrêmement élevée », il doit être interdit. Le niveau de risque « élevé » se définit notamment comme une substance « cancérigène possible chez l’humain », et « extrêmement élevé », comme « cancérigène probable ».
C’est là le cœur des dissensions scientifiques et judiciaires à propos du glyphosate.
Il a été désigné en 2015 en tant que « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé.
Santé Canada a néanmoins décidé, en 2017, de maintenir son approbation jusqu’en 2032, jugeant qu’il ne présentait « probablement pas de risque pour le cancer humain ». Cette décision se justifie par son évaluation « du risque réel », soutient cette instance, en tenant compte du niveau d’exposition humaine, niveau qui n’a pas été pris en compte par le CIRC.
Plusieurs groupes et chercheurs font toutefois valoir que Santé Canada se base principalement sur les études fournies par les fabricants pour évaluer les substances.
« Le CIRC se base sur des études indépendantes. C’est alarmant de constater cette variation lorsque ce sont plutôt les entreprises qui fournissent les données », dit Laure Mabileau. Elle remarque également que Santé Canada évalue isolément les substances, et non pas « l’ensemble de la formule commerciale, incluant les adjuvants ».
Québec a reconnu la maladie de Parkinson en tant que maladie professionnelle pouvant être en lien avec une exposition aux pesticides. Des agriculteurs malades d’ici militent pour que certains cancers soient aussi reconnus.
En 2021, Le Devoir avait révélé que Santé Canada voulait aussi autoriser plus de résidus de ce pesticide sur plusieurs aliments, dont des légumineuses et des noix. La hausse des limites maximales de résidus avait alors soulevé un tollé, d’autant plus que c’est Bayer qui l’avait demandée.
Cette entreprise allemande croule aujourd’hui sous les poursuites liées au glyphosate aux États-Unis et a mis de côté 5,6 milliards de dollars américains pour parer aux potentielles compensations futures. En Colombie, c’est le gouvernement qui est poursuivi pour avoir fumigé des populations au passage en tentant d’éradiquer des champs de coca.
Bayer a aussi annoncé en 2021 que le glyphosate serait remplacé par « d’autres ingrédients actifs » dès cette année dans les produits vendus aux clients résidentiels aux États-Unis pour diminuer le risque de futures poursuites.