Bay du Nord pourrait produire près d’un milliard de barils de pétrole

La compagnie pétrolière Equinor compte utiliser une « unité flottante de production, de stockage et de déchargement en mer » semblable à celle de la photo pour l’exploitation du projet Bay du Nord.
Rodger Bosch Agence France-Presse La compagnie pétrolière Equinor compte utiliser une « unité flottante de production, de stockage et de déchargement en mer » semblable à celle de la photo pour l’exploitation du projet Bay du Nord.

Lorsque le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a approuvé le nouveau projet d’exploitation pétrolière Bay du Nord, en avril 2022, le potentiel du gisement était évalué à 300 millions de barils. Moins d’un an plus tard, la confirmation d’une « découverte significative » porte ce potentiel à près d’un milliard de barils. Toutefois, pour le moment, il n’est pas question de revoir l’évaluation environnementale fédérale, qui sera contestée devant les tribunaux dès cette semaine.

Le projet pétrolier Bay du Nord résulte de différents forages qui ont mené à des découvertes de pétrole sous les fonds marins, à l’est des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. Au moment de l’approbation du projet de la multinationale norvégienne Equinor l’an dernier, on évoquait essentiellement un potentiel de 300 millions de barils exploités sur une période d’environ 30 ans.

L’entreprise a par la suite indiqué que le potentiel du secteur pouvait dépasser les 500 millions de barils, mais sans s’avancer davantage sur la quantité de pétrole qui serait exploitable. Or, l’Office Canada–Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers (C-TNLOHE)a confirmé récemment une « découverte significative » de 385 millions de barils qui, combinée aux autres découvertes du secteur, porterait le potentiel à 979 millions de barils de pétrole.

Cette nouvelle donnée confirmant l’ampleur du gisement, qui est aujourd’hui contrôlé par Equinor et BP Canada, découle de données recueillies avec le puits « Cappahayden K-67 », foré en 2020, soit deux ans avant le feu vert du fédéral. L’Office n’a pas souhaité préciser si cette « découverte significative » modifiait l’ampleur du projet, précisant simplement que la décision appartient à Equinor. La pétrolière n’a pas encore déposé de demande pour lancer la phase d’exploitation commerciale, a-t-on indiqué par courriel.

Equinor a pour sa part fait valoir que le potentiel de 385 millions de barils est inclus dans le projet Bay du Nord, tout en réitérant que les « réserves récupérables » représentent « plus de 500 millions de barils ». Une décision concernant la phase d’exploitation de ce pétrole en milieu marin doit être prise « dans les prochaines années », pour une mise en production d’ici « la fin de la décennie », a précisé un porte-parole d’Equinor, Ola Morten Aanestad, dans une réponse écrite.

Évaluation fédérale

 

Même si le potentiel de pétrole exploitable pourrait tripler, par rapport aux chiffres évoqués au printemps 2022, il n’est pas question pour le moment de réviser l’évaluation environnementale fédérale qui a mené au feu vert donné par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault.

Celle-ci ne se basait pas sur la quantité de pétrole du gisement, rappelle l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) par courriel. Elle était « fondée sur l’emplacement du projet, le nombre d’années, les composantes et les activités (y compris l’équipement, le nombre de navires et d’unités de forage du projet, etc.) ». Equinor souhaite forer jusqu’à 60 puits d’exploitation sur une période de 30 ans, tout en poursuivant les forages exploratoires, dans une zone située à 470 kilomètres des côtes de Terre-Neuve et à plus de 1000 mètres de profondeur.

L’AEIC souligne que « la possibilité de puits supplémentaires et de raccordements à l’installation de production (mise en valeur future) a été prise en compte ». On ajoute que l’évaluation environnementale « a pris en compte les effets potentiels de l’exploitation » d’autres réserves de pétrole qui seraient découvertes par la suite.

Si le promoteur apportait des changements importants par rapport à la description du projet inscrite dans le « rapport d’évaluation environnementale », il devrait toutefois « aviser » l’AEIC et préciser les changements. La description en question donne des indications sur le calendrier de réalisation et la zone d’exploitation, mais elle ne précise pas le type de plateforme de forage, ni le nombre définitif de puits. On mentionne aussi la réalisation de levés sismiques, sans le confirmer.

Contestation judiciaire

 

L’approbation du projet est par ailleurs contestée devant les tribunaux par la Fondation Sierra Club Canada et Équiterre, un organisme cofondé par Steven Guilbeault. Les audiences débuteront mercredi à Ottawa.

« L’évaluation environnementale n’a pas suffisamment pris en considération les émissions de gaz à effet de serre produites en aval, lesquelles représentent 90 % des émissions liées au projet », fait valoir Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre. Celles-ci pourraient se chiffrer en centaines de millions de tonnes.

Les deux organismes, qui sont représentés par Ecojustice, contestent d’ailleurs « la rhétorique de l’industrie et des gouvernements » selon laquelle le projet sera à terme « carboneutre ». Dans sa décision, le gouvernement Trudeau a affirmé que le projet Bay du Nord sera carboneutre à l’horizon 2050. Mais cette carboneutralité ne tient pas compte de l’utilisation du pétrole qui sera exploité au large des côtes de Terre-Neuve.

En plus des impacts climatiques de l’exploitation, il existe des risques bien réels pour les milieux marins, selon Sylvain Archambault, biologiste à la Société pour la nature et les parcs du Québec. « C’est assez inquiétant, parce qu’on parle ici d’un projet d’exploitation en eaux très profondes, soit plus de 1000 mètres, ce qui est une première au Canada. À titre de comparaison, la plateforme Hibernia exploite du pétrole à environ 90 mètres de profondeur. Et avec Bay du Nord, on devrait avoir plusieurs zones exploitées et raccordées par des conduites sous-marines à un navire d’exploitation. »

M. Archambault ajoute que la possibilité d’un déversement existe bel et bien. Il rappelle que les experts de Pêches et Océans Canada ont eux-mêmes mis en garde contre un tel risque, dans leur analyse de l’étude d’impact du promoteur. Dans ce document, daté de janvier 2022, le ministère réfute les prétentions d’Equinor, qui affirmait dans son étude d’impact que le risque d’un déversement est « extrêmement faible ». « Si 40 puits sont forés en 30 ans, la probabilité d’un déversement extrêmement important est de 16 % », écrivent les experts fédéraux.

Le rapport final de l’AEIC concluait pour sa part que « compte tenu de la mise en oeuvre des mesures d’atténuation, l’Agence conclut que le projet d’exploitation de Bay du Nord n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ».

L’évaluation a néanmoins mis en lumière plusieurs questions environnementales. Le projet d’Equinor se situe dans une « zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique », mais aussi dans des « écosystèmes marins vulnérables ».

À voir en vidéo