Le «recycleur #1 de gypse» doit quitter son site d’exploitation
Les heures sont comptées pour Recycle Gypse Québec, qui se présente comme le « numéro un » du recyclage de gypse de la province. Alors que le ministère de l’Environnement enquête sur l’entreprise, le propriétaire du site que celle-ci exploite, l’organisme de transport en commun Exo, lui donne jusqu’à la fin du mois pour quitter les lieux.
Un des immeubles où Recycle Gypse entasse ses résidus de construction, à Delson, est littéralement plein à craquer. Un surplus de vieux matériaux s’échappe d’un des murs de tôle éventrés. À l’arrière, loin des regards, l’entreprise forme des amas de résidus qui font plusieurs mètres de haut.
Sur son site Internet, elle vante pourtant ses valeurs environnementales : « Toutes nos opérations se font en harmonie avec la nature et l’environnement, c’est une fierté pour notre entreprise. »
Or, l’entreprise collectionne les infractions. Quatre avis de non-conformité ont été formulés par le ministère de l’Environnement depuis 2017, notamment pour réalisation d’activités sans certificat d’autorisation. Recycle Gypse fait actuellement l’objet d’une enquête, a confirmé au Devoir le ministère de l’Environnement, qui ne veut pas formuler de commentaires.
Une situation qui a mené à un bras de fer juridique entre l’entreprise et Exo, propriétaire du site. Dans le cadre d’une ordonnance devant la Cour supérieure, Recycle Gypse s’était d’ailleurs engagé à quitter le terrain à la fin de son bail qui arrivait à terme le 31 décembre dernier.
Recycle Gypse « n’a pas quitté les lieux à la date prévue en dépit de son engagement judiciaire », indique Exo, organisme public de transport en commun qui exploite des lignes d’autobus et de train de banlieue près de Montréal.
« Le nettoyage du site ayant été débuté par le locataire, une entente de mitigation pour permettre la continuité des activités de nettoyage jusqu’au 28 février 2023 a été déposée au dossier de la Cour », précise Exo. L’organisme refuse de commenter le dossier, qui fait « présentement l’objet de procédures judiciaires devant la Cour supérieure du Québec ».
Le ministère de l’Environnement et Exo ne sont pas les seuls à avoir maille à partir avec l’entreprise délinquante. Dans les dernières années, l’administration de Delson s’est aussi tournée vers les tribunaux, soutenant que Recycle Gypse ne respectait pas la réglementation municipale qui interdit l’entreposage extérieur de matériaux de récupération. En 2020, la Cour municipale avait donné raison à la Ville.
Joint par Le Devoir, le principal actionnaire et unique administrateur de Recycle Gypse, Mathieu Fortier-Mercier, a refusé de commenter la situation. Il nous a renvoyés à l’avocat de l’entreprise, Me Karl-Emmanuel Harrison : « De ce que je comprends, l’entente de prolongation de bail doit être entérinée par la Cour. […] C’est pour une courte période ; c’est pour continuer les travaux qui sont en cours. »
« Le nettoyage du site progresse, mais pas à la vitesse [qu’Exo voudrait] », admet Me Harrison, confirmant que les activités de l’entreprise à Delson arrivent à leur terme. Recycle Gypse Québec compte poursuivre ses activités sur un nouveau site « dans la région », dit-il, sans toutefois préciser l’emplacement.
« C’est le moment de donner un coup de barre »
Recycle Gypse n’est pas membre du Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec, qui représente notamment l’industrie du tri de matières résiduelles. Contacté par Le Devoir, le nouveau directeur de l’association, Kevin Morin, reconnaît néanmoins que les compagnies qui dérogent de la sorte du cadre réglementaire « nuisent à l’image du secteur ».
« Il y a eu beaucoup d’efforts de faits dans les dernières années pour améliorer le cadre réglementaire dans le secteur des résidus de construction, de rénovation ou de démolition », dit-il, indiquant que le gouvernement devrait maintenant resserrer le contrôle de la réglementation actuelle.
Cela devrait passer par une hausse du nombre d’inspecteurs sur le terrain, et par une accélération des procédures lorsqu’une entreprise est en infraction « pour qu’elle apporte rapidement des correctifs ou que le ministère puisse en forcer la fermeture », soutient-il.
Son de cloche similaire de la part de Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets : « C’est peut-être le moment de donner un coup de barre dans cette industrie et de resserrer un peu les contrôles et la réglementation, parce qu’actuellement, c’est du laisser-aller. »
Selon le bilan de Recyc-Québec, le volume de résidus de construction, de rénovation ou de démolition (CRD) a augmenté de 4 % entre 2018 et 2021. Des 1 800 000 tonnes acheminées à ses centres de tri, seules 261 000 ont été recyclées. Par ailleurs, les centres de tri ont envoyé 650 000 tonnes de rejets vers un lieu d’élimination, ce qui représente une hausse de 32 % comparativement à 2018.
« C’est désolant, parce que sur le plan du traitement du CRD, c’est là où le bât blesse, alors que c’est peut-être là où on devrait mettre le plus d’effort. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas », dit Karel Ménard. Les solutions passent par un changement dans les pratiques sur le terrain, selon lui : « On pourrait trier à la source en pratiquant la déconstruction plutôt que la démolition. »