Climat extrême, sécheresse «sans précédent» au Kenya

Photo: Adrienne Surprenant MYOP Abdub Waqo, éleveur de 35 ans, a amené ses vaches paître au Parc National de Marsabit.

Les gens luttent pour survivre sur les terres arides du Kenya. Et les prévisions pour la prochaine saison des pluies n’augurent rien de bon. Début d’une série de reportages du Devoir.

Garikorte Elemo, 22 ans, a perdu sa grand-mère il y a quatre mois. Elle est morte, affaiblie par le manque de nourriture, explique-t-elle au Devoir. Elle raconte son histoire assise dans sa hutte, qui offre, au milieu de la terre aride, un répit face au soleil pesant et aux 35 °C qu’il fait cette journée-là.

« Nous n’avons pas de nourriture, explique-t-elle. J’avais beaucoup de difficultés à lui donner à manger. » Elle parle doucement, sans effusion, les traits tirés. Elle s’étendra sur le sol après l’entrevue : elle-même a sauté plusieurs repas ces derniers jours.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP Lejas Bursuna, cinquantenaire, mère de neuf enfants, est assise à côté du cadavre d’un de ses bébés chèvres, mort la veille, dans le village de Sale, région de Laisamis, au Kenya. Elle a perdu 30 chèvres et moutons, de son troupeau qui en comptait 52. Il s’agit de la pire sécheresse qu’elle ait jamais connue.

Les rations de mélange de maïs et de soya enrichi fournies par le Programme alimentaire mondial et sur lesquelles elle a pu mettre la main n’ont pas suffi. « J’ai vraiment lutté pour qu’elle se porte mieux, mais à un certain point, j’ai accepté le fait que nous n’avions pas à manger, dit-elle. Parfois, je lui donnais du thé noir fort, sans lait. Elle est devenue de plus en plus faible, chaque jour. »

Sa grand-mère est maintenant enterrée derrière la hutte, et un petit vase a été posé sur sa tombe. La jeune femme vit dans un petit village d’éleveurs nomades installés à proximité de Balaah, au nord du Kenya, dans le comté de Marsabit. Ici, comme dans toutes les autres communautés que Le Devoir a visitées, les gens peinent à manger un repas par jour.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP À gauche, Garikorte Elemo, 22 ans, a perdu son premier-né et unique enfant d’une diarrhée peut-être liée à la sécheresse, et sa grand-mère est morte de faim, au village de Balaah, dans la région de Laisamis. À droite, la tombe de son enfant.

Depuis quelques années, le pays, comme d’autres de la Corne de l’Afrique, est frappé par une sécheresse, alors que cinq saisons des pluies consécutives ont vu des précipitations plus faibles que la normale. À cela s’ajoutent des températures plus élevées. Marsabit fait partie des comtés les plus touchés au pays, selon le National management Drought Management Authority.

« C’est sans précédent, nous n’avons jamais vu ça avant, rapporte Joyce Kimutai, scientifique spécialisée en climat et qui travaille pour le département de météorologie du Kenya. En 70 ans, nous n’avons jamais enregistré une sécheresse aussi mauvaise que celle-ci. »

Elle qualifie cet événement climatique « d’extrême », et les prédictions pour la prochaine saison des pluies, qui débutera en mars, ne sont pas positives.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP Des paysages arides sont vus du ciel entre Marsabit et Laisamis

Des troupeaux décimés

Les troupeaux de chèvres, de moutons, de vaches et de dromadaires sont au centre de la vie des éleveurs, qui dépendent entièrement d’eux pour gagner de l’argent et survivre. Mais les pâturages sont maintenant quasi inexistants, et les rivières sont sèches. Les abords des villes se sont transformés en cimetière à ciel ouvert, parsemés de carcasses d’animaux, morts de faim et de soif.

Partout, l’histoire est la même. Les éleveurs perdent de grandes quantités de bêtes, et plusieurs craignent le pire.

« C’est la pire sécheresse que j’ai jamais vécue », lance Lejas Bursuna, qui réside à proximité de Laisamis. Elle nous accueille devant sa hutte au petit matin, avec à ses pieds une très jeune chèvre morte la veille. La femme dans la cinquantaine a vu le troupeau de chèvres et de moutons de sa maisonnée fondre de 50 à 20 bêtes. D’autres ont vu leur troupeau passer de 300 à 30 animaux. Du bétail qu’ils ne pourront pas vendre au marché, ce qui entraîne des pertes financières énormes. Les bêtes qui leur restent sont maigres et ont moins de valeur.

« C’est normal pour nous d’aller dormir sans avoir mangé de repas », raconte Lejas Bursuna. L’accès à la viande et au lait de dromadaire est beaucoup plus difficile. Sa famille dépend d’elle. Quand elle se couche la nuit, ses pensées s’entrechoquent dans sa tête, et le stress l’empêche de dormir. « Je me demande, demain matin, où vais-je aller, qu’est-ce qu’ils vont manger », dit-elle.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP À gauche, un dromadaire mort, sur la route entre Marsabit et North Horr. À droite, des bidons d’eau dans un arbre, dans la région de Laisamis.

Elle survit grâce aux dons de bons samaritains et, comme plusieurs personnes que nous avons rencontrées, elle quémande parfois de la nourriture à ses voisins pour pouvoir cuisiner à ses enfants et petits-enfants.

Plus de neuf millions de Kenyans sont des éleveurs, sur une population totale de 53 millions. Ils détiennent un bétail d’une valeur de plus d’un milliard de dollars US, et leur mode de vie est maintenant en jeu. Dans les communautés, plusieurs montrent du doigt les changements climatiques.

La spécialiste Joyce Kimutai, qui fait des recherches sur le rôle que jouent les changements climatiques dans de tels événements, ne peut toutefois pas le confirmer. Avec une équipe de World Weather Attribution (WWA), elle a commencé une étude en vue de la publication d’un article scientifique pour déterminer si la sécheresse est hors de tout doute attribuable aux changements climatiques. « Le pays doit avoir une sécurité alimentaire, croit-elle. Nous devons trouver une façon de faire les choses qui soit plus durable. »

Des enfants ont faim

Le gouvernement kenyan, les gouvernements locaux et des organismes distribuent eau, nourriture, suppléments et argent pour aider les populations les plus touchées. Au dispensaire de Balaah, qui dessert entre 8000 et 9000 personnes, la situation, « urgente », est malgré tout passée de « mauvaise à pire ».

Photo: Adrienne Surprenant MYOP Ngis Lengima vient trois fois par jour puiser de l’eau à ce réservoir, le seul qui reste dans le village, dans la région de Laisamis, au Kenya. Elle utilisait un autre réservoir d’eau avant pour cuisiner et boire, mais comme il est cassé, elle se résigne à utiliser l’eau moins pure qui lui servait avant uniquement à se laver et faire le ménage. Ces temps-ci, elle a parfois du sang dans son urine.
Photo: Adrienne Surprenant MYOP Distribution alimentaire par le gouvernement kenyan, à North Horr, la semaine dernière

« Nous n’avons pas du tout assez de ressources. Parfois, il n’y a pas d’approvisionnements, pas d’eau », lance l’infirmier Solomon Murangiri. Le dispensaire a des critères précis pour donner des suppléments et des céréales enrichies. Cela concerne les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes ou qui allaitent. « C’est un défi, parce qu’ils partagent la nourriture qu’on leur donne », dit-il. Certains peinent donc à se rétablir.

Le nombre d’enfants qui souffrent de malnutrition, une situation qui prévalait déjà avant la sécheresse, est en hausse. Au dispensaire de Malabot, un village de 500 habitants au nord-ouest du comté de Marsabit, l’infirmier sur place recense 70 enfants de moins de 5 ans qui bénéficient d’un programme alimentaire spécial qui leur permet d’avoir accès à des suppléments de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Sur ce nombre, 10 enfants souffrent de malnutrition sévère, mais la situation n’est pas au stade de la famine.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP À gauche, Joseph Adano, infirmier depuis un an, implante un programme pour les enfants et femmes enceintes atteintes de malnutrition, à Malabot, en périphérie de North Horr. À droite, sur 230 enfants de moins de 5 ans sous la responsabilité de la clinique, 10 souffrent de malnutrition sévère, et 60, de malnutrition modérée. Des compléments alimentaires pour les enfants sous-alimentés et les mères allaitantes ont été donnés par la USAID à un centre de santé de la région de Laisamis.

« Nous avons de nouveaux cas tous les mois », rapporte l’infirmier du dispensaire, Joseph Adano. En faisant des tournées avec sa collègue, il note souvent des cas qui nécessitent une réadmission, parce que le poids des enfants est redevenu trop bas. « À la maison, ils n’ont pas ou ont peu à manger après avoir été déchargés du programme », dit-il.

C’est le cas du garçon de trois ans d’Adho Abudho, 38 ans, qui est pour la deuxième fois suivi par le programme en près d’un an et demi. L’enfant était dans un piteux état il y a quatre mois, avant sa réadmission.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP Malabot, en périphérie de North Horr, au Kenya

« Mon coeur a mal de ne pas pouvoir nourrir mes enfants à chaque repas », raconte la mère de cinq enfants, qui a perdu 30 bêtes sur un troupeau de 50.

À l’extérieur de la hutte, le vent souffle fort sur le sable couleur sombre où est plantée une poignée de huttes, et les bourrasques font lever les branches des quelques arbres et buissons rabougris aux alentours.

Photo: Adrienne Surprenant MYOP À droite, Adho Abudho, 38 ans, mère de cinq enfants, qui allaite son nouveau-né, est suivie par le programme pour éviter que les femmes enceintes et allaitantes soient dénutries. À gauche, ses enfants. Celui le plus à gauche a 3 ans, et bénéficie du programme de nutrition pour la deuxième fois.
Photo: Adrienne Surprenant MYOP Un homme marche avec son petit troupeau de dromadaires, dans la région de Laisamis, au Kenya.

Comme dans les autres villages, la plupart des hommes et des adolescents sont à l’extérieur et marchent parfois pendant des dizaines de kilomètres avec ce qui leur reste de bêtes, dans l’espoir de trouver un point d’eau ou de la verdure pour les nourrir. Plusieurs prédisent la fin de leur mode de vie ancestral si les mauvaises saisons des pluies persistent.

« Nous sommes dévastés, notre bétail est tout pour nous, lance Adho Abudho. C’est notre famille. »

Avec Safi Godana

En vidéo | Le Devoir au Kenya: une sécheresse historique

 

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



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