Le Québec en état d’«ébriété énergétique»

Les Québécois vivent dans un état d’« ébriété énergétique » qui menace l’atteinte de nos objectifs climatiques et la protection de l’environnement, prévient la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal dans un nouveau rapport, qui met en lumière notre appétit toujours plus grand pour les véhicules utilitaires sport et le manque d’ambition pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

Même si on parle plus que jamais de la nécessité de lutter contre les crises du climat et de la biodiversité, mais aussi d’accélérer la transition énergétique, « les tendances ne vont pas dans la bonne direction », constate l’édition 2023 de l’État de l’énergie au Québec, qui est publiée lundi.

Une fois l’effet brutal de la pandémie passé, le retour à une certaine normalité a évidemment poussé vers le haut les ventes de produits pétroliers. Le Québec en consomme aujourd’hui près de 18 milliards de litres par année, et ce niveau de consommation « devrait se maintenir jusqu’en 2030 », prévient le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. La province a aussi battu, en 2021, « un record de vente » de diesel pour le transport routier, avec plus de 3,6 milliards de litres, soit 270 millions de litres de plus que le précédent record, établi en 2019.

Une bonne partie du maintien durable de notre dépendance au pétrole tient à notre appétit pour les véhicules personnels à essence, et notamment la popularité sans précédent des « camions », une catégorie qui comprend les fourgonnettes, les véhicules utilitaires sport (VUS) et les camionnettes. Les ventes de cette catégorie ont augmenté de 253 % entre 1990 et 2021, au point de représenter 71 % des ventes dans la province en 2021.

«À défaut d’avoir des politiques d’écofiscalité ou des restrictions réglementaires sur les achats et les usages des véhicules individuels, je crains que la tendance à la disparition de la voiture et à l’omniprésence des VUS continue », souligne M. Pineau. Or, ajoute-t-il, « la prolifération des VUS est une très mauvaise nouvelle pour l’étalement urbain et l’occupation du territoire, parce qu’elle incite à moins de densité. C’est aussi une catastrophe pour les coûts des ménages et des infrastructures, parce que les VUS et les routes coûtent très cher ». Le rapport précise que les seules sommes payées pour les « camions » atteignaient 14,2 milliards de dollars en 2021, une somme en hausse de 692 % par rapport à 1990.

Pour réduire notre consommation d’énergie en transport, Pierre-Olivier Pineau juge nécessaire d’encourager le télétravail et le covoiturage, mais également le transport actif et en commun. Il estime aussi que l’imposition de taxes sur le kilométrage et le stationnement permettrait de décourager l’utilisation de l’auto solo. « Les revenus de ces taxes pourraient financer du transport en commun, qui deviendrait plus attrayant et induirait un cercle vertueux de changements d’habitudes : moins de transports individuels parce que plus dispendieux, finançant plus de transport en commun plus accessible. »

VUS électrifiés

 

Le gouvernement Legault a toujours refusé d’envisager de restreindre la publicité sur les VUS ou encore d’imposer une taxation particulière aux véhicules, par exemple pour les plus polluants, préférant miser sur l’électrification des véhicules personnels des Québécois. Selon les données inscrites dans l’État de l’énergie 2023, les véhicules électriques représentaient 9 % des ventes de nouveaux véhicules en 2021 et représentent désormais un peu plus de 5 % des véhicules en circulation.

Fait à noter, 57 % de ces ventes étaient dans la catégorie des camions. Or, « un VUS électrique peut consommer 50 % plus d’énergie qu’une voiture électrique », ce qui est de mauvais augure pour la demande en électricité des prochaines années. « Même électriques, les VUS seront une catastrophe énergétique », laisse tomber M. Pineau. « La demande sur le réseau électrique sera encore plus grande avec ces véhicules qu’avec des voitures. Les défis de recharge et de pointe vont être encore plus difficiles que ce qu’ils auraient pu être avec de simples voitures électriques. »

Ces VUS électriques ne permettent par ailleurs pas de réduire l’utilisation des véhicules individuels ni de transférer les usagers vers d’autres modes de transport. Sans compter que « l’empreinte environnementale » des VUS est également « problématique », lorsqu’on tient compte du cycle de vie du véhicule, précise-t-il.

«Alors que le gouvernement parle de sobriété énergétique, la tendance sur les routes va dans la direction opposée, souligne le rapport publié lundi, en évoquant un état d’« ébriété énergétique ». « Nos niveaux de consommation énergétique ne sont collectivement pas responsables. Au regard de nos ambitions environnementales pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de la protection du territoire et de la biodiversité, nous consommons beaucoup trop d’énergie. Les impacts des systèmes de consommation et de production sont trop grands par rapport à ce que la nature peut supporter de manière durable », explique Pierre-Olivier Pineau.

Il fait valoir à titre d’exemple que la consommation d’énergie par habitant, dans le secteur des transports, est deux fois plus importante au Québec qu’en Allemagne, en raison d’un manque d’efficacité généralisé et de lacunes dans le développement des transports collectifs.

Selon lui, il est donc urgent de réduire notre consommation, avant de statuer sur les moyens à prendre pour produire davantage d’énergie renouvelable pour répondre à nos besoins. « Il faut que tous les incitatifs — information, réglementation et tarifs — guident les consommateurs, tant résidentiels que commerciaux et industriels, vers une moindre consommation d’énergie », fait valoir le titulaire de la chaire en gestion de l’énergie. Cela peut passer par des changements dans les modes de transport, mais aussi par la rénovation du parc de bâtiments et l’idée de favoriser l’économie circulaire dans le secteur industriel.

Pierre-Olivier Pineau met par ailleurs en garde contre une centralisation des décisions au sein du pouvoir politique. « Il faut aussi éviter de faire croire que la transition énergétique demande seulement du développement économique et de nouvelles industries. Elle demande avant tout de transformer nos systèmes énergétiques, ce qui ouvre plusieurs occasions de développement, mais surtout des occasions d’être plus efficaces. Les gains d’efficacité sont à la base des gains de productivité, qui pourraient rendre le Québec à la fois plus riche et plus propre. »

À voir en vidéo