Infraction environnementale durant la construction du nouveau pont Champlain

L’entreprise Signature sur le Saint-Laurent Construction, qui pilotait la construction du nouveau pont Champlain sous l’autorité d’un ministère fédéral, a commis une infraction environnementale qui lui a valu une amende de 75 000 $ imposée par le gouvernement fédéral, a appris Le Devoir. Même si la sanction a été confirmée en novembre dernier, celle-ci n’a toujours pas été rendue publique.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, puis confirmées par Pêches et Océans Canada (MPO), l’infraction a été commise à l’automne 2020, dans le cadre de travaux à une jetée située aux limites de L’Île-des-Soeurs. Ceux-ci avaient provoqué un rejet important de sédiments dans les eaux du fleuve Saint-Laurent, en contravention de la Loi sur les pêches du Canada, qui protège l’habitat du poisson.
« L’entreprise possédait une autorisation de Pêches et Océans Canada afin de procéder aux travaux. Cette autorisation était conditionnelle à l’application de mesures d’atténuation, à l’utilisation de certaines méthodes de travail et au respect des séquences d’opérations afin de minimiser les impacts du projet sur le poisson et son habitat », explique le ministère fédéral, dans une réponse écrite.
Ce dernier ne donne pas de détails sur la gravité de l’infraction, la nature des sédiments rejetés, la durée du rejet ou les impacts sur la faune aquatique du Saint-Laurent. « Les mesures de contrôle des sédiments et de l’érosion mises en place pour limiter l’apport de sédiments provenant du chantier vers le milieu aquatique n’étaient pas efficaces », indique-t-on simplement, à la suite d’une demande de précision.
À l’époque du déversement, le MPO avait jugé la situation suffisamment sérieuse pour stopper les travaux « après avoir observé un non-respect des conditions d’autorisation concernant la méthode de travail ainsi que la gestion des eaux de chantier ».
À la suite de cet arrêt, « des mesures correctrices relatives à la séquence de travail ainsi qu’une meilleure gestion des eaux de chantier ont été exigées par le MPO. L’entrepreneur, après s’être conformé à ces mesures, a pu recommencer ses travaux », précise le ministère.
Il me semble normal et souhaitable que Pêches et Océan Canada intervienne afin d’assurer le respect de la loi et des autorisations données
Après analyse du dossier, l’entreprise Signature sur le Saint-Laurent Construction S.E.N.C. a néanmoins reçu « une sanction » de 75 000 $ le 7 novembre 2022. L’information n’avait toujours pas été publiée, en date de jeudi 2 février 2023. Dans le cadre de ce type d’infraction, la « peine maximale » est de 200 000 $, indique le MPO. La valeur du contrat pour la construction du nouveau pont avoisinait les 4 milliards de dollars.
L’entreprise Signature sur le Saint-Laurent Construction comprend SNC-Lavalin, Dragados Canada, Flatiron Constructors Canada et EBC. Infrastructure Canada, un ministère fédéral, est toutefois l’autorité responsable du projet du corridor du nouveau pont Champlain. Il s’agit du partenaire « public » du partenariat public-privé. Infrastructure Canada travaille avec d’autres partenaires fédéraux, notamment Services publics et Approvisionnement Canada, PPP Canada et Justice Canada.
Infrastructure Canada n’a pas commenté le dossier, en réponse à notre demande envoyée mercredi. Nous n’avons pas obtenu de réponse de Signature sur le Saint-Laurent.
Transparence
Après avoir pris connaissance des informations fournies au Devoir par Pêches et Océans Canada, le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud, estime qu’on manque de détails pour évaluer la situation et ses impacts environnementaux. « Il est difficile de juger du caractère adéquat et significatif d’une amende sans connaître la nature exacte de l’infraction, sa durée, s’il s’agit d’une récidive et sans savoir si les autorités ont clairement fait la promotion de la conformité à la loi », a-t-il fait valoir.
Selon lui, il serait utile que le fédéral fasse preuve de davantage de transparence. « Dans l’intérêt public et celui de la protection de l’environnement, nous invitons Pêches et Océans à mettre en place des politiques de communication axées sur la transparence lorsqu’il s’agit de l’application de la Loi sur les pêches. Au final, une amende doit demeurer dissuasive et en aucun cas devenir une forme déguisée de compensation au rabais pour la destruction de l’habitat du poisson. »
Anne-Sophie Doré, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement, estime que le MPO a joué son rôle dans ce dossier. « Il me semble normal et souhaitable que Pêches et Océan Canada intervienne afin d’assurer le respect de la loi et des autorisations données. Les lois prévoient de manière générale des sanctions […] et il me semble souhaitable que ces sanctions soient appliquées. »
Dans le secteur du pont Champlain, on retrouve des espèces inscrites sur la liste des espèces en péril du Canada, dont des espèces aquatiques. Tant la construction du nouveau pont que la démolition de l’ancien avaient d’ailleurs soulevé des questions en ce qui a trait aux impacts environnementaux.
Selon des informations précisées à l’époque par Infrastructure Canada, des impacts étaient prévus pour l’habitat du poisson, des milieux humides et un refuge d’oiseaux migrateurs, notamment. Des mesures de compensations ont donc été annoncées.
Une version précédente de ce texte, qui indiquait que Le Devoir n'a pas reçu de réponse de la part de SNC-Lavalin, a été corrigée.