Steven Guilbeault entend «collaborer» avec le président de la COP28

Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, promet de « collaborer » avec le président de la prochaine conférence climatique de l’ONU (COP28), le sultan Ahmed al-Jaber, qui dirige la plus importante entreprise pétrolière des Émirats arabes unis. Ce dernier a souvent plaidé pour une croissance de l’exploitation des énergies fossiles, qui sont à l’origine de la crise climatique qui menace aujourd’hui l’humanité.
Les Émirats arabes unis, qui accueilleront la COP28 à la fin de cette année, ont confirmé jeudi que la conférence serait présidée par le sultan Ahmed al-Jaber. « Nous apporterons une approche pragmatique, réaliste et axée sur les solutions, a-t-il promis dans un communiqué publié par l’agence de presse officielle du gouvernement. L’action climatique est une immense occasion économique d’investissement dans la croissance durable. Le financement est la clé. »
Le sultan agit déjà comme envoyé spécial pour les changements climatiques pour l’État monarchique. Il est aussi le président-directeur général de la principale entreprise pétrolière nationale du pays, l’Abu Dhabi National Oil Company, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 60 milliards de dollars.
Cette multinationale, la douzième compagnie pétrolière en importance dans le monde, est notamment spécialisée dans la commercialisation d’opérations de forage, le raffinage de pétrole et les projets de gaz naturel liquéfié. Elle exploite déjà près de 4 millions de barils de pétrole par jour et compte augmenter la production à plus de 5 millions de barils d’ici 2030.
Le sultan est d’ailleurs un ardent défenseur du développement du secteur pétrolier et gazier. En novembre dernier, dans le cadre d’un discours prononcé lors de l’Exposition et conférence internationale sur le pétrole d’Abou Dhabi, il plaidait pour le développement accru des énergies fossiles au cours des prochaines années.
Ottawa va « collaborer »
Est-ce que sa nomination à la présidence d’une conférence qui doit permettre de rehausser l’ambition climatique mondiale est une bonne décision ? « Le ministre Guilbeault entend collaborer, plus tard cette année, avec le président de la COP28 de manière à poursuivre la réalisation d’un programme vigoureux et ambitieux sur la lutte contre les changements climatiques », a fait valoir jeudi le cabinet du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, en réponse aux questions du Devoir.
« Le Canada continuera d’être une force motrice pour une ambition climatique accrue au niveau international lors des conférences COP, comme nous l’avons été ces dernières années, a ajouté le bureau du ministre. Nous sommes plus déterminés que jamais à soutenir la transition mondiale vers des formes d’énergie plus propres et renouvelables, en nous affranchissant de notre dépendance aux combustibles fossiles. »
Du côté du gouvernement du Québec, on dit vouloir attendre avant de se prononcer. « Nous allons juger la présidence de la COP28 au leadership qu’elle assumera lors de cette dernière », a répondu par courriel le cabinet du ministre de l’Environnement, Benoit Charette.
« Dépendance »aux énergies fossiles
Réagissant à la nomination du sultan Ahmed al-Jaber, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a réaffirmé qu’« il n’y a aucun moyen d’éviter une catastrophe climatique sans mettre fin » à la dépendance aux combustibles fossiles.
Les réactions négatives se sont par ailleurs multipliées jeudi du côté des groupes environnementaux, après la désignation du haut dirigeant d’une pétrolière pour piloter la conférence prévue à Dubaï.
L’organisation Greenpeace s’est dite « profondément alarmée » par cette nomination, une première dans l’histoire des conférences climatiques onusiennes. « Cela crée un dangereux précédent, et met en danger la crédibilité des Émirats arabes unis et la confiance qui leur a été accordée par l’ONU au nom des populations, des générations actuelles et futures, a-t-on fait valoir. Tout n’est pas joué, mais il y aura beaucoup à faire pour éviter que le sommet de Dubaï soit transformé en un autre événement de “greenwashing” pour l’industrie pétrolière et gazière. »
Les Émirats ont envoyé le plus grand contingent de lobbyistes de l’industrie à la COP27, organisée en novembre en Égypte. Le pays du Golfe, qui figure parmi les principaux exportateurs de pétrole au monde, plaide pour une sortie progressive des hydrocarbures. Il estime toutefois à plus de 600 milliards de dollars par an les investissements nécessaires dans l’industrie pétrolière et gazière d’ici 2030 pour répondre à la demande mondiale.
L’ancienne dirigeante d’ONU Climat Christiana Figueres a rappelé jeudi que l’Agence internationale de l’énergie est formelle : pour limiter le réchauffement climatique au seuil viable de 1,5 °C, il faut interdire tout nouveau projet d’exploration ou d’exploitation d’énergies fossiles dès maintenant. Dans ce contexte, a-t-elle souligné, la COP28 doit « accélérer la décarbonation ». « Il n’y a pas d’autre option », a-t-elle ajouté.
À l’heure actuelle, les engagements pris par les pays signataires de l’Accord de Paris nous conduisent plutôt vers un réchauffement d’au moins 2,5 °C, selon l’ONU. Qui plus est, des données publiées récemment par l’Agence internationale de l’énergie indiquent que les émissions mondiales de gaz à effet de serre imputables à la combustion d’énergies fossiles ont augmenté de 300 millions de tonnes en 2022, pour atteindre 33,8 milliards de tonnes.
ExxonMobil avait prédit la crise climatique
Dès les années 1980, la pétrolière ExxonMobil disposait de prédictions sur le réchauffement climatique d’une justesse remarquable, réalisées par ses propres scientifiques, qui se sont révélées être précisément ce qui s’est produit plusieurs décennies plus tard, a confirmé une nouvelle étude parue jeudi dans la revue Science. ExxonMobil, l’un des plus gros groupes pétroliers du monde, a « modélisé et prédit le réchauffement de la planète avec une exactitude troublante, pour finir par passer les décennies suivantes à nier cette même science climatique », a déclaré Geoffrey Supran, coauteur de ces travaux. Depuis plusieurs années déjà, ExxonMobil est accusée d’avoir tenu un double discours sur le changement climatique, provoqué par les immenses quantités de gaz à effet de serre rejetées dans l’atmosphère par l’humanité. Mais c’est la première fois que les projections réalisées par les scientifiques du groupe sont analysées de façon systématique ainsi que comparées à celles d’autres chercheurs de l’époque et au réchauffement effectivement observé par la suite.
Agence France-Presse