Émissions de gaz à effet de serre: le Canada est encore loin du compte

La croissance de la production pétrolière des sables bitumineux s’élève à 725 % depuis 1990, ce qui a provoqué une augmentation de 430 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie.
Marco Bélair-Cirino Le Devoir La croissance de la production pétrolière des sables bitumineux s’élève à 725 % depuis 1990, ce qui a provoqué une augmentation de 430 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie.

Si tous les humains émettaient autant de gaz à effet de serre par habitant que les Canadiens, les émissions mondiales seraient 10 fois trop élevées pour espérer limiter le réchauffement à un seuil viable. C’est ce qui se dégage de données inscrites dans un nouveau rapport du fédéral déposé à l’ONU. En s’appuyant sur les mesures en place et celles à venir, le gouvernement Trudeau dit toutefois être en mesure d’atteindre ses objectifs climatiques pour la décennie en cours.

Le gouvernement canadien a publié ce mardi 3 janvier un communiqué pour annoncer la publication, lundi, d’un nouveau « rapport d’étape » qui est déposé afin de répondre aux exigences de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le document technique de 580 pages fait état des progrès en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), en date de 2020, mais aussi des progrès attendus d’ici la fin de la décennie.

Les données indiquent une baisse marquée des émissions nationales de GES en 2020, dans un contexte de pandémie mondiale. Celles-ci sont ainsi passées de 738 millions de tonnes (Mt) en 2019 à 672 Mt en 2020. Les données pour l’année 2021, qui devraient indiquer un rebond des émissions des GES, comme cela a été observé ailleurs dans le monde, ne sont pas encore disponibles.

La baisse observée des émissions de GES a eu pour effet de réduire les émissions par habitant, qui sont passées à 17,7 tonnes en 2020, contre 19,6 en 2019. Reste à voir quelle sera l’ampleur du rebond en 2021. Mais sur une période de cinq ans (2016 à 2020), la moyenne des émissions par Canadien s’élevait à 19,4 tonnes.

Ce chiffre représente plus de quatre fois la moyenne mondiale d’émissions par habitant. À titre de comparaison, les émissions par habitant au Québec sont évaluées à 8,6 tonnes, selon le plus récent inventaire de GES, soit celui de 2020.

Sans surprise, les pays les plus pauvres de la planète — dont plusieurs subissent déjà les impacts de la crise climatique — ont des émissions de GES par habitant beaucoup plus faibles. La moyenne pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes se situe à 2,64 tonnes. En Afrique subsaharienne, celle-ci atteint 0,76 tonne, selon des données de la Banque mondiale.

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les émissions moyennes par habitant, à l’échelle planétaire, devraient être réduites à deux tonnes pour espérer parvenir à respecter l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris, soit limiter le réchauffement à +1,5 °C, par rapport à l’ère préindustrielle.

Pétrole et transport

Le bilan de GES élevé des citoyens canadiens découle en partie des émissions importantes de certains secteurs de l’économie, selon ce qui se dégage du rapport déposé à l’ONU par Ottawa le 31 décembre.

Ainsi, de 1990 à 2020, les secteurs pétrolier et gazier ont vu leurs émissions de GES augmenter de 76 Mt, mais en incluant un recul de 25 Mt entre 2019 et 2020, qui a porté le bilan annuel à 178,8 Mt. La majorité de l’augmentation est imputable à une croissance de 725 % de la production des sables bitumineux, ce qui a provoqué une augmentation de 430 % des GES de l’industrie.

Dans le secteur des transports, le gouvernement calcule que les émissions représentaient 24 % du bilan national en 2020, soit le deuxième secteur en importance, après celui du pétrole et du gaz. Encore une fois, on constate une hausse marquée entre 1990 et 2019, avant une baisse des émissions durant le plus fort de la pandémie.

Guilbeault confiant

Réagissant aux données inscrites dans le nouveau rapport déposé à l’ONU, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a dit avoir confiance de parvenir aux objectifs climatiques du Canada pour la présente décennie. Le gouvernement Trudeau vise une réduction de 40 % des émissions d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005. Cela impliquerait d’émettre 443 Mt, au lieu des 741 Mt de 2005.

Selon le ministre, cette cible « reste non seulement à portée de main, mais réaliste ». Par voie de communiqué, il a rappelé que des mesures supplémentaires de réduction des GES seront annoncées en 2023, dont le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier. « Des mesures supplémentaires continuent d’être élaborées, à la fois pour que le Canada atteigne son objectif pour 2030 et pour soutenir des réductions plus importantes après 2030 », ajoute-t-on.

Le « Plan de réduction des émissions pour 2030 », publié en 2022, prévoit aussi des investissements de 9,1 milliards de dollars pour réduire les émissions dans différents secteurs, dont celui des transports. Malgré le contexte géopolitique international bouleversé par la guerre en Ukraine, le gouvernement Trudeau dit garder le cap sur son objectif d’atteindre la « carboneutralité d’ici 2050 ».

Des mesures supplé­mentaires continuent d’être élaborées, à la fois pour que le Canada atteigne son objectif pour 2030 et pour soutenir des réductions plus importantes après 2030.

Dans le cadre de « projections » élaborées par le fédéral, la prise en compte des mesures déjà en oeuvre doit permettre de réduire les émissions canadiennes à 625 Mt en 2030. Mais en y ajoutant les « mesures supplémentaires qui sont en cours d’élaboration mais qui n’ont pas encore été entièrement mises en oeuvre », le bilan annuel serait de 491 Mt en 2030 et la cible de 443 Mt serait atteinte en 2035, estime Ottawa.

Critiques

Selon la plus récente édition du Climate Change Performance Index (qui évalue la valeur des engagements et des politiques climatiques des États), le Canada arrive au 58e rang d’un classement qui compte 60 États, soit 59 pays et l’Union européenne.

La performance globale du Canada se situe ainsi à un niveau « très bas », selon ce qui se dégage du portrait dressé par les organisations Germanwatch, New Climate Institute et le Réseau action climat.

Le rapport souligne notamment que le Canada n’est toujours pas sur la voie d’une réduction de l’exploitation pétrolière et gazière, et ce, même si plusieurs rapports scientifiques ont mis en lumière la nécessité de réduire la production pour limiter la hausse des températures mondiales.

Qui plus est, le gouvernement devrait revoir sa cible de réduction des GES et « renforcer » son plan climatique, de façon à atteindre l’objectif de la carboneutralité d’ici 2050. Si on appliquait ici la cible à atteindre pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, selon le GIEC, les émissions devraient atteindre 416 Mt en 2030. La différence avec la cible fédérale de 443 Mt, soit 27 Mt, équivaut aux émissions annuelles de 11 millions de voitures.

À voir en vidéo