Le défi colossal de la protection de la biodiversité

Au terme de quatre ans de négociations difficiles et retardées par une pandémie mondiale, la communauté internationale a finalement réussi à se doter d’un cadre de protection de la biodiversité d’une ampleur sans précédent. Mais le travail ne fait que commencer, puisque la mise en oeuvre de ce « pacte de paix avec la nature » nécessitera énormément de travail pour parvenir à éviter le naufrage des écosystèmes de la planète.

Contrairement à ce que plusieurs redoutaient depuis le début de la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15), le 7 décembre dernier, cet « accord de Kunming-Montréal » a été adopté par consensus dans la nuit de dimanche à lundi, soit avant la fin prévue des négociations des 196 Parties réunies au Palais des congrès. Mais surtout, le texte proposé dimanche par la Chine, qui présidait la conférence, a permis de conserver les éléments les plus significatifs du « cadre post-2020 » conçu « pour s’attaquer au déclin dangereux de la biodiversité et restaurer les écosystèmes naturels ».

« Nous avons ensemble franchi un pas historique », a réagi lundi le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault. « Il y a une semaine encore, le Canada et de nombreux groupes environnementaux n’auraient pu rêver du niveau d’ambition reflété dans le texte définitif », a-t-il insisté. À l’instar de certains observateurs, le ministre a évoqué « un moment Paris pour la biodiversité », en référence à l’accord mondial pour le climat signé dans la capitale française en décembre 2015.

Avec ce cadre, la communauté internationale s’engage formellement à protéger 30 % des milieux naturels terrestres et maritimes d’ici 2030, tout en ouvrant la porte à une « utilisation durable » de ces zones. Cela signifie que des efforts sans précédent seront nécessaires, puisqu’à l’heure actuelle, 17 % des écosystèmes terrestres et moins de 10 % des milieux marins sont protégés. En plus de la conservation des écosystèmes naturels, le document indique que les pays doivent viser la « restauration » d’au moins 30 % des zones « dégradées » par l’activité humaine.

La réduction des « risques » que représentent « toutes les sources » de pollution est également inscrite dans l’accord, qui précise qu’elles devront être réduites « à des niveaux qui ne sont pas dommageables pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes ». En ce qui a trait à la « pollution plastique », on indique le besoin de la réduire et de l’éliminer progressivement.

Les délégations se sont aussi engagées à se tourner vers une agriculture, une foresterie et des pêcheries qui intègrent des pratiques favorables à la biodiversité. Et pour réduire la pression de notre mode de vie sur les écosystèmes, on espère diminuer de 50 % le gaspillage alimentaire, mais aussi « réduire la surconsommation et la production de déchets ».

Promesses monétaires

Sur la question du financement de la mise en oeuvre du cadre mondial, qui menaçait littéralement de faire dérailler les négociations, le cadre prévoit une augmentation substantielle du soutien financier des pays développés aux pays en développement : 20 milliards de dollars par année d’ici 2025, puis 30 milliards de dollars d’ici 2030. Si ces montants sont beaucoup moins importants que ce que réclamaient certains pays, l’accord signé à Montréal a toutefois pour objectif de parvenir à mobiliser chaque année « au moins » 200 milliards de dollars, et ce, d’ici la fin de la décennie. Ces fonds devront être de nature publique et privée.

La République démocratique du Congo a cependant qualifié cette « cible » monétaire d’insuffisante. Une situation qui a forcé la présidence de la COP15 à mener plusieurs rencontres tout juste avant l’adoption du cadre, a expliqué lundi le porte-parole de la Convention sur la diversité biologique, David Ainsworth. Et même si l’entente « bénéficiait d’une base de soutien incroyablement forte », a-t-il ajouté, il sera important que les prochaines étapes de sa mise en oeuvre se fassent dans un esprit de « confiance » et de « communication ».

Le ministre Guilbeault a d’ailleurs soutenu au Devoir que le Canada a acquis « une crédibilité » qui lui permettra de « bâtir des ponts avec plusieurs pays » pour parvenir à atteindre les objectifs du cadre. Ottawa fait notamment partie d’une coalition de 116 pays qui ont affirmé lundi leur intention de collaborer pour atteindre la cible de protection de 30 % des milieux naturels et aider les autres pays à mettre en place des mesures « concrètes » en ce sens.

20 milliards
C’est le montant que que les pays développés enverront en soutien aux pays en développement par année d’ici 2025. Le montant passera à 30 milliards par année d’ici 2030.

À l’échelle nationale, M. Guilbeault a aussi promis l’élaboration d’un « plan » pour se conformer au cadre post-2020. « Nous avons besoin d’une loi-cadre pour la mise en oeuvre de nos objectifs pour la nature. Nous avons déjà commencé à y travailler et il y aura un projet de loi déposé en 2023 », a-t-il ajouté.

À Québec, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a abondé dans le même sens. « Le cadre mondial de la biodiversité est un accord ambitieux auquel le Québec souscrit pleinement, et nous devons tous nous en réjouir. Le gouvernement va se doter d’un plan qui reposera, entre autres, sur les deux outils annoncés par le premier ministre, soit le Plan Nature et le Fond bleu, qui nous permettront d’atteindre ces cibles pour 2030. »

Mise en oeuvre

Coprésident du groupe de travail sur le cadre post-2020, Basile Van Havre estime que les pays doivent maintenant se donner les moyens pour préserver leurs écosystèmes. « Ce que j’ai vu, dans les expériences positives, ce sont les pays qui commencent par se créer une interprétation nationale de ce que peut représenter un réseau d’aires protégées. Il y a un travail politique qui est important pour impliquer les différents intervenants. »

En matière de restauration des milieux dégradés, il faudra toutefois tenir compte des situations vécues par chacun, selon la secrétaire exécutive de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, Anne Larigauderie. « On sait déjà que certains pays ne pourront pas restaurer 30 % de leur territoire. Un pays comme l’Inde, par exemple, où tout est pratiquement déjà occupé, ils ne vont pas pouvoir. Par contre, d’autres pays vont pouvoir en faire plus. Ce serait intéressant d’avoir une approche comme ça, pour essayer au niveau planétaire d’atteindre ces chiffres, tout en respectant les conditions nationales de chacun », a-t-elle expliqué au Devoir.

En ce qui a trait aux milliards de dollars inscrits dans le texte qui ressort de la COP15, ils devront être au rendez-vous très rapidement, selon le directeur de la diplomatie climatique internationale du Réseau action climat Canada, Eddy Pérez. « Ce financement sera crucial pour pousser des pays qui veulent en faire moins à agir. Par exemple, si on veut que le Brésil protège l’Amazonie, il faudra qu’on prévoie des fonds pour l’inciter à rehausser son ambition », a-t-il fait valoir.

M. Pérez presse aussi l’ONU à réviser le calendrier des conférences sur la biodiversité, qui se tiennent tous les deux ans, ce qui signifie que la COP16, prévue en Turquie, aura lieu seulement en 2024. « Il faudra que les ministres se parlent plus souvent. Et que ferons-nous pendant deux ans s’il n’y a pas de momentum comme celui qui est créé par la conférence ? »

Avec Alexis Riopel

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