Une entente sur la biodiversité au potentiel «transformationnel»

« Historique », « fort », « transformationnel » : l’accord de Kunming-Montréal a été très bien reçu, lundi, dans les milieux environnementaux et scientifiques. En fin de compte, les 23 cibles du cadre mondial s’éloignent peu de celles longuement négociées par les pays ces dernières années, avant même l’ouverture de la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) tenue à Montréal.

« C’est un accord qui est satisfaisant dans la mesure où il est très proche de l’accord initial, donc tous les chiffres ont été conservés. Dans certains cas, comme pour la restauration des terres, il y a même une augmentation des niveaux d’ambition », dit au Devoir Anne Larigauderie, la secrétaire administrative de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, sorte de « GIEC de la biodiversité ».

Aires protégées, pesticides, rejets d’engrais dans l’environnement, gaspillage alimentaire : des réductions précises, exprimées en pourcentages, font partie de l’accord final. Bien sûr, d’autres volets de l’entente sont plus vagues et risquent de pâtir de l’interprétation subjective des gouvernements moins zélés. L’utilisation « durable » des espèces sauvages, par exemple, ne fait l’objet d’aucun cadrage numérique. La pollution sur le plastique non plus — soulignons toutefois que celle-ci doit faire l’objet d’une autre entente onusienne d’ici 2024.

Quelques détails titillent les observateurs, généralement satisfaits. En plus de 23 cibles, 4 « objectifs » font également partie intégrante de l’accord de Kunming-Montréal. Or, dans l’un de ces objectifs, les jalons initialement prévus en 2030 pour contrer les risques d’extinction qui pèsent sur les espèces ont finalement été gommés. Ne demeurent que les visées pour 2050, un horizon encore très lointain. « On est un peu en roue libre sur ces questions-là », déplore Mme Larigauderie.

N’empêche : la grande majorité des groupes scientifiques et environnementaux qui ont suivi les travaux de la COP15 voient dans l’accord une réalisation significative. Le Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité a quant à lui salué le « puissant choix de mots au sujet du respect des droits des peuples autochtones et des communautés locales » dans l’accord final.

C’est un accord qui est satisfaisant dans la mesure où il est très proche de l’accord initial, donc tous les chiffres ont été conservés

 

« Je crois que nous pouvons célébrer une entente véritablement ambitieuse et transformative », a déclaré Marco Lambertini, le directeur général du Fonds mondial pour la nature, lors d’une conférence de presse, lundi avant-midi. Sa voix était parfois étranglée par l’émotion. « Nous nous sommes entendus pour dire qu’il est temps de découpler notre croissance économique de la destruction de l’environnement », a-t-il ajouté, saluant au passage le « travail épique » de la présidence de la conférence, la Chine, et du pays hôte, le Canada.

Au chapitre de l’agriculture, le texte impose de réduire de 50 % les « risques » liés aux pesticides. Selon Mme Larigauderie, il s’agit d’une bonne nouvelle : en effet, certains produits sont beaucoup plus toxiques que d’autres. Ce libellé fera en sorte que les entreprises de l’agrochimie devront s’attaquer au coeur du problème, c’est-à-dire, réduire la toxicité totale des pesticides qui se fraient un chemin jusqu’aux écosystèmes, et non pas seulement diminuer l’utilisation des substances les moins concentrées.

Un fonds mondial

Sur le front financier, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a réagi positivement à l’adoption de l’accord de Kunming-Montréal. C’est cet organisme qui sera chargé de l’établissement d’un nouveau fonds mondial pour la biodiversité, que les pays riches promettent de doter de dizaines de milliards de dollars par année. Carlos Manuel Rodriguez, le p.-d.g. du FEM s’est dit « honoré et extrêmement ravi » de ce mandat, qu’il entend accomplir « le plus rapidement possible ».

Défilant sur le podium des conférences de presse en après-midi, certains organismes ont évidemment exprimé des commentaires critiques au sujet de l’entente conclue pendant la nuit. Certains d’entre eux s’inquiétaient notamment du fait que le texte ait été adopté par la présidence chinoise « en bloc », sans passer en revue les opinions de chacun des pays en plénière.

Les changements climatiques — l’une des grandes causes de l’appauvrissement de la biodiversité, avec la destruction des habitats, la pollution et la surexploitation des espèces — n’ont pas fait l’objet de nouvelles mesures particulièrement ambitieuses à Montréal. La fondation Sierra Club du Canada accueille favorablement l’accord, mais déplore que le texte ne « reconnaisse pas la menace posée par l’exploitation de combustibles fossiles », comme le projet Bay du Nord au Canada.

Gestion durable du territoire

Au-delà des sommes investies par les gouvernements, l’entente saura-t-elle provoquer la réforme des pratiques des grandes entreprises qui détruisent la nature ? Une cible prévoit d’assurer une gestion durable des territoires où on pratique l’agriculture, l’aquaculture, les pêcheries et la foresterie, mais sans préciser d’objectif chiffré.

Sabaa Khan, de la Fondation David Suzuki, croit que le texte est suffisamment mordant pour y parvenir. « Dans le cadre, il y a des signaux pour les investisseurs. On parle d’éliminer les subventions néfastes pour la biodiversité, ça va influencer les systèmes économiques », dit-elle au Devoir. L’objectif à cet égard est d’ailleurs titanesque : réduire les subventions néfastes d’au moins 500 milliards de dollars américains d’ici 2030.

Selon Mme Khan, l’accord de Kunming-Montréal sera ni plus ni moins que le « plan stratégique » de mise en oeuvre de la Convention sur la diversité biologique, signée au sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. « On parle d’une approche transformationnelle », souligne-t-elle. « Tout ce dont nous avons besoin pour cette transformation sociétale, sur le plan des principes fondamentaux, on le retrouve dans le cadre [signé à Montréal]. Maintenant, c’est une question de responsabilité, de transparence et d’implémentation. »

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