Accord historique pour la protection de la biodiversité

Au terme de négociations ardues, la communauté internationale a finalement adopté un accord historique censé permettre de freiner le déclin de la biodiversité et des ressources essentielles pour la survie de l’humanité. Il faudra maintenant mettre en oeuvre une entente qui prévoit la protection de 30 % des milieux naturels terrestres et marins d’ici la fin de la décennie, des centaines de milliards de dollars de financement et d’importantes transformations de notre mode de vie.

L’« accord de Kunming-Montréal » a été adopté par consensus au coeur de la nuit de dimanche à lundi, et ce, malgré l’opposition exprimée par la République démocratique du Congo (RDC), qui juge insatisfaisante la « mobilisation des ressources » financières pour la mise en oeuvre de ce qui a été qualifié de « pacte de paix avec la nature ».

Malgré les commentaires de la RDC, « aucune objection formelle » n’a été formulée par le pays, a souligné le porte-parole de la Convention sur la diversité biologique, David Ainsworth, en conférence de presse lundi avant-midi. En fin de compte, « il est clair que le cadre [mondial pour la biodiversité] bénéficiait d’une base de soutien incroyablement forte », a fait remarquer le porte-parole. Il sera néanmoins important que les prochaines étapes de mise en oeuvre de l’accord se fassent dans un esprit de « confiance » et de « communication ».

« Historique »

« Nous avons ensemble franchi un pas historique », a réagi le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, qui a participé activement aux négociations qui se sont tenues au cours des derniers jours au Palais des congrès de Montréal, dans le cadre de cette conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) présidée par la Chine.

« Après quatre années de travail, nous sommes arrivés au terme de notre voyage », a justement résumé le président de la conférence, Huang Runqiu.

« C’est un bon accord, qui n’est pas parfait, mais c’est un bon accord puisque nous avons l’essence de ce dont nous avons discuté depuis quatre ans. Maintenant, ce qui est important est ce qui surviendra par la suite », a souligné pour sa part Basile Van Havre, coprésident du groupe de travail sur le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. Si la mise en oeuvre est à la hauteur des objectifs inscrits dans le document, a-t-il ajouté, « nous aurons une planète bien différente » en 2030.

L’entente, d’une ampleur sans précédent dans l’histoire, appelle la communauté internationale à protéger 30 % des milieux naturels terrestres et maritimes d’ici 2030. Cela signifie que des efforts très importants seront nécessaires au cours des sept prochaines années, puisqu’à l’heure actuelle, 17 % des écosystèmes terrestres et environ 10 % des milieux marins sont protégés.

En plus de la conservation des milieux naturels, qui devra prioriser les zones de grande « importance » pour la biodiversité, le document indique que les pays doivent viser la « restauration » d’au moins 30 % des zones « dégradées » par l’activité humaine. Au cours de la COP15, plusieurs ont jugé cet objectif essentiel pour freiner l’érosion du vivant, mais aussi pour lutter contre la crise climatique.

Financement

Sur la question du financement de la mise en oeuvre du cadre mondial, qui menaçait de faire dérailler les négociations, la présidence de la COP15 a réussi à sortir de l’impasse en proposant dimanche une augmentation substantielle du soutien financier des pays développés aux pays en développement : 20 milliards de dollars par année d’ici 2025, puis 30 milliards de dollars d’ici 2030.

Dans le cadre de la conférence, plusieurs pays en développement réclamaient des engagements beaucoup plus substantiels, soit une enveloppe annuelle de 100 milliards de dollars par an. Ce montant représentait au moins dix fois l’aide internationale actuelle pour la biodiversité.

L’accord signé à Montréal a toutefois pour objectif de parvenir à mobiliser chaque année « au moins » 200 milliards de dollars, et ce, d’ici la fin de la décennie. Ces fonds devront être de nature publique et privée.

Nous commençons enfin à conclure un pacte de paix avec la nature.

Il faut dire que la mise en oeuvre du cadre de protection de la biodiversité impliquera des centaines de milliards de dollars d’ici 2030, notamment pour protéger les écosystèmes particulièrement riches de certains pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Ces fonds seront par exemple nécessaires pour protéger des milieux naturels terrestres et maritimes, transformer les pratiques agricoles, réduire l’utilisation des pesticides et la pollution, mais aussi restaurer des écosystèmes dégradés par l’activité humaine.

Le texte adopté souligne aussi la nécessité d’éliminer, de réduire ou de « réformer » les subventions néfastes pour la biodiversité. Celles-ci peuvent par exemple servir à soutenir des pêcheries non durables ou des pratiques agricoles dommageables. D’ici 2030, on vise une réduction de 500 milliards de dollars de ces subventions.

Pollution

La réduction des « risques » que représentent « toutes les sources » de pollution d’ici 2030 est également inscrite dans le projet d’accord, qui précise qu’elles devraient être réduites « à des niveaux qui ne sont pas dommageables pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes ». En ce qui a trait à la « pollution plastique », on indique le besoin de la réduire et de l’éliminer progressivement.

Cette « cible 7 » ne prévoit toutefois pas de cible chiffrée de réduction des quantités de pesticides, évoquant plutôt le besoin de « réduire le risque global » que représentent ces produits largement utilisés dans le monde.

Les délégations se sont néanmoins engagées à se tourner vers une agriculture, une foresterie et des pêcheries qui intègrent des pratiques favorables à la biodiversité. Et pour réduire la pression de notre mode de vie sur les écosystèmes, on espère réduire de 50 % le gaspillage alimentaire, mais aussi « réduire la surconsommation et la production de déchets ».

Les 23 cibles rédigées au terme d’années de négociations doivent permettre d’atteindre des objectifs globaux, comme le maintien de l’« intégrité, la connectivité et la résilience de tous les écosystèmes » et l’arrêt de l’extinction d’espèces imputable à l’activité humaine.

Mise en oeuvre

« Nous commençons enfin à conclure un pacte de paix avec la nature », a souligné lundi le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lors d’une conférence de presse. « Ce cadre est une étape importante pour une diplomatie déterminée, et j’exhorte tous les pays à tenir leurs promesses », a-t-il ajouté, rappelant que concernant la question du changement climatique, « les bonnes nouvelles peuvent être difficiles à trouver ».

Saluant la conclusion de cet accord, le directeur de la diplomatie climatique internationale du Réseau action climat Canada, Eddy Pérez, a évoqué l’ouverture d’« une nouvelle ère de transformation et de solidarité » qui doit aussi permettre de mettre un terme aux « extinctions massives auxquelles nous assistons ».

« La réalisation des promesses de l’accord dépendra de sa mise en oeuvre au niveau national », a-t-il ajouté. « En l’absence de mécanisme de rehaussement, la responsabilité reste faible. Il sera donc crucial pour la société civile de continuer à se mobiliser et à demander des comptes aux gouvernements. »

Selon lui, l’entente impose à des pays comme le Canada de mettre en oeuvre rapidement les mesures qui permettront d’atteindre les « cibles » inscrites dans le texte. Le gouvernement fédéral, tout comme celui du Québec, s’est déjà engagé à protéger 30 % des milieux naturels terrestres et marins d’ici 2030.

« Les gouvernements ont choisi le bon côté de l’histoire à Montréal, mais l’histoire nous jugera si nous ne respectons pas les engagements pris aujourd’hui », a prévenu le directeur général du Fonds mondial pour la nature, Marco Lambertini. L’organisation redoute la lenteur à mettre en oeuvre cette entente, mais aussi à obtenir le financement nécessaire pour les pays en développement.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, estime que l’accord est complémentaire à celui de Paris sur le climat. « Le monde a désormais deux champs d’action pour aller vers une économie durable d’ici 2050 », a-t-elle affirmé lundi.

Le défi pour les prochaines années est pour le moins colossal : 70 % des écosystèmes mondiaux ont été dégradés par l’activité humaine et plus d’un million d’espèces sont menacées de disparition sur la planète. Plusieurs experts évoquent maintenant l’idée que l’humanité a enclenché une « sixième extinction » de masse, la première depuis la disparition des dinosaures, il y a de cela 65 millions d’années.

Et au-delà des implications morales évoquées par certains participants de la COP15, c’est toute la prospérité du monde qui est en jeu, rappellent les experts : plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services. Qui plus est, la majorité des médicaments prescrits dans les pays industrialisés sont dérivés de composés naturels produits par des animaux et des plantes.

Avec Alexis Riopel et l’Agence France-Presse



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