Le prix de l’enneigement sur les montagnes de ski

L’industrie du ski alpin est particulièrement vulnérable aux changements climatiques. Pour satisfaire les envies des passionnés de sports de glisse, les stations touristiques québécoises ont consacré l’an dernier une part record de leurs investissements à la fabrication de neige, qui utilise d’importantes quantités d’eau et d’énergie.

Martin Hardy est heureux au volant de sa dameuse. « C’est moi qui ai le plus beau bureau de la compagnie », commente en riant le directeur adjoint aux opérations du Sommet Saint-Sauveur.

Sous le jet puissant d’une perche, cet employé de longue date fait grimper l’imposant véhicule sur le haut d’un monticule blanc et dense. L’objectif : répartir le tas de neige, à l’aide de ses deux immenses pelles, sur la piste encore verdâtre qui se dresse devant lui. Tout le long de la pente se dressent plusieurs amoncellements semblables.

« Pour pousser tout ça, ça va prendre une dizaine d’heures », estime M. Hardy, qui a grandi sur les collines de ski des Laurentides.

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C’est mercredi. Douze des 32 pistes, toutes blanches, sont déjà dévalées par les skieurs. Pourtant, il n’y avait encore presque aucune trace de flocons dans le paysage environnant. Ce qui permet à la station d’être ouverte, c’est plus de 400 perches et canons à neige répartis un peu partout sur la montagne, qui fonctionnent environ 1000 heures chaque hiver.

« Ils annoncent de la neige ce week-end, on est content, commentait Christian Dufour, directeur marketing pour Les Sommets, qui regroupe plusieurs monts, dont Saint-Sauveur. Mais ce dont on a surtout besoin, c’est du froid, pour qu’on puisse en faire. La neige naturelle va donner un coup de main, mais ça ne couvrira jamais ce dont on a besoin. »

La technologie existante permet de produire de la neige dès qu’il fait -2 degrés Celsius ou moins. Pour le mont Saint-Sauveur et le versant Avila, environ 600 millions de litres d’eau sont pompés annuellement dans un petit lac et dans la rivière du Nord. Le liquide est acheminé à chaque canon et à chaque perche par le biais d’un réseau de tuyaux. L’autre ingrédient de la neige, l’air comprimé, est acheminé dans un réseau parallèle.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le directeur adjoint aux opérations du Sommet Saint-Sauveur, Martin Hardy, est au volant de sa dameuse. «C’est moi qui ai le plus beau bureau de la compagnie», dit-il en riant.

« Ce sont des infrastructures comme une ville, sauf qu’au lieu d’être un réseau d’aqueduc et d’égouts, on a des kilomètres de canalisation d’eau et d’air comprimé », explique M. Hardy dans le centre de contrôle, en pointant sur une carte représentant la montagne.

Les responsables de la station tapissent le mont le plus possible en début de saison, afin de la lancer tôt et de l’étirer jusqu’au printemps. « Nos hivers sont imprévisibles. S’il fait chaud au mois de février, je ne pourrai pas faire de la neige. Alors on en fait une bonne épaisseur et ça dure jusqu’au mois de mai », indique M. Dufour.

Neige à plusieurs millions

Les Sommets dépensent chaque année entre 1 et 4 millions de dollars pour renouveler leurs infrastructures et leur équipement liés à l’enneigement mécanique, afin d’adopter des technologies de pointe. Cela constitue jusqu’à la moitié de leur budget d’investissement. Et ils ne sont pas les seuls. Selon une étude effectuée pour le compte de l’Association des stations de ski du Québec (ASSQ) auprès de 15 de leurs 74 membres, 23 % des investissements privés des stations ont été consacrés l’an dernier à ces systèmes. Il s’agit de la plus haute proportion jamais constatée par le président-directeur général de l’ASSQ, Yves Juneau.

La nécessité derrière ces changements, c’est l’adaptation aux changements climatiques. Prévoyant devoir produire plus de neige à l’avenir, le Massif de Charlevoix a ajouté l’an dernier une deuxième source d’eau. La station de ski a fait construire sept kilomètres de conduites pour aller puiser dans la rivière Lombrette, en plus du lac Tourville. Ce projet a coûté sept millions de dollars, indique le vice-président aux opérations, Vincent Dufresne. La station charlevoisienne a aussi fait l’acquisition de 108 perches supplémentaires et effectué leur automatisation.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir En haut, des skieurs sont venus passer leur journée au Sommet Saint-Sauveur, le 14 décembre. Cette journée-là, 12 des 32 pistes sont déjà ouvertes et recouvertes de neige, au grand plaisir des amateurs de sports de glisse.

Les stations doivent composer avec de plus grandes fluctuations de températures et une réduction des périodes suffisamment froides pour effectuer l’enneigement. C’est notamment pour cette raison qu’elles se tournent vers des systèmes qui permettent de démarrer et d’arrêter les canons beaucoup plus rapidement, et de produire un plus gros volume plus rapidement.

Par exemple, lors du passage du Devoir au mont Saint-Sauveur, la température a dépassé -2 degrés en fin d’avant-midi, forçant l’équipe à interrompre la production de la neige.

« Ce n’est plus comme il y a quelques années, quand on pouvait faire rouler [les canons] en décembre, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », souligne Martin Hardy. De nos jours, les fenêtres favorables sont parfois seulement de quelques heures, la nuit.

Or, les systèmes traditionnels nécessitent jusqu’à six heures de préparation et beaucoup de personnel pour partir et arrêter la machinerie, alors que ceux qui sont automatisés réduisent ce temps à une quinzaine de minutes, grâce à un clic de souris.

Préoccupations environnementales

 

Par ailleurs, les technologies développées dans les dernières années par les fournisseurs misent sur une diminution des quantités d’eau et d’énergie requises pour fabriquer de la neige. Mais selon l’ASSQ, 45 % de l’inventaire d’équipement d’enneigement des stations a besoin d’être remplacé, des pompes aux canons en passant par la canalisation. Alors que l’enneigement représente environ 40 % de la facture d’électricité des stations, l’adoption de ces technologies aurait le potentiel de réduire de 30 % leur consommation d’énergie, évalue l’association.

Alors que le gouvernement provincial souhaite un virage sociétal vers la sobriété énergétique et qu’il a annoncé sa volonté de protéger les ressources d’eau douce de la province, Yves Juneau juge que ce dernier devrait soutenir plus activement la petite révolution dans les stations de ski.

« Avec ce que les stations génèrent comme profit et les niveaux d’investissement dont elles sont capables, ça va prendre trop de temps », croit M. Juneau.

L’organisme Eau Secours, de son côté, estime que les prélèvements d’eau des stations de ski ont un impact potentiel sur la biodiversité et les réserves d’eau des municipalités qui sont parfois réduites dans plusieurs régions du Québec. À la fonte de la neige fabriquée, l’eau ne revient pas nécessairement à sa source originale, croit par ailleurs la directrice générale, Rébecca Pétrin, évoquant des modifications au réseau hydrographique. Elle réclame que ces questions soient documentées et étudiées à l’échelle locale et régionale.

Dans un souci environnemental, les stations pourraient-elles se passer de cet enneigement mécanique ? Ce ne serait pas viable économiquement pour la grande majorité d’entre elles, selon Yves Juneau, puisque la saison skiable pourrait être réduite à un mois ou deux. « Des remontées mécaniques, ça coûte des millions. Ça prend des revenus pour payer ça », lance-t-il.

L’administration des Sommets constate que la période de ski risque de diminuer avec les années, malgré l’adoption de technologies de pointe. Elle se protège donc en développant des activités quatre saisons : parc aquatique l’été, parc d’attractions et vélo de montagne l’automne, campings, boutiques.

« Ce sport, même s’il va vivre des changements, va continuer d’exister, affirme Christian Dufour, en regardant des dizaines d’amateurs achever leur descente. Les gens veulent glisser sur la neige, c’est quelque chose de magique. On va continuer de se battre pour offrir de belles conditions. »



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