Une bonne idée, la taxe spéciale pour l’environnement ?

La semaine dernière, la Ville de Saint-Hyacinthe a adopté un budget incluant une « taxe spéciale » pour financer son Fonds vert en développement durable. Mais les avis sont partagés sur les bénéfices d’une telle approche, aussi novatrice soit-elle.
« La majorité des citoyens souhaitent qu’on en fasse plus pour l’environnement. Je pense qu’on est rendus là », avance le maire André Beauregard, dont c’est le premier mandat à la tête de la Ville.
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La nouvelle taxe consiste en une ponction de 0,0069 $ pour chaque tranche de 100 $ de valeur foncière. L’équivalent de 20 $ pour une propriété de 290 000 $. Elle touchera tous les secteurs — résidentiel, commercial, institutionnel et agricole —, car « tout le monde doit faire sa part », selon le maire.
La Ville prévoit amasser ainsi 544 000 $ dans ses coffres afin de financer une pléthore de mesures : achat de bornes de recharge pour les véhicules électriques, fontaines d’eau extérieures, plantation d’arbres, contrôle de la châtaigne d’eau (une espèce envahissante qui contamine les plans d’eau), plan de mobilité durable, etc. Et ce n’est qu’un début, insiste M. Beauregard. « Ce qui serait souhaitable, c’est que ça augmente chaque année. »
Pour l’heure, la taxe n’a pas fait trop de vagues localement. Mais l’un des élus au conseil municipal, David Bousquet, estime que ce n’est pas une « vraie » taxe verte. « En réalité, la taxe spéciale, c’est une taxe foncière bien ordinaire. […] Si on veut une véritable taxe verte, il faut que ça amène des changements dans les comportements », plaide-t-il.
« Ça crée une pression sur des terrains qui ne rapportent rien. » Ainsi, au lieu de taxer tout le monde, la Ville devrait, selon lui, taxer les comportements qui nuisent à l’environnement ou appliquer ce qu’on appelle le principe du « pollueur-payeur ». « Prenons l’exemple d’un terrain boisé en plein centre-ville, poursuit-il. Pourquoi le propriétaire devrait-il être taxé au même titre qu’un propriétaire qui choisit de développer et asphalter l’ensemble de sa propriété ? »
Envoyer un signal clair
M. Bousquet craint en outre qu’on nuise à la cause environnementale indirectement. « On se sert du qualificatif “vert” pour permettre l’acceptabilité sociale d’un taux de taxe qui n’aurait probablement pas reçu le même accueil. »
Lors de l’adoption du budget, le conseiller a recommandé qu’on mise plutôt sur des taxes ciblant les stationnements, le volume des déchets ou encore l’étalement urbain. Des suggestions inspirantes pour l’année prochaine, a rétorqué le maire. « Ce sont des choses sur lesquelles on va se pencher pour les prochaines années », a-t-il ajouté en entrevue.
En créant la taxe spéciale, la Ville a aussi voulu envoyer un « signal » clair, plaide la directrice des communications et de la participation citoyenne de la municipalité, Brigitte Massé. Le conseil, dit-elle, « voulait poser des gestes concrets », ne pas « noyer » ça dans le budget. « On voulait clairement établir que pour notre ville, le développement durable, c’est une priorité et que ça ne se fait pas tout seul, que ça prend des sous pour y arriver. »
Bien sûr, il faut trouver plus d’argent pour l’environnement. Mais la question de “qui doit payer”, elle est hyper importante.
Mme Massé insiste aussi sur le fait que la Ville a créé une « réserve financière dédiée pour le fonds vert, ce qui fait que la taxe spéciale s’en va directement dans ce fonds-là et ne peut pas être consacrée à quoi que ce soit d’autre ». La Ville, signale-t-elle, agit sur d’autres fronts : taxe d’eau sur la consommation des industries et commerces, taxe d’eau sur certaines piscines et surtout, taxe sur le traitement des eaux usées modulée en fonction des rejets polluants.
Selon une experte dans le domaine, le débat sur la taxe verte soulève des questions cruciales. « Bien sûr, il faut trouver plus d’argent pour l’environnement. Mais la question de “qui doit payer”, elle est hyper importante », croit Corinne Gendron, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’Université du Québec à Montréal. En matière d’écofiscalité, dit-elle, il faut absolument que la mesure ait un « caractère incitatif ou dissuasif », sinon « on manque le bateau ».
Un précédent au Québec
La mesure adoptée lundi dernier par Saint-Hyacinthe s’avère, selon les recherches effectuées par Le Devoir, inédite au Québec. La capitale nationale et la ville de Gatineau ont prévu, dans leur récent budget, la création d’un fonds vert pour assurer la transition écologique et pallier les effets des changements climatiques. Or, aucune des deux municipalités n’a imposé une taxe spécifique pour financer ces réserves.
L’écofiscalité demeure en effet timidement utilisée dans la province, selon un état des lieux publié l’an dernier par la chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Parmi les pays de l’OCDE, le Québec se classait au quatrième rang des États utilisant le moins de telles mesures.
Ailleurs dans le monde, les villes qui ont adopté une taxation semblable à Saint-Hyacinthe paraissent rares. Celles qui affichent les ambitions les plus vertes tendent d’ailleurs moins à faire payer les mauvais comportements écologiques qu’à encourager, voire à récompenser les bons.

Par exemple, Lahti, en Finlande, vise la carboneutralité dès 2025. Il y a six ans, cette ville industrielle, lourdement polluée il y a 50 ans, est devenue la première du monde à instaurer, dans le cadre d’un projet-pilote, une application capable de tracer en temps réel l’empreinte carbone de sa population. CitiCAP est en mesure de calculer les émissions de chaque usager et de déterminer la pollution hebdomadaire moyenne que devrait générer chaque ménage, en fonction de leur taille et de leur situation géographique.
Chaque usager dont l’empreinte carbone se situe au-dessous de ce seuil se voit récompensé avec des euros virtuels, monnayables dans les commerces locaux et dans les services publics. Les bons comportements, de cette manière, permettent d’acheter un passage en autobus, un billet de concert, des produits d’épicerie, etc.
Au terme de la période d’essai, Lahti a constaté que 36 % des 2500 participants avaient diminué leur empreinte. Là encore, l’initiative ne se finançait pas à l’aide d’une taxe verte, mais plutôt à même un fonds européen visant à soutenir l’innovation municipale.
Réglementer au lieu de taxer
D’autres villes préfèrent employer leur pouvoir réglementaire pour enrayer les sources de pollution. C’est le cas de Hambourg, deuxième plus grande ville d’Allemagne, qui a tout simplement aboli l’usage des bouteilles en plastique et des capsules de café jetables dans les édifices publics.
L’actuelle capitale verte de l’Europe, Grenoble, songe de son côté à taxer les VUS dès l’an prochain pour décourager leur achat. Son maire écologiste, Éric Piolle, estime que les véhicules polluants représentent « une plaie pour la planète » et en restreint l’usage au centre-ville.
En contrepartie de ces interdictions, Grenoble propose plusieurs options de remplacement à l’auto : le tramway circule, les cyclistes jouissent d’un réseau étendu, les autobus partent à fréquence régulière du centre-ville jusqu’au pied des centres de ski environnants. La ville compte aussi rendre le transport en commun gratuit pour tout le monde la fin de semaine, et en tout temps pour les plus démunis.
Chose certaine, il y a beaucoup d’« expérimentation » actuellement au niveau municipal en matière de politiques environnementales, observe la professeure Corinne Gendron.
À titre d’exemple, plusieurs villes ont voulu imposer une taxe sur le volume des déchets. « Or, on s’est retrouvé avec des mesures qui peuvent être très inéquitables sur le plan social, parce que le volume des déchets fait abstraction du nombre de personnes vivant dans un même logement, notamment des familles à faible revenu. » « Les mesures d’écofiscalité, c’est très délicat. Il faut s’assurer qu’on n’est pas en train de renforcer des inégalités, parce qu’on veut faire du bien en environnement. »
Une avenue à regarder, selon elle, consisterait à « rémunérer » les villes qui font de la conservation de territoires naturels au lieu de faire du développement. Un geste crucial à ses yeux, puisqu’actuellement, le régime foncier pénalise indirectement les villes qui le font. Or, pour cela, reconnaît-elle, il faudrait que les ordres de gouvernement supérieurs interviennent.