Un nouveau fonds mondial pour la biodiversité est-il nécessaire?

Dans l’immense salle plénière du Palais des congrès, vendredi matin, les délégués arrivent un peu en retard. La neige, peut-être. Chaque ministre dispose de trois minutes pour résumer sa philosophie en vue de l’entente qui doit être signée dans quelques jours à Montréal dans le cadre de la 15e conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15).
Quand son tour de parole survient, Ève Bazaiba, vice-première ministre de la République démocratique du Congo, réitère son appel à la création « d’un fonds mondial pour la véritable protection de la biodiversité, qui soit nouveau, additionnel, innovant et complémentaire au Fonds pour l’environnement mondial ». En gros, elle veut du neuf.
La question du financement est centrale dans les négociations de la COP15. Une coalition menée par le Brésil réclame 100 milliards par année dans un nouveau fonds multilatéral. Une requête rejetée par les pays riches, dont le Canada. La somme demandée pose problème, mais aussi l’idée d’un nouveau système, car un tel système existe déjà.
Fondé en 1991 et basé à Washington, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) travaille étroitement avec plusieurs agences onusiennes. C’est un intermédiaire : il récolte l’argent de différents donateurs, comme les États, et le redistribue à des acteurs menant des projets environnementaux. L’un de ses axes d’intervention concerne la biodiversité.
Au fil de ses trois décennies d’existence, le FEM a distribué plus de 22 milliards de dollars américains en subventions. Il a financé plus de 5000 projets d’ampleur nationale et 27 000 initiatives communautaires dans des pays en voie de développement.
Nous avons une occasion en or de réformer un mécanisme qui fonctionne déjà, et de le rendre encore plus efficace, accessible, et doté de davantage de moyens
Quelques exemples de projets ? Établir une « gestion efficace » d’aires protégées en Égypte. Aider les pays insulaires du Pacifique à préparer leurs rapports nationaux sur la biodiversité. Accélérer l’agriculture durable au Cameroun. Mettre en oeuvre le protocole de Nagoya sur le partage des bénéfices liés aux informations génétiques au Timor oriental. Soutenir la gestion et l’agrandissement d’aires marines protégées en Libye.
En pratique, le FEM est réputé pour être difficile d’accès. Sa lourde bureaucratie fait en sorte que de petits acteurs locaux ont beaucoup de mal à obtenir du financement pour des projets.
« À mon avis, le FEM a été critiqué de manière plutôt injuste », observe Jennifer Morris, la p.-d.g. de Nature Conservancy, un grand organisme américain de protection de l’environnement, en réponse à une question du Devoir en conférence de presse, vendredi avant-midi. Le bailleur de fonds doit simplement « évoluer », selon elle, pour faciliter l’accès au financement pour les communautés locales et autochtones.
« Nous ne voulons pas passer cinq ans pour concevoir un nouveau mécanisme, ajoute Patricia Zurita, la p.-d.g. de l’organisme BirdLife International. Plutôt, il faut utiliser le mécanisme actuel, y déposer plus d’argent, provenant de multiples sources, et s’assurer que cet argent soit accessible aux communautés locales, aux peuples autochtones et aux organisations environnementales des pays du Sud, dans le respect des droits de la personne. »
La création d’un nouveau fonds mondial sur la biodiversité est-elle absolument nécessaire pour arriver à un accord à Montréal ? Des organismes, dont Nature Conservancy et BirdLife, travaillent dans les coulisses pour faire progresser l’idée d’un « nouvel instrument » de financement au sein du FEM. Cela éviterait le lourd processus de démarrer une nouvelle institution, et permettrait de bâtir sur l’expérience du fonds qui existe déjà.
Jeudi, la Colombie a proposé aux parties rassemblées un tel modèle hybride. Selon les informations obtenues par Le Devoir, l’immense majorité des pays l’ont accueillie positivement, à l’exception du Brésil, de la République démocratique du Congo et possiblement de l’Indonésie, qui tiennent à la création d’un nouveau fonds.
Marco Lambertini, le directeur général de WWF International, rappelle qu’une solution qui demeure dans le giron du FEM n’entre aucunement en contradiction avec un rehaussement significatif du financement de la biodiversité. « Nous avons une occasion en or de réformer un mécanisme qui fonctionne déjà, et de le rendre encore plus efficace, accessible, et doté de davantage de moyens », estime-t-il.