Le sauvetage de la biodiversité embourbé dans des enjeux financiers à la COP15

La conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) a été marquée par un sursaut de tensions politiques mercredi, en raison du manque de progrès sur l’épineuse question du financement de la mise en oeuvre de l’accord qui doit être signé à Montréal. Des dizaines de pays en développement ont quitté les négociations sur cet enjeu, forçant des États riches à ouvrir davantage le dialogue pour éviter l’échec de toute la conférence.

Vers une heure du matin, dans la nuit de mardi à mercredi, plusieurs pays mécontents de la teneur des négociations sur la « mobilisation des ressources » ont choisi de sortir de la salle, tout en déplorant le manque de volonté des pays développés de parvenir à une entente sur les moyens de financer la mise en oeuvre d’un accord mondial de protection de la biodiversité. Selon les informations disponibles, le Brésil aurait amorcé le mouvement, suivi des délégations de plusieurs pays d’Amérique latine, des pays africains, mais aussi de l’Inde, de l’Indonésie et des Philippines.

Dans une déclaration écrite qu’ils ont publiée par la suite, ils ont rappelé que leurs territoires « abritent la majorité de la diversité biologique dans le monde ». Dans ce contexte, ont-ils ajouté en substance, la question des ressources financières sera cruciale pour protéger davantage les écosystèmes naturels, restaurer ceux qui ont été dégradés, lutter contre la pollution, réduire l’utilisation des pesticides et transformer les pratiques agricoles. Bref, respecter les objectifs qu’on souhaite inscrire dans le « cadre post-2020 » qui doit normalement être signé le 19 décembre, soit dans moins de cinq jours.

Le bloc de pays en développement évalue que les besoins se chiffrent à « au moins 100 milliards de dollars par an », et ce, jusqu’en 2030. Passé cette date, ont-ils prévenu dans leur missive, les montants devraient être « révisés », et donc probablement bonifiés. Et le tout devrait être mis dans un nouveau fonds international.

Il n’y aura pas de cadre mondial sur la biodiversité le 19 décembre sans financement

 

Mais cette idée, et les montants qui devraient être promis, n’enchantent pas certains pays riches. L’Union européenne et le Japon ont d’ailleurs été pointés du doigt mercredi, alors que le Canada se questionne sur la pertinence de créer un nouveau fonds en soulignant que cela « pourrait prendre des années », selon le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault.

Dans le cadre d’une mêlée de presse en fin de journée, ce dernier a aussi critiqué le Brésil, jugeant que le fait de réclamer 100 milliards de dollars de fonds publics est « contreproductif ». « Toutes les sources doivent être mises à contribution », a-t-il dit, en évoquant notamment le financement du secteur privé. Il a néanmoins voulu se montrer rassurant. « Nous savions dès le départ que la question des mobilisations financières était une question sur laquelle les ministres allaient devoir se pencher. C’est ce qui sera le cas au cours des prochains jours », puisque les ministres des délégations doivent en théorie finaliser l’accord du 15 au 17 décembre.

« Solutions »

Le Canada, qui collabore « étroitement » avec la Chine, qui préside la COP15, a d’ailleurs tenu à calmer le jeu mercredi. « Certains pays sentent qu’ils n’ont pas été écoutés sur la question de la mobilisation des ressources. Mon message est le suivant : nous vous entendons et nous travaillons pour présenter des solutions concrètes », a résumé M. Guilbeault, se disant « confiant de parvenir à un accord ambitieux ».

Pour tenter de relancer le dialogue sur la bonne voie, le ministre a promis une annonce jeudi sur la question du financement. « Nous travaillons avec l’ensemble des pays donateurs pour faire une annonce très importante sur cette question », a-t-il dit, refusant toutefois de préciser si les 100 milliards de dollars réclamés seront au rendez-vous.

Directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat, Eddy Perez insiste sur l’absolue nécessité de régler cet enjeu, qui décidera d’un possible succès de la conférence ou d’un échec assuré. « Il n’y aura pas de cadre mondial sur la biodiversité le 19 décembre sans financement », laisse-t-il tomber.

« C’est une question de logique. On ne peut pas demander aux ministres d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie de justifier l’adoption d’un cadre mondial, avec autant d’objectifs, sans preuve qu’il y a aura du financement pour le mettre en oeuvre. On ne peut pas leur demander de prendre toute la responsabilité sur leurs épaules sans considérer des questions de base comme la solidarité internationale », fait-il valoir.

Coprésident du groupe de travail sur le cadre mondial de la biodiversité, Basile Van Havre a abondé dans le même sens mercredi. « Négocier un document est une chose. Le mettre en oeuvre en est une autre », a-t-il dit, en soulignant que les pays devront être très clairs « sur la manière dont il sera financé ». « Il n’y a pas que le montant. Il faut aussi voir comment ces ressources seront mobilisées, pour savoir où elles sont nécessaires le plus rapidement pour mettre en oeuvre cet accord, et ce, dès 2023 », a ajouté Florian Titze, de la branche allemande du Fonds mondial pour la nature (WWF).

1000 milliards

Président de l’International Development Finance Club, qui regroupe plusieurs banques de développement, Rémy Rioux voit d’un bon oeil le fait qu’il y ait enfin davantage de discussions sur la finance à la conférence de l’ONU sur la biodiversité.

En entrevue, il rappelle que le secteur financier a accéléré la transition en faveur de la lutte contre la crise climatique à la suite de la signature de l’Accord de Paris, dont il a été un des artisans. « Il faudrait inclure le même genre de mécanisme dans l’accord sur la biodiversité pour envoyer le même genre de signal. Le secteur financier réagit à des signaux. S’il est là, ça ira rapidement, et il tiendra compte des cibles de l’accord. »

Sur la question du financement, il est par ailleurs catégorique : « le montant de 100 milliards de dollars ne suffira pas, mais il est important pour envoyer un signal de solidarité qui suscite la confiance entre les pays ». L’évaluation des besoins annuels, ajoute-t-il, est de 1000 milliards de dollars dans des investissements positifs pour la nature, en incluant différents types de fonds.

Il estime d’ailleurs que les sommes seront rapidement au rendez-vous. « Mais il faut savoir si on le fait assez vite, parce que c’est une course de vitesse qui est engagée, entre la disparition des espèces, la crise du climat et la transformation de nos façons de vivre, donc d’investir et de consommer. Et nous sommes très en retard. »

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