Cinq municipalités plaident pour une sortie du gaz naturel
Cinq municipalités québécoises exigent un règlement provincial pour abandonner « rapidement » l’utilisation d’énergies fossiles dans les bâtiments, sans quoi elles promettent d’interdire elles-mêmes les systèmes de chauffage au gaz naturel dans les nouvelles constructions sur leur territoire. Il y va de l’atteinte de nos objectifs climatiques collectifs, argumentent-elles.
« Pour nous, le gaz naturel, ce n’est pas une solution d’avenir », soutient Paul Germain, le maire de Prévost, une ville de 14 000 personnes dans les Laurentides, qui compte parmi les revendicateurs. « On préférerait que le gouvernement [du Québec] prenne le leadership, poursuit-il, mais s’il le faut, on peut modifier notre règlement de construction » pour interdire les appareils de chauffage qui émettent des gaz à effet de serre (GES).
« Chaque nouveau bâtiment raccordé au gaz naturel, chaque renouvellement d’un appareil de chauffage alimenté aux énergies fossiles, accentue notre verrouillage carbone, c’est-à-dire qu’il nous rend dépendants de systèmes énergétiques incompatibles avec les impératifs de réduction des gaz à effet de serre », écrivent les maires et mairesses de Prévost, de Mont-Saint-Hilaire, d’Otterburn Park, de Petit-Saguenay et de Saint-Cuthbert dans une lettre ouverte publiée mardi dans la section Opinion du Devoir.
Le gouvernement de François Legault dispose des moyens pour orchestrer la décarbonation des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels de manière « efficace » et « coordonnée », plaident-ils. La preuve : l’an dernier, Québec a adopté un règlement interdisant l’installation de systèmes de chauffage au mazout. Il pourrait simplement étendre son règlement au gaz naturel.
En l’absence d’orientation provinciale, les municipalités peuvent néanmoins agir de leur propre chef si elles le souhaitent. En mai dernier, la Ville de Montréal a annoncé que les nouvelles constructions sur son territoire devraient être « zéro émission » d’ici 2025. Les audiences publiques à ce sujet ont d’ailleurs lieu cette semaine. En outre, le Centre québécois du droit de l’environnement et l’organisme Vivre en Ville publiaient en novembre un rapport détaillant les possibilités réglementaires à la disposition des municipalités pour éliminer les systèmes de chauffage libérant des GES.
C’est le pourcentage des nouvelles résidences qui ont été raccordées au réseau gazier entre 2019 et 2021, au Québec.
« Pour les nouvelles constructions [à Prévost], c’est certain qu’on va agir, soutient M. Germain. Il faut être responsable. Ce n’est pas une question d’être vert ou pas, d’être écologiste ou pas : je pense que c’est une nécessité. On doit laisser à ceux qui vont suivre une meilleure planète, et je pense que ça passe par le fait de restreindre l’utilisation du gaz naturel le plus vite possible. »
Marc-André Guertin, le maire de Mont-Saint-Hilaire, espère que nombreuses seront les municipalités du Québec à « emboîter le pas » dans ce mouvement pro-climatique, qui essaime déjà ailleurs en Amérique du Nord depuis quelques années. Car il s’inquiète de voir des promoteurs continuer à brancher les nouveaux développements au réseau gazier. « Le marché ne nous mène pas nécessairement dans la bonne direction », dit-il.
Les systèmes en « biénergie », qui utilisent du gaz naturel seulement lors des grands froids, seraient-ils admissibles ? Le gaz naturel renouvelable (GNR) serait-il considéré comme une énergie carboneutre, comme c’est le cas à Montréal ? Tant à Prévost qu’à Mont-Saint-Hilaire, les détails techniques d’éventuels règlements sur les systèmes de chauffage ne sont pas fixés. Un règlement d’envergure provinciale épargnerait d’ailleurs bien des maux de tête aux administrations municipales, avancent les deux maires.
D’emblée, MM. Guertin et Germain se montrent néanmoins « sceptiques » quant au GNR. Ce méthane ne provient pas de sources fossiles, mais plutôt de déchets ou de déjections animales. Notons que ce gaz, s’il s’échappe par des fuites en amont des fournaises, est un puissant GES. « Il y aura toujours de la demande de certaines industries pour du gaz naturel renouvelable, donc je pense qu’on peut complètement sortir le gaz du bâtiment [résidentiel] », pense M. Germain.
Encore récemment (2019 à 2021), près de 10 % des nouvelles résidences québécoises étaient raccordées au réseau gazier. Plus tôt cette année, le distributeur Énergir rapportait toutefois un certain fléchissement du nombre de branchements : l’entreprise réduit progressivement son empreinte dans un secteur voué à décroître. En moyenne, chaque ménage québécois se chauffant au gaz naturel en consomme 5000 mètres cubes par année, ce qui libère 9,5 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Selon une analyse de l’Institut de l’énergie Trottier (IET) publiée en juin, interdire l’installation ou le remplacement de systèmes de chauffage aux énergies fossiles dès 2023 serait une manière très efficace de réduire les GES du secteur du bâtiment au Québec. Cette mesure phare, combinée à d’autres propositions des chercheurs, permettrait de réduire de 60 % les émissions des immeubles résidentiels d’ici 2030.
« Le bâtiment est l’un des secteurs où il est possible d’accélérer la décarbonation pour compenser la lenteur de la transformation des autres secteurs. Les principales technologies sont connues et matures, bien que l’ampleur de la transformation reste un défi », lit-on dans le rapport de l’IET. Le secteur du bâtiment comptait en 2019 pour 10 % des émissions de GES du Québec.