Québec souhaite conserver son droit d’empiéter sur l’habitat d’espèces menacées

Après un premier mandat marqué par des décisions critiquées en matière de protection des espèces menacées, le gouvernement Legault promet de renforcer les mesures de sauvegarde de la faune en péril au Québec. En entrevue au Devoir, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, affirme toutefois que l’empiètement dans les habitats de ces espèces sera toujours possible pour certains projets de développement.
Au moment où la communauté internationale est réunie à Montréal pour tenter de conclure un accord mondial sur la protection de la biodiversité, le ministre soutient qu’il n’est pas « fermé » à l’idée de moderniser la Loi sur les espèces menacées et vulnérables du Québec pour se doter de meilleurs outils de conservation.
Le gouvernement Legault ne compte cependant pas fermer la porte à tout projet de développement qui pourrait empiéter sur l’habitat d’espèces en péril, comme la rainette faux-grillon. « Il faut voir comment on peut compenser ou rétablir un habitat. C’est une distinction que je vais vouloir conserver dans la législation québécoise. Pour certaines espèces floristiques et fauniques, on ne peut pas déplacer les individus. Mais dans certains cas, oui. Donc, si on a cette possibilité, c’est une possibilité dont je ne me priverai pas », explique M. Charette, dans le cadre d’une entrevue accordée sur le site de la conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15).
Je veux que la réglementation québécoise puisse faire la part des choses.
Le ministre assure toutefois que les autorisations seraient accordées « si le projet a une pertinence réelle » aux yeux du gouvernement. Il donne en exemple « un bâtiment d’utilité publique », « une maison des aînés », un hôpital ou, dans « certains cas », un projet de transport collectif.
« Je veux que la réglementation québécoise puisse faire la part des choses. Le premier souhait est d’éviter, mais si le projet a une pertinence réelle, c’est de voir comment on peut limiter les impacts. Ça pourrait vouloir dire le déplacement d’individus, autant floristiques que fauniques », fait-il valoir.
C’est donc dire que le gouvernement du Québec n’irait pas aussi loin que le fédéral, qui applique la Loi sur les espèces en péril. Dans ce cas, si l’habitat essentiel d’une espèce menacée ou en voie de disparition est officiellement protégé, il n’est pas possible d’en détruire des éléments pour réaliser un projet de développement.
Le gouvernement Legault souhaite cependant renforcer les dispositions québécoises de façon à ce qu’Ottawa ne vienne plus intervenir pour éviter la destruction d’habitats d’espèces menacées. « On veut éviter les interventions du fédéral, que ce soit pour la rainette ou pour d’autres espèces. Notre réglementation et notre loi doivent être suffisamment étoffées pour éviter ce type d’intervention à l’avenir. »
À l’heure actuelle, la législation québécoise limite la capacité de protéger les habitats fauniques sur les terres publiques et elle ne permet pas au gouvernement d’intervenir sur des terres privées.
L’an dernier, le fédéral a dû imposer un décret pour stopper la construction d’une rue, à Longueuil, dans un milieu humide important pour la rainette faux-grillon. Le ministère de l’Environnement du Québec n’avait rien fait pour stopper ce projet. Le gouvernement Legault s’est aussi opposé officiellement à la protection de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, une espèce en voie de disparition qui n’existe qu’au Québec, en raison des possibles « conséquences socioéconomiques importantes ».
Le gouvernement Trudeau a également menacé cette année d’intervenir pour protéger des milliers de kilomètres carrés de la forêt boréale, afin d’éviter la disparition du caribou forestier. Benoit Charette promet cependant que Québec fera le nécessaire pour éviter cela, en dévoilant en juin 2023 une « stratégie » de conservation de cette espèce, dont l’habitat est de plus en plus perturbé, notamment par l’industrie forestière.
Transparence
Après des années de stagnation des travaux du Comité aviseur sur les espèces fauniques menacées et vulnérables, le ministre entend par ailleurs lui donner un rôle plus important. Une rencontre est prévue sous peu afin de pourvoir des postes vacants, et la composition du comité sera rendue publique. « Il n’y a aucune raison de ne pas être transparent », dit-il.
« On va s’assurer que les travaux du comité puissent avoir les échos publics nécessaires pour ne pas laisser entendre que c’est un comité dont les recommandations tombent entre deux chaises », ajoute M. Charette. « Les listes d’espèces qu’ils vont nous proposer seront aussi rendues publiques, ce qui n’était pas le cas dans le passé. »
Qui plus est, la mise à jour de la liste des espèces menacées et vulnérables sera mise à jour sur une base régulière. Le ministre ajoute d’ailleurs que deux espèces y seront ajoutées prochainement : la baleine noire et le phoque commun, sous-espèce des lacs des Loups Marins.
Les deux espèces sont actuellement inscrites comme étant « susceptibles d’être désignées comme menacées ou vulnérables ». Or, en vertu de la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral, elles sont plutôt considérées comme étant « en voie de disparition », soit le statut le plus sévère avant celui d’espèce « disparue » au Canada.
La baleine noire, qui compte tout au plus 340 individus, fait d’ailleurs l’objet de mesures exceptionnelles de protection dans le golfe du Saint-Laurent de la part du gouvernement fédéral, après des épisodes de mortalités records dans les eaux canadiennes au cours des dernières années.
Enfin, en matière de protection du territoire, Benoit Charette reconnaît que le Québec doit « progresser de façon significative » dans la portion sud du territoire. Mais pour y parvenir, le gouvernement ne misera pas seulement sur la création d’aires protégées. Le ministre évoque notamment la création de « corridors fauniques ».