Nos forêts âgées sont en péril

Comme l’industrie préfère couper les forêts les plus matures, les plus âgées, la majorité de nos forêts boréales ont donc rajeuni. Et les plus âgées connaissent un sérieux déclin. 
Photo: Getty Images/iStockphoto Comme l’industrie préfère couper les forêts les plus matures, les plus âgées, la majorité de nos forêts boréales ont donc rajeuni. Et les plus âgées connaissent un sérieux déclin. 

Le mode d’exploitation de la forêt boréale québécoise est en voie d’éliminer toutes les forêts âgées, qui représentent un très riche réservoir de biodiversité. Depuis déjà plusieurs années, les scientifiques pressent le gouvernement du Québec d’adopter une gestion écosystémique de cette forêt à 98 % publique afin de préserver ses éléments matures grandement convoités par l’industrie forestière ainsi que la biodiversité unique qu’ils renferment.

Au Québec, la recherche a montré que plus de 50 % de la mosaïque forestière boréale était historiquement constituée de peuplements de plus de 100 ans. Depuis que l’on fait de la coupe industrielle, cette proportion a diminué considérablement et ne représente plus que 15 à 20 %, voire moins dans certaines régions. D’où l’inquiétude des scientifiques, qui craignent sérieusement pour les espèces qui dépendent de ce type de couvert forestier.

Depuis 1996, au Québec, l’industrie forestière pratique majoritairement la coupe totale avec protection de la régénération et des sols. On coupe tous les arbres de la forêt qui font plus de 9,9 cm de diamètre à hauteur de poitrine, mais on protège la régénération, soit les petits arbres préétablis, de même que les sols, en ne déplaçant pas la machinerie sur tout le parterre de coupe, mais uniquement sur les sentiers de débardage.

Ce texte fait partie de notre section Perpectives.

« Ce mode d’exploitation n’est pas une déforestation, car la vocation du territoire demeure forestière et n’est pas transformée en terres agricoles ou en pâturages. Mais le caractère plus pernicieux de ces pratiques est le fait qu’elles dégradent nos forêts. Elles les dégradent en ne maintenant pas [des forêts de différents âges] sur le territoire, ce qui représente la principale menace pour la biodiversité », souligne Pierre Drapeau, titulaire de la Chaire UQAT-UQAM en aménagement forestier durable.

Comme l’industrie préfère couper les forêts les plus matures, les plus âgées, la majorité de nos forêts boréales ont donc rajeuni. Et les plus âgées connaissent un sérieux déclin. Or, ces dernières représentent le milieu de vie recherché par une multitude d’espèces, dont le caribou forestier.

Le déclin du caribou a fait les manchettes au cours des 10 à 15 dernières années, mais ce n’est pas la seule espèce qui est touchée par la destruction des forêts âgées. Pourraient aussi devenir tristement célèbres les pics (notamment pic à dos noir, pic maculé, grand pic et pic flamboyant), ainsi que les mésanges à tête noire et les sittelles à poitrine rousse qui creusent des cavités dans les arbres sénescents et morts, lesquelles cavités servent ensuite de gîte et de site de reproduction à des canards, tels que le petit garrot et le garrot d’Islande, à des passereaux, à des oiseaux de proie, tels que la crécerelle d’Amérique et la petite nyctale, à des écureuils roux, à des grands polatouches (écureuils volants), à des martres d’Amérique. Compte tenu de la destruction de leur habitat, toutes ces espèces présentent une plus grande vulnérabilité et risquent de se retrouver elles aussi sur la liste des espèces menacées au Québec, affirme M. Drapeau, tout en insistant sur l’importance d’effectuer des suivis environnementaux.

Inquiets pour cette biodiversité unique et distincte de celle des forêts plus jeunes, les chercheurs et scientifiques québécois ont proposé dès 2001 des stratégies pour stopper le déclin des forêts âgées. Ils suggéraient au gouvernement de l’époque d’augmenter le nombre d’aires protégées sur le territoire de la forêt publique.

Mais la déception fut grande dans ce dossier, car bien que « le gouvernement ait décidé de protéger des territoires pour atteindre sa cible de 17 % d’aires protégées, il l’a fait au nord de la limite d’exploitation commerciale des forêts. Il a été très timide dans la partie sous aménagement forestier », déplore M. Drapeau, professeur au Département de sciences biologiques de l’UQAM, et ancien directeur du Centre d’étude de la forêt.

Les spécialistes de la forêt recommandaient aussi de diversifier les pratiques forestières en procédant à certains endroits à des « coupes partielles, qui consistent à conserver sur pied de 30 à 40 % d’arbres matures afin de garder des forêts sous couvert », ainsi qu’à des « coupes de sélection de tiges [d’arbres] qui visent à recueillir seulement un certain nombre d’arbres d’essences particulières répondant à des besoins précis », comme ceux de la facture d’instruments de musique, par exemple.

Et ils insistaient sur la pertinence de développer une sylviculture intensive à proximité des centres de transformation du bois, comme le font les Suédois et les Finlandais. « En forêt boréale, on produit environ un mètre cube (m3) de bois par hectare par année, tandis que dans une forêt plantée et bichonnée avec des techniques de croissance et d’amélioration des sols comme on le fait en Suède ou en Finlande, on peut en produire entre 5 et 8 m3 par hectare par année. Si on fait ce genre de sylviculture à proximité des centres de transformation, on réduit les coûts de transport et on met moins de pression sur la forêt naturelle », fait remarquer M. Drapeau.

En 2021, les membres du Centre de la forêt du Québec militaient également en faveur de la création d’un observatoire indépendant de la forêt publique qui permettrait de « faire un état des lieux, de faire des bilans sur nos réussites et nos problèmes et qui proposerait comment améliorer le tout », rappelle M. Drapeau.

Il y a urgence de revoir nos pratiques forestières, ne cessent de répéter les experts.



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