Le projet Bay du Nord dénoncé à la COP15

Le gouvernement Trudeau agit de façon contradictoire en matière de protection de la biodiversité, déplorent Équiterre et le Sierra Club Canada. Les deux groupes écologistes ont profité mercredi de la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) pour dénoncer le projet Bay du Nord, en mettant de l’avant les risques de déversement pétrolier et les dommages potentiels pour les écosystèmes marins de la côte est du pays.
« Le Canada ne peut pas prétendre être un leader en matière de biodiversité tout en approuvant un projet de forage pétrolier en eaux profondes qui met en danger la vie marine. Ce faisant, il perd sa crédibilité ici au pays et sur la scène internationale », a fait valoir Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales chez Équiterre.
« Nous sommes à la COP15 pour parler du déclin de la biodiversité et de la nécessité de vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050. Il faut donc parler de dossiers comme le projet Bay du Nord », a-t-il ajouté, en entrevue au Devoir.
Le gouvernement Trudeau a autorisé, en avril dernier, l’entreprise Equinor à réaliser le projet d’exploitation pétrolière Bay du Nord. C’est dans une zone située à 470 kilomètres au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador, où les fonds marins se situent à plus de 1000 mètres de profondeur, que l’entreprise compte forer jusqu’à 60 puits d’exploitation tout en poursuivant ses forages exploratoires. Selon les évaluations de l’entreprise, plus de 500 millions de barils de pétrole pourraient y être extraits d’ici 2058.
Biodiversité
Or, un tel projet pétrolier pose des risques pour le climat et les écosystèmes marins, selon Équiterre et le Sierra Club. Il est vrai que l’évaluation environnementale fédérale a mis en lumière plusieurs enjeux liés à la biodiversité. Le projet d’Equinor se situe dans une « zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique », mais aussi dans des « écosystèmes marins vulnérables ».
Les forages seront également menés non loin d’habitats essentiels reconnus d’espèces menacées, de refuges d’oiseaux et d’un important « refuge marin » mis en place par le gouvernement Trudeau pour atteindre ses objectifs de protection des océans.
Cette région maritime est par ailleurs reconnue comme un habitat important pour plusieurs espèces de poissons exploitées commercialement, 14 espèces d’oiseaux en péril ainsi qu’une quinzaine d’espèces de mammifères marins, qui sont particulièrement sensibles à la pollution sonore sous-marine. Equinor prévoit y faire des levés sismiques.
Risque de déversement
Dans ce contexte, « un déversement majeur, ou des éruptions sous-marines, dans l’océan Atlantique, porterait gravement atteinte au milieu marin environnant et pourrait potentiellement détruire l’habitat des baleines, des poissons, des oiseaux de mer et de nombreux autres animaux », ont affirmé mercredi les deux groupes, qui ont intenté une action en justice contre le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, en raison de l’approbation de Bay du Nord.
Ils estiment notamment que les risques de déversement sont bien réels, en s’appuyant sur l’Examen de l’étude d’impact environnement mené par les experts de Pêches et Océans Canada. Dans ce document, daté de janvier dernier, le ministère réfute les prétentions d’Equinor, qui affirmait dans son étude d’impact que le risque d’un déversement est « extrêmement faible ». « Si 40 puits sont forés en 30 ans, la probabilité d’un déversement extrêmement important est de 16 % », écrivent les experts fédéraux.
Ceux-ci se montrent par ailleurs très critiques de la qualité de l’étude d’impact présentée par Equinor. « Dans l’ensemble, les renseignements de référence déclarés étaient incomplets et périmés pour presque tous les chapitres examinés », soulignent-ils. « Dans sa forme actuelle, et tant que les problèmes relevés dans le présent rapport ne sont pas réglés, l’étude d’impact environnemental n’est pas considérée comme une source d’information fiable pour les processus décisionnels », ajoutent les experts de Pêches et Océans Canada.
Équiterre et le Sierra Club rappellent en outre qu’en cas de déversement pétrolier en milieu marin, Equinor ne pourra pas déployer immédiatement un « système de coiffage », qui est installé sur le fond marin pour bloquer la sortie du pétrole. La pétrolière n’en possède pas. Elle a plutôt prévu de faire venir cet équipement du Brésil ou de la Norvège. Le transport par bateau et l’installation nécessiteraient un délai de « 18 à 36 jours après l’incident », selon les données fournies par l’entreprise.
Autres projets
Malgré les critiques des groupes écologiste, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada se veut rassurante. Dans une réponse écrite, elle indique qu’elle a suivi « un processus d’évaluation environnementale rigoureux pendant plusieurs années, se fondant sur des preuves scientifiques et sur la consultation auprès des Autochtones et du public. Elle a également bénéficié d’avis d’experts recueillis auprès de ministères provinciaux et fédéraux ».
L’organisme ajoute que le projet pétrolier est soumis à plusieurs conditions auxquelles le promoteur devra se conformer pendant toute la durée du projet. « Ces conditions comprennent des mesures visant à protéger le poisson et son habitat, les mammifères marins et tortues de mer, les oiseaux migrateurs, les espèces en péril et l’utilisation des ressources par les peuples autochtones », affirme l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.
Le projet Bay du Nord pourrait être suivi d’autres projets d’exploitation pétrolière en milieu marin au large de la côte terre-neuvienne au cours des prochaines années. Le gouvernement provincial souhaite en effet qu’une centaine de forages exploratoires soient réalisés d’ici 2030, de façon à doubler la production en mer. Elle atteindrait alors 650 000 barils par jour, soit un potentiel de plus de 237 millions de barils par année.
À la suite d’une mise aux enchères lancée plus tôt cette année avec l’approbation d’Ottawa, l’Office Canada–Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers (C-TNLOHE) a d’ailleurs reçu cinq propositions d’entreprises qui souhaitent acquérir des permis d’exploration. Si tout se déroule comme prévu dans le processus d’octroi des permis, ceux-ci devraient être accordés dès janvier 2023.