La course contre l’extinction

Éléphant de forêt d’Afrique
Photo: Biodiversity Heritage Library Éléphant de forêt d’Afrique

La conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15), qui s’ouvre mercredi à Montréal, doit absolument permettre la signature d’un accord suffisamment ambitieux pour parvenir à freiner le déclin de la vie sur Terre. Ce plan de sauvetage est d’ailleurs un élément fondamental de la stratégie de lutte contre les dérèglements du climat, les deux crises étant étroitement liées.

Des experts de l’UNESCO ont de nouveau tiré la sonnette d’alarme dans un rapport publié lundi dernier. La Grande Barrière de corail de l’Australie, le plus important écosystème de récifs de la planète, est plus que jamais « en péril », principalement en raison des impacts du réchauffement climatique. Sous le coup de la chaleur, ses coraux subissent des épisodes de blanchiment qui menacent directement la survie de ce milieu de vie très riche qui compte plus de 6000 espèces différentes.

Mais le pire est à venir, selon ce qui se dégage des constats du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Si le réchauffement atteint 1,5 °C, ce qui risque de survenir avant 2040, plus de 90 % des récifs de coraux de la planète pourraient être condamnés à disparaître. Or, même s’ils n’occupent qu’une infime partie des océans, ils abritent plus de 30 % de la vie marine. Leur déclin, voire leur extinction, aurait donc des conséquences dévastatrices pour la vie sur Terre.

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Ce n’est pourtant qu’un seul exemple des impacts de la crise climatique sur la biodiversité. Une crise qui amplifie d’autres phénomènes imputables à l’activité humaine, dont l’exploitation effrénée des ressources, la pollution et la destruction des écosystèmes naturels un peu partout sur la planète. Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui équivaut à ce que représente le GIEC pour la science climatique, le constat est d’ailleurs sans appel : plus d’un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées de disparition, « ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité », souligne l’ONU.

Certains scientifiques évoquent même ouvertement le début d’une sixième extinction de masse, la première depuis celle des dinosaures, il y a de cela 65 millions d’années. « Nous sommes à l’aube de cette sixième extinction », affirme Andrew Gonzalez, fondateur du Centre québécois pour la science de la biodiversité. « Si on maintient le pied sur l’accélérateur de la destruction, comme on le fait en ce moment, cette crise va voir le jour. Mais nous avons encore le temps d’avoir une approche sensée de la protection de la biodiversité. Ce n’est pas une fatalité. »

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S’il n’est pas trop tard pour éviter le pire, un temps précieux a déjà été perdu, rappelle Eddy Pérez, du Réseau action climat Canada. En 2010, les 196 pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de l’ONU s’étaient engagés à mettre en oeuvre des mesures, appelées « objectifs d’Aichi », pour freiner le déclin de la biodiversité à l’horizon 2020. Aucune des cibles n’a été atteinte et plus de 70 % des écosystèmes de la planète sont désormais dégradés tandis que plusieurs sont irrémédiablement perdus.

Sommet historique

 

C’est donc avec cet échec en tête que les délégations se présenteront à Montréal pour la COP15, du 7 au 19 décembre, afin de tenter d’adopter le « cadre post-2020 » qui fait l’objet de négociations depuis plus de deux ans. « Cette COP est pratiquement un événement historique, puisqu’en ce moment, nous n’avons pas de cadre mondial de protection de la biodiversité. L’objectif est d’obtenir un accord pour parvenir à vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050. Ça veut dire qu’on doit mettre en place une stratégie qui va impliquer toute la société : le secteur privé, les gouvernements, les citoyens, etc. », explique M. Gonzalez.

« Ce ne sera pas facile », a reconnu récemment la secrétaire exécutive de la CDB, Elizabeth Maruma Mrema. Il faut dire que les intervenants n’ont toujours pas réglé certaines questions cruciales. C’est le cas de l’objectif de protéger 30 % des milieux naturels terrestres et marins d’ici 2030, qui doit encore être adopté. Les États doivent également s’entendre sur les moyens de restaurer les écosystèmes dégradés par l’activité humaine, d’endiguer la pollution par le plastique et de diminuer le risque que posent les espèces invasives. Sans oublier les centaines de milliards de dollars qui seront nécessaires au cours des prochaines années pour aider les pays en développement à prendre le virage d’une protection accrue.

Ce texte est publié via notre Pôle environnement.

Pour inciter les décideurs politiques à agir enfin avec ambition, Andrew Gonzalez estime nécessaire d’insister sur le caractère essentiel de la nature. « Le message qui met en lumière l’importance de protéger la biodiversité doit dépasser le discours sur les espèces en péril. Il faut mettre en avant un message beaucoup plus profond, qui englobe l’importance de la nature pour notre société, l’économie et la santé publique. » Selon le Fonds mondial pour la nature, la valeur des services rendus par la nature pour l’air, l’eau et l’alimentation dépasserait les 125 000 milliards $US par année, soit davantage que le PIB mondial.

Climat et biodiversité

 

Il est en outre essentiel de comprendre le lien étroit entre la lutte contre la crise de la biodiversité et celle contre la crise climatique, selon tous les intervenants interpellés par Le Devoir. « Quand on travaille sur la protection de la biodiversité, on lutte aussi contre les changements climatiques. Et inversement, quand on lutte contre les changements climatiques, on travaille à limiter les impacts sur la biodiversité. Ces liens sont de plus en plus concrets et de plus en plus présents dans les discussions », souligne lui aussi le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault.

La protection des forêts de la planète, par exemple, permet de maintenir des écosystèmes qui séquestrent du carbone, tout en préservant l’habitat d’une multitude d’espèces animales et végétales. Un constat qui vaut aussi pour la préservation de la santé des milieux marins, qui captent une part importante de nos émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour celle des milieux humides. « La conservation de la biodiversité est importante pour maintenir l’intégrité des fonctions de ces écosystèmes. Si on perd l’équilibre dans les écosystèmes, on perd aussi leur capacité d’absorption de carbone », fait valoir Michelle Garneau, spécialiste des enjeux climatiques et professeure au Département de géographie de l’UQAM.

Professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Isabelle Thomas souligne pour sa part l’importance de faire une place nettement plus importante à la nature en ville, comme le recommande le GIEC. « Il faut absolument réintroduire la biodiversité dans les milieux urbains, ce qui permet une meilleure adaptation aux changements climatiques. » Non seulement le verdissement permet de réduire les îlots de chaleur, mais il atténue les impacts des sécheresses et des précipitations abondantes qui découlent du réchauffement. « Pendant la pandémie, les citoyens se sont rapprochés de la nature. Ils se sont rendu compte que c’était un élément fondamental du bien-être. L’accès à ces espaces doit donc être privilégié », ajoute Mme Thomas.

Pour plusieurs, la COP15 sera donc l’occasion de mettre en avant cette idée d’une cohabitation plus saine avec les autres formes de vie sur Terre, mais aussi de réfléchir au message de l’ancien président de l’IPBES, Robert Watson : « La dégradation des terres, l’érosion de la biodiversité et le changement climatique sont les trois aspects d’un même problème majeur : l’impact dangereusement croissant de nos modes de vie sur la santé de la nature et des écosystèmes. Nous ne pouvons plus nous permettre de lutter isolément contre ces trois menaces. »