La nature, un «actif financier» comme un autre?

Augustin de Baudinière
Collaboration spéciale, Unpointcinq.ca
« Les actifs naturels, ce sont les rivières, les milieux humides, les forêts, les lacs, les dunes ou les champs », explique Joanna Eyquem, directrice des programmes d’adaptation aux changements climatiques à l’Université de Waterloo.
Photo: iStock « Les actifs naturels, ce sont les rivières, les milieux humides, les forêts, les lacs, les dunes ou les champs », explique Joanna Eyquem, directrice des programmes d’adaptation aux changements climatiques à l’Université de Waterloo.

Ce texte fait partie du cahier spécial Action climatique

Estimer la valeur de nos forêts ou de nos rivières au même titre que d’autres actifs financiers permettrait-il de mieux lutter contre les changements climatiques ? Joanna Eyquem, directrice des programmes d’adaptation aux changements climatiques à l’Université de Waterloo, nous répond.

Quels sont les actifs naturels et pourquoi les inscrire aux états financiers des villes et du secteur public ?

Les actifs naturels, ce sont les rivières, les milieux humides, les forêts, les lacs, les dunes ou les champs. En fait, toutes les sortes d’habitats qui nous fournissent des services écosystémiques essentiels. On fait exprès d’utiliser le terme « actif » parce que c’est celui qui est également utilisé pour le bâti. On parle d’« actifs bâtis » ou encore d’« infrastructure grise ». Si on traitait nos actifs naturels comme on prend soin de nos actifs gris, on pourrait préserver et maintenir les services que les actifs naturels fournissent à nos concitoyens.

Par exemple, en retenant l’eau naturellement, un milieu humide protège les habitants contre les inondations. Ce service a une valeur qui peut être calculée en utilisant différentes méthodes. De quelle infrastructure grise aurait-on eu besoin pour remplir la même fonction que le milieu humide ? Et s’il n’y avait ni milieu humide ni infrastructure pour protéger les habitants, quels auraient été les coûts des dommages liés aux inondations ? On a souvent des arguments économiques pour faire du développement, mais si on n’a rien dans les états financiers des municipalités sur les actifs naturels et qu’ils ne sont pas pris en considération, on prend des décisions qui ne sont pas économiquement viables.

Pourquoi les actifs naturelsne sont-ils pas comptabilisés dans les états financiers ?

Parce que les règles comptables interdisent de le faire. La bonne nouvelle, c’est qu’un peu plus de 90 municipalités au Canada ainsi que les gouvernements de certains pays dressent les inventaires des actifs naturels et commencent à les évaluer. En fait, inscrire la nature comme valeur financière n’est pas une fin en soi. Ce qu’on souhaite, c’est qu’on normalise ces règles comptables parce qu’on trouve que c’est une des clés pour faire face aux changements climatiques. Si les gouvernements locaux chiffrent leurs actifs naturels, la valeur de ceux-ci va augmenter. À l’inverse, si ces actifs ne sont pas protégés et se dégradent, elle diminue. Estimer leur valeur est donc aussi une façon de faciliter l’investissement. Des banques, des institutions financières privées, sont prêtes aujourd’hui à investir dans le capital naturel.

N’est-ce pas problématique que des compagnies privées telles que des banques, dont certaines sont connues pour financer les industries fossiles, investissent dans des actifs naturels ?

Dans le contexte actuel de double crise — celle des changements climatiques et celle de la perte de biodiversité —, l’Organisation des Nations unies exhorte les pays du G20 (dont le Canada) à tripler leurs investissements dans les solutions naturelles d’ici 2030. Nous avons besoin que le secteur privé s’engage de plus en plus dans des « actions nature positive », comme on dit en anglais. Beaucoup d’acteurs du milieu se demandent quels indicateurs nous pouvons utiliser pour mesurer ce type d’action.

Ce que l’on voit, c’est qu’on a besoin de plus d’investissements dans la nature et dans les infrastructures naturelles, de la même façon qu’on investit déjà dans les infrastructures grises, par exemple dans les bâtiments efficaces énergétiquement. C’est comme investir dans nos écoles. Ce sont des actifs qui ont une valeur si nous en prenons soin, pas si on les laisse se dégrader. Cela ne signifie pas pour autant que les investisseurs privés vont acheter nos écoles.

Une première version de ce texte a été publiée sur Unpointcinq.ca le 7 novembre 2022.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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