Projet d’expansion du seul parc marin du Québec
Près de 25 ans après la création du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, les gouvernements du Canada et du Québec pourraient finalement aller de l’avant avec un projet d’agrandissement, a appris Le Devoir. Au moment où Montréal s’apprête à accueillir la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15), une telle mesure permettrait d’accroître substantiellement la protection des écosystèmes de l’estuaire et de l’espèce la plus emblématique de sa fragilité, le béluga.
Selon les informations obtenues auprès de sources bien au fait des discussions en cours entre Québec et Ottawa, les deux ordres de gouvernement seraient favorables à l’expansion de cette aire protégée mise en place en 1998 et dotée d’une structure de gestion impliquant le fédéral et le provincial. L’idée de confirmer l’intention d’agrandir le parc marin durant la COP15, qui débute le 7 décembre, aurait d’ailleurs clairement été évoquée.

Le gouvernement Trudeau n’a pas voulu commenter officiellement les tractations en cours. « Étant donné leur volonté et leur engagement respectifs quant à la protection de l’estuaire du Saint-Laurent, les gouvernements du Canada et du Québec évaluent présentement les options disponibles, y compris la possibilité d’agrandir les limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent », a cependant expliqué au Devoir le cabinet du ministre de l’Environnement et du Changement climatique et ministre responsable de Parcs Canada, Steven Guilbeault.
Même son de cloche au bureau du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette. « Des échanges sont en cours entre les deux gouvernements sur plusieurs projets, dont celui du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent », a-t-on répondu par écrit.

Ce projet pourrait d’ailleurs constituer un jalon important en vue de l’atteinte de l’objectif du gouvernement Legault, qui souhaite protéger 30 % des milieux marins du Québec d’ici la fin de la décennie. « L’agrandissement du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent est l’une des options envisagées pour le moment dans les différents scénarios en cours d’évaluation afin que le Québec atteigne ses objectifs d’ici 2030 », a fait valoir le cabinet de M. Charette.
Pour le béluga
L’idée d’agrandir le seul parc marin de la province est sur la table depuis sa création, confirme Parcs Canada. « Ces réflexions se sont accentuées depuis les dernières années en raison de la désignation de l’habitat essentiel du béluga, dont plus de 60 % se trouvent à l’extérieur des limites du parc. » En vertu de la Loi sur les espèces en péril, le gouvernement fédéral a l’obligation de le protéger.
Cet habitat couvre 2800 km2 de l’estuaire du Saint-Laurent, alors que le parc marin a une superficie de seulement 1245 km2. Un projet d’expansion qui cadrerait avec la volonté de mieux protéger le milieu de vie du seul cétacé résident du Saint-Laurent pourrait donc, en théorie, mener « à doubler, voire tripler la superficie actuelle » du parc, selon le président du comité de coordination du parc marin, Émilien Pelletier. Cela signifierait que les limites de l’aire protégée pourraient s’étendre jusqu’aux environs de L’Isle-aux-Coudres, en amont, et en aval de Trois-Pistoles, en incluant le secteur de Cacouna, considéré comme une pouponnière pour le béluga.

Sans entrer dans les détails, Parcs Canada précise que « les gouvernements du Canada et du Québec évaluent présentement les options disponibles, y compris la possibilité d’agrandir les limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent ».
Émilien Pelletier ajoute que l’analyse du projet est un engagement du plan directeur de 2009 du parc, qui est toujours en vigueur. « Nous avons fait des démarches auprès des deux ordres de gouvernements pour leur demander d’envisager très sérieusement l’agrandissement. Nous avons reçu une réponse positive des ministères concernés, même s’il n’y a pas eu d’engagement ferme de leur part. Il y a un intérêt qui me semble fort à Parcs Canada et au Québec. »
Selon lui, la structure de gestion impliquant le fédéral et le provincial s’est avérée « un grand succès » depuis 1998. Elle a notamment permis la mise en place de règlements pour encadrer la navigation dans le parc, mais aussi pour limiter les perturbations de cet écosystème regroupant plus de 2200 espèces. Le secteur est également devenu un lieu important de recherche scientifique, notamment sur différentes espèces de cétacés. Sans oublier l’apport significatif pour l’économie touristique de la région, qui s’appuie sur les croisières d’observation de baleines, précise M. Pelletier.
COP15
Qui plus est, il rappelle que l’expansion serait plus simple que la création d’une nouvelle structure, puisque la Loi sur le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent permet d’en modifier « les limites » avec l’accord de Québec et d’Ottawa. Un élément souligné aussi par une source bien au fait des discussions en cours.
Président et directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins, Robert Michaud estime que l’agrandissement du parc « est une solution logique et probablement la meilleure solution face à l’urgence de mieux protéger les bélugas et leur habitat essentiel ».

Selon ce pionnier de la recherche sur l’espèce, il y a clairement lieu d’agir rapidement : cette population « en voie de disparition » poursuit son déclin, avec désormais moins de 880 individus, et la mortalité de jeunes et de femelles est aujourd’hui « très importante ». Le dérangement dont les bélugas sont victimes en dehors des limites du parc marin pourrait être un facteur de ce déclin, selon les scientifiques.
Le « Collectif COP15 », qui compte 67 groupes de la société civile et qui organise plusieurs événements lors de la conférence de l’ONU à Montréal, réclame l’agrandissement du parc marin. « Avec un niveau de cynisme inégalé dans la population sur la capacité des gouvernements à agir pour la protection de l’environnement, Ottawa et Québec doivent mettre de côté les dossiers biodiversité actuellement en litige et travailler ensemble à semer l’espoir. Comment peut-on demander au monde de collaborer au terme de la COP15 si on ne peut le faire à l’échelle du pays », laisse tomber Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec.