Après la COP27, l’exploration pétrolière
Dans les semaines qui suivront la fin des conférences de l’ONU sur le climat et sur la biodiversité, le gouvernement Trudeau et celui de Terre-Neuve-et-Labrador devraient accorder à des entreprises pétrolières de nouveaux permis d’exploration en milieu marin pour plus de 12 000 km2. Celles-ci ont promis d’investir 238 millions de dollars dans la recherche de gisements, alors que le fédéral veut que le Canada devienne le producteur du pétrole « le plus propre » au monde.
À la suite d’une mise aux enchères lancée plus tôt cette année avec l’approbation d’Ottawa, l’Office Canada–Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers (C-TNLOHE) a reçu cinq propositions qui ont été retenues sur la seule base du « montant total » que l’entreprise soumissionnaire s’engageait à investir en exploration au cours des six prochaines années.
ExxonMobil Canada et son partenaire ont ainsi promis d’injecter 181 millions de dollars pour obtenir un permis représentant une « parcelle » de 2676 km2. BP Canada Energy Group et Equinor ont prévu 40 millions de dollars en travaux dans trois secteurs totalisant 6891 km2, situés non loin de zones de découverte « significative » de pétrole. Equinor pilote déjà le projet d’exploitation Bay du Nord, et BP Canada est une filiale de BP, responsable de la pire marée noire de l’histoire américaine, survenue dans le golfe du Mexique en 2010.
BP Canada souhaite aussi ajouter 16,5 millions de dollars dans l’exploration d’un territoire de 2660 km2 qui chevauche la plus importante zone de protection de la biodiversité marine de l’est du Canada. Ce « refuge marin » a été établi en 2019 afin de contribuer à l’atteinte de la cible de protection des milieux marins du gouvernement Trudeau. Les forages pétroliers n’y sont toutefois pas interdits.
Si tout se déroule comme prévu dans le processus d’octroi des permis, ceux-ci devraient être accordés dès janvier 2023. Ressources naturelles Canada n’a pas voulu s’avancer sur la délivrance des permis. Le ministère a seulement indiqué au Devoir que la décision serait prise par les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve-et-Labrador, qui ont approuvé l’appel d’offres.
Celui-ci s’inscrit dans la volonté de la province de doubler sa production de pétrole en milieu marin après 2030. Elle atteindrait alors 650 000 barils par jour, soit un potentiel de plus de 237 millions de barils par année. C-TNLOHE envisage d’ailleurs de lancer quatre autres appels d’offres d’ici 2029, avec l’objectif que 100 forages soient réalisés.
Pétrole « propre »
Est-ce que la réalisation de nouveaux projets pétroliers est compatible avec les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique ? « Comme on s’attend à une certaine demande mondiale de pétrole et de gaz même lorsque l’économie mondiale aura atteint la carboneutralité, le moment est venu de transformer le Canada en producteur mondial de pétrole et de gaz le plus propre. Le fait d’offrir des produits et des services énergétiques à faible teneur en carbone et sans émissions contribuera à assurer la compétitivité et la prospérité de l’économie et à créer de bons emplois durables pour les Canadiens », fait valoir le cabinet du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, en réponse aux questions du Devoir.
Le gouvernement Trudeau rappelle en outre son intention d’imposer un plafond d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au secteur pétrolier et gazier, puis « une réduction des émissions au rythme et à l’échelle nécessaires pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 ». Ce plafond tient seulement compte des émissions de GES en sol canadien.
Plus tôt cette semaine, dans une réponse écrite à une question du Parti conservateur du Canada, le ministre des Ressources naturelles Jonathan Wilkinson a aussi affirmé que le secteur pétrolier et gazier du Canada faisait partie de la « transition » mondiale vers une économie sobre en émissions de GES. Cette transition, a-t-il soutenu, « peut être accomplie sans un abandon du secteur pétrolier et gazier du Canada ». Il a cité en exemple l’engagement de « carboneutralité » pris par les producteurs de pétrole des sables bitumineux et détaillé lors d’un événement organisé au pavillon du Canada à la présente conférence de l’ONU sur le climat (COP27).
Climat et biodiversité
La Fondation David Suzuki critique sévèrement la volonté de rechercher davantage de combustible fossile. « Les analyses de l’Agence internationale de l’énergie et un large éventail d’études convergent vers la conclusion que le développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers, comme le propose Terre-Neuve-et-Labrador, est totalement incompatible avec l’action climatique et l’engagement à l’égard de l’Accord de Paris », fait valoir Tom Green, conseiller principal en matière de politique climatique à la Fondation David Suzuki.
« L’exploitation de nouveaux gisements importants, qui sont parfois qualifiés de bombes carbone, entraînera la création de nouvelles infrastructures et des décennies d’émissions », ajoute-t-il. Le projet Bay du Nord, approuvé par le gouvernement Trudeau, prévoit par exemple l’exploitation de plus de 500 millions de barils de pétrole d’ici 2058.
Professeure de modélisation et d’écologie aquatique à l’Université du Québec en Outaouais, Katrine Turgeon affirme par ailleurs que l’exploration pétrolière en milieu marin est « un non-sens » dans un contexte de réchauffement climatique et de crise de la biodiversité. « Les écosystèmes des océans sont déjà sous pression, notamment à cause de la crise climatique. Il ne faut pas ajouter des impacts à des milieux déjà fragilisés. Et il y a des risques dès l’exploration, dont des risques de déversements et ceux liés aux relevés sismiques. »
Elle critique du même souffle la porte ouverte laissée aux forages pétroliers directement dans le « refuge marin » nommé « Fermeture du talus nord-est de Terre-Neuve ». « Ce site est un joyau de biodiversité de l’Atlantique. La diversité est fantastique, avec des coraux d’eau, des éponges, des espèces de poissons, des baleines, etc. »
Alors que le Canada s’apprête à accueillir la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15), Mme Turgeon demande une meilleure protection des milieux marins contre les projets de l’industrie des énergies fossiles. « Nous sommes entourés d’océans. Il faut absolument donner l’exemple. »