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Jean-François Venne
Collaboration spéciale
Images de Dorothea Lange (1940), U.S. National Archives and Records Administration, NARA record: 1372774 / Leio McLaren via Unsplash
Photomontage: Josselyn Guillarmou et Sandra Larochelle Images de Dorothea Lange (1940), U.S. National Archives and Records Administration, NARA record: 1372774 / Leio McLaren via Unsplash

Ce texte fait partie du cahier spécial L'état du Québec 2023

Malgré les cris d’alarme qui fusent de toutes parts, l’intensité de la lutte contre les changements climatiques reste insuffisante pour nous donner une chance réelle de renverser la tendance. Qu’est-ce qui bloque ?

À l’ouverture de la COP27, le 6 novembre dernier, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a lancé un avertissement très sévère aux quelque 100 chefs d’État et de gouvernement réunis en Égypte. « C’est soit un pacte de solidarité climatique, soit un pacte de suicide collectif », leur a-t-il lancé.

Selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en février dernier, la température moyenne sur la planète s’est déjà réchauffée de 1,09 par rapport à l’èrepréindustrielle. « L’objectif de garder le réchauffement climatique sous 1,5 semble difficilement accessible sans un coup de barre important », reconnaît Léa Ilardo, analyste de politiques climatiques à la Fondation David Suzuki.

Les États devront réduire de moitié leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 et devenir carboneutres d’ici 2050 — comme ils s’y sont engagés en 2015 à Paris — pour conserver une chance d’atteindre cette cible. Or, les émissions de GES dans le monde ne cessent d’augmenter. Les conséquences des changements climatiques décrites par le GIEC (multiplication des catastrophes naturelles, nouvelles maladies, pénuries d’eau, insécurité alimentaire, etc.) donnent froid dans le dos. Pourtant, progresser vers une diminution majeure des émissions de GES semble encore très ardu.

« Cette crise montre la grande puissance des lobbies de l’industrie pétrolière et gazière, qui ralentissent le virage vers les énergies renouvelables, estime Léa Ilardo. Nous affrontons aussi une certaine inertie institutionnelle. Les décisions politiques se prennent lentement et des reculs restent toujours possibles. » D’autant que les intérêts souvent très divergents des États compliquent l’avènement d’ententes internationales très ambitieuses.

Mettre fin à la tyrannie du PIB

La lutte contre les changements climatiques se heurterait aussi à une vision trop étroitement économique de l’état de santé d’un pays ou d’une population. En mars 2020, au début de la pandémie, des leaders économiques, syndicaux, sociaux et environnementaux du Québec se sont associés au sein du collectif G15+ pour travailler à rendre notre économie et notre société plus solidaires, plus prospères et plus vertes.

Un de leurs projets phares consiste à déterminer des indicateurs économiques, sociaux et environnementaux qui offrent un portrait plus juste du degré de bien-être au Québec que le produit intérieur brut (PIB). « L’approche collective de cette démarche permet de trouver des indicateurs intéressants, mais surtout partagés par des spécialistes qui viennent de milieux très différents », explique Daniel Charron, vice-président, engagement sociétal et affaires publiques à Fondaction.

Le collectif a pour l’instant réuni une cinquantaine d’indicateurs sociétaux, environnementaux et économiques pour le Québec, l’Ontario et le Canada. On y retrouve des données sur les revenus, l’endettement, la productivité, l’emploi, l’éducation, le logement, la sécurité alimentaire, l’environnement, la santé, etc.

« L’exercice a fait surgir des angles morts, indique François Delorme, un économiste de l’Université de Sherbrooke qui a copiloté le projet des Indicateurs. En effet, 18 indicateurs restent non documentés actuellement, c’est-à-dire que nous ne disposons pas pour eux de données assez robustes ou que ces données n’existent pas. »

C’est le cas par exemple des indicateurs sur l’itinérance, l’économie sociale, la santé environnementale et la mobilité durable. C’est aussi un problème avec plusieurs indicateurs liés aux changements climatiques, comme le total des catastrophes naturelles, la capacité de séquestration du carbone et les mesures d’adaptation.

À ce titre, l’exercice des indicateurs ressemble à celui qui a lieu du côté de la finance durable, où la volonté d’intégrer des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions d’investissement se heurte souvent au manque de données fiables ou comparables.

« Il y a un effort dans le monde de la finance pour établir des cadres de référence harmonisés qui permettent de mieux tenir compte de l’impact des critères ESG des entreprises et des produits financiers dans les décisions d’investissement, souligne Daniel Charron. Les indicateurs proposés par le G15+ partagent un objectif semblable, soit de s’assurer que les décisions de politiques publiques ne reposent pas seulement sur des critères économiques, comme le PIB ou la création d’emplois. »

Augmenter la cadence

 

En 2021, le Canada a émis 563 538 tonnes métriques de CO2, soit 1,5 % des émissions mondiales, selon une étude récente de la Commission européenne. Il s’agit d’une augmentation de 27 % par rapport à 1990, et d’une légère baisse de 2,5 % depuis 2005. Nous restons dans les 15 pires pays en ce qui concerne les émissions par personne.

Le plan canadien vise d’ici 2030 une réduction de 40 % des émissions par rapport au niveau de 2005 et la carboneutralité d’ici 2050. « Le gouvernement fédéral émet toutefois des messages contradictoires, déplore François Delorme. On rehausse les cibles de réduction des émissions, mais on achète un oléoduc et on donne le feu vert au projet pétrolier de Bay du Nord. »

Au Québec, le gouvernement souhaite diminuer ses émissions de 37,5 % par rapport à 1990 d’ici 2030 et la carboneutralité d’ici 2050. « Le plus récent plan pour une économie verte ne nous permettra d’atteindre que la moitié de cette cible, rappelle Léa Ilardo. Le gouvernement doit rapidement accélérer la cadence. »

Parmi les points positifs, elle souligne l’adoption d’une loi en 2021 qui met fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures au Québec. Cela n’a toutefois pas empêché le projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel de GNL Québec de refaire surface pendant la campagne électorale.

De son côté, François Delorme affiche un optimisme prudent envers la création du Comité sur l’économie et la transition énergétique, présidé par le premier ministre, sur lequel on retrouve quatre ministres et la p.-d.g. d’Hydro-Québec. « Le gouvernement québécois donne quelques signes qu’il prendra les changements climatiques plus au sérieux dans son second mandat, mais on devra juger l’arbre à ses fruits », avance-t-il.

Il s’inquiète toutefois de la lenteur du virage effectué par la plupart des gouvernements. « On ne peut pas procrastiner avec la crise des changements climatiques ; la stratégie des petits pas ne suffira pas, affirme-t-il. Les gouvernements, qui sont responsables du bien commun, doivent le comprendre et agir en conséquence. »

Les municipalités au coeur de la lutte

Les municipalités détiennent des pouvoirs dans plusieurs domaines qui ont une incidence sur les changements climatiques, comme l’aménagement urbain, la mobilité ou la protection des milieux naturels.

« Toutefois, des freins majeurs réduisent notre capacité d’action », reconnaît la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier. Le plus gros obstacle reste financier. Une grande partie du financement des villes provient des taxes foncières. Le coût de renoncement à de nouveaux projets immobiliers est donc très élevé. Cela a favorisé dans le passé un développement qui faisait fi des considérations liées à la protection des milieux naturels ou à l’étalement urbain.

Ce budget reste aussi limité, ce qui n’est pas sans conséquences. « L’achat de terrains pour protéger des milieux naturels, par exemple, demeure largement hors de nos capacités financières en raison de la spéculation foncière, illustre Catherine Fournier. C’est pour cela que nous réclamons une réforme de la Loi sur l’expropriation qui réviserait l’indemnisation des propriétaires, afin que nous puissions effectuer ces acquisitions à leur juste valeur marchande. »

Les déficits chroniques des structures de transport collectif créent aussi un cercle vicieux. Les municipalités manquent de moyens pour augmenter la fréquence et la qualité des transports collectifs, ce qui aiderait à attirer plus de clients. « Nous devons offrir les options de transport collectif et de transport actif qui permettent aux gens de réellement choisir leur forme de mobilité », estime Catherine Fournier.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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