L’autodétermination et les savoirs autochtones, des clés pour l’adaptation aux changements climatiques
Coautrices de L’état du Québec 2023

Ce texte fait partie du cahier spécial L'état du Québec 2023
Les systèmes de savoirs autochtones, longtemps dévalorisés et marginalisés par les régimes coloniaux à travers le monde, sont aujourd’hui considérés comme essentiels pour un développement résilient face aux changements climatiques et en faveur de la protection et de la restauration de la biodiversité. Dans cet extrait d’un texte publié dans L’état du Québec 2023, les autrices défendent l’autodétermination autochtone comme la condition préalable à une transition climatique juste et équitable.
Les savoirs autochtones peuvent influencer la manière dont les risques liés aux changements climatiques sont compris et vécus, ils permettent d’élaborer des solutions fondées sur des expériences locales et ils favorisent le développement de systèmes de gouvernance qui répondent aux attentes et aux priorités de leurs communautés. D’ailleurs, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’Organisation des Nations unies souligne le potentiel des savoirs autochtones pour transformer le processus d’évaluation des preuves scientifiques, techniques et socio-économiques, ainsi que pour révéler de « nouvelles découvertes qui peuvent être encore inconnues du monde scientifique, mais qui sont connues des communautés depuis des millénaires ». À cet effet, plusieurs organisations autochtones à travers le monde doivent régulièrement faire des mises en garde contre l’usurpation des savoirs autochtones par la science occidentale au détriment de l’autodétermination des peuples autochtones en matière de changement climatique. Un contexte dans lequel la concrétisation des efforts de réconciliation avec ces derniers s’avère difficile, voire impossible.
Bien que les peuples autochtones aient assumé le rôle de gardiens depuis des millénaires, comme en témoigne le fait que 80 % de la biodiversité mondiale se trouve en territoires traditionnels autochtones, ils sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques. Or, les dynamiques inégales de pouvoir, qui sont inhérentes au colonialisme et au néo-extractivisme, ont longtemps dévalué les systèmes de savoirs et de pratiques autochtones. Elles ont écarté la participation autochtone de la prise de décisions les concernant (celle des femmes, notamment, par l’imposition de politiques les excluant, par exemple au Canada) et ont criminalisé les mouvements de lutte pour l’autodétermination. À cet effet, des militantes et militants autochtones et des groupes de défense des droits autochtones et environnementaux ont été mis sous étroite surveillance et ont vu leurs manifestations classifiées comme des menaces et des « troubles civils » par le gouvernement canadien de Stephen Harper, au nom de la sécurité nationale.
Les initiatives de justice climatique abordent explicitement ces questions de distribution multidimensionnelle dans le cadre de l’adaptation aux changements climatiques. Cependant, les stratégies d’adaptation peuvent aggraver les inégalités sociales, notamment entre les sexes, à moins que des efforts explicites ne soient déployés pour modifier ces dynamiques de pouvoir inégales, notamment en créant des espaces pour favoriser une prise de décision inclusive. Le recours aux savoirs autochtones peut contribuer à surmonter les défis combinés des changements climatiques et de la conservation de la biodiversité et peut contribuer à défendre le droit des individus de vivre une vie épanouie. Qui plus est, l’apport des peuples autochtones aux réflexions et aux solutions relatives à la crise socioclimatique est fondamental. La pétition auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) pour demander la réparation des violations des droits humains résultant des impacts des changements climatiques, déposée par Sheila Watt-Cloutier en 2005, a établi le lien critique entre les changements climatiques, les droits humains et le bien-être. En 2010, la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-Mère soulignait la nécessité de respecter la souveraineté autochtone et leur droit au libre consentement, préalable au droit d’être informé, comme éléments centraux de la lutte contre l’urgence climatique. Né en novembre 2012 sous le leadership de trois femmes autochtones et d’une femme allochtone, le mouvement Idle No More conteste la loi omnibus C-45 du gouvernement canadien qui porterait atteinte aux droits à la consultation, affaiblirait la protection des rivières et aurait érodé le processus d’évaluation environnementale auquel le gouvernement doit normalement se soumettre pour le développement du territoire. Le mouvement, qui résonne jusqu’à l’international, a contribué à galvaniser la communauté autochtone autour des réflexions sur la stabilité écologique comme condition de la stabilité sociale et sur le rôle des peuples autochtones dans la conception, la gestion et la surveillance des initiatives relatives à la conservation et à la transition climatique.
À propos des autrices :
Ioana Radu et Suzy Basile, professeures à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
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