Ottawa et Québec ne vont pas revoir leur cible de réduction de GES pour la COP27

Le mégaprojet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, similaire à cette plateforme déployée au large de l’Afrique, a reçu le feu vert du gouvernement canadien en avril dernier.
Photo: Rodger Bosch Agence France-Presse Le mégaprojet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, similaire à cette plateforme déployée au large de l’Afrique, a reçu le feu vert du gouvernement canadien en avril dernier.

Mis à part « quelques progrès » depuis un an, les États se présenteront dans quelques jours à la conférence climatique de l’ONU (COP27) avec des engagements nettement insuffisants pour espérer ralentir le dérèglement du climat planétaire. Les Nations unies ont d’ailleurs pressé mercredi les principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre (GES) d’intensifier leurs efforts. Québec et Ottawa comptent toutefois s’en tenir à leurs cibles actuelles.

« Nous sommes encore loin de l’ampleur et du rythme des réductions d’émissions nécessaires pour nous mettre sur la voie d’un monde à 1,5 °C », a déploré le secrétaire exécutif d’ONU Climat, Simon Stiell, en présentant la mise à jour des « contributions déterminées au niveau national », soit les engagements volontaires de réduction des émissions de GES présentés par les États.

Les 196 pays signataires de l’Accord de Paris sur le climat avaient pourtant promis l’an dernier, lors de la conférence climatique de Glasgow (COP26), en Écosse, de rehausser leur ambition climatique. Or, à quelques jours de la COP27, à peine 24 pays ont tenu parole.

Dans ce contexte, si l’on suppose que tous respectent leurs cibles, les émissions mondiales vont continuer de croître au moins jusqu’en 2030. Elles seront alors 10,6 % plus élevées qu’en 2010. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) évalue qu’elles doivent plutôt reculer d’au moins 45 %, par rapport à 2010, pour qu’on puisse espérer limiter le réchauffement à un seuil jugé viable, soit 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.

Sept ans après la signature de l’Accord de Paris, la faiblesse des engagements climatiques nous conduit actuellement vers un réchauffement estimé à 2,5 °C, voire à 2,9 °C, si les objectifs de tous les pays devaient être atteints.

« Peu de temps »

« La COP27 est l’occasion pour les leaders du monde de relancer la lutte contre le changement climatique », a donc souligné M. Stiell, en plaidant pour des actes qui « reflètent l’urgence, la gravité des menaces et le peu de temps qui nous reste pour éviter les conséquences dévastatrices d’un changement climatique incontrôlable ».

Il a du même coup pressé les pays de « renforcer leurs plans d’action climatique dès maintenant ». Même son de cloche du côté du président de la COP26, Alok Sharma : « Nous avons besoin que les principaux émetteurs intensifient leurs efforts et augmentent leurs ambitions avant la COP27. »

Le gouvernement Trudeau entend toutefois maintenir la cible annoncée en mars dernier, soit une réduction de 40 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005. « Il est simple de fixer des objectifs, mais la mise en oeuvre que nous entreprenons maintenant est le moment où l’on passe à l’action. Le Canada continuera à faire preuve d’une action climatique accrue sur la scène mondiale », a précisé le cabinet du ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.

À Québec, le gouvernement Legault s’en tient aussi à la cible de réduction de 37,5 % d’ici 2030 par rapport à 1990. « Chaque année, de nouvelles mesures sont ajoutées au plan de mise en oeuvre du Plan pour une économie verte afin d’atteindre notre cible 2030. Il n’est donc pas prévu à ce moment-ci de revoir cette cible 2030 », a répondu le cabinet du ministre de l’Environnement, Benoit Charette. On précise du même souffle que « les Québécois investissent grandement afin de développer des innovations qui permettront à toute la planète la décarbonation de plusieurs secteurs, notamment dans le transport lourd et dans la production d’acier et d’aluminium ».

« Lunettes roses »

Fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, Hugo Séguin estime que les gouvernements du Québec et du Canada ne font pas le nécessaire pour respecter leurs engagements.

« Au fédéral, il faut avoir beaucoup d’imagination et faire preuve d’un optimisme hors du commun pour penser que le Canada va atteindre ses cibles de 2030. Le gouvernement met des lunettes roses. En fait, trois paires de lunettes roses. Il a sous-estimé la difficulté de mettre en oeuvre ses engagements. »

M. Séguin déplore notamment la lenteur du gouvernement à mettre en oeuvre la promesse de plafonner, puis de réduire les émissions du secteur pétrolier et gazier, un poids lourd du bilan des GES du Canada. « Où en est-il ? Il est dans un processus extrêmement lent, donc sa promesse de mettre en oeuvre rapidement cet engagement ne sera pas respectée. Elle est victime de la lourdeur de l’appareil fédéral. » À Québec, ajoute-t-il, le gouvernement caquiste « a identifié à peine la moitié des mesures nécessaires pour atteindre sa cible de réduction des GES pour 2030. Mais 2030, c’est très bientôt ».

Le gouvernement met des lunettes roses. En fait, trois paires de lunettes roses.

 

Professeur adjoint au Département de science politique de l’Université Laval, Alexandre Gajevic Sayegh se dit très préoccupé par les nouvelles données publiées mercredi par l’ONU. « Nous sommes loin d’être sur la voie d’un réchauffement limité à 2 °C, ce qui est inquiétant dans une période où chaque année compte. »

Selon lui, le principal obstacle à une action climatique ambitieuse est notre propension à « légitimer » la place prise par l’industrie des énergies fossiles, qui représente toujours près de 80 % du bouquet énergétique mondial. « Le Canada est un des meilleurs exemples de cette inaction. Il ne donne pas l’exemple auquel on est en droit de s’attendre en approuvant des projets comme Bay du Nord. C’est assez hypocrite comme position par rapport à plusieurs autres pays dans le monde. » Le professeur plaide plutôt pour l’élaboration d’un « traité de non-prolifération des énergies fossiles », qui serait une tentative d’éviter le pire à l’échelle mondiale.

En entrevue à la BBC mercredi, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a d’ailleurs critiqué sévèrement la poursuite du développement des projets d’énergies fossiles. « Le plus stupide serait de parier sur ce qui nous a conduits au désastre », a-t-il laissé tomber, en ajoutant que « les investissements dans les énergies renouvelables sont absolument vitaux ».

Ce texte est publié via notre Pôle environnement.


À voir en vidéo